Au moins 10 coroners ont recommandé l’implantation de miroirs antéviseurs sur le capot des poids lourds circulant en milieu urbain depuis 20 ans, dont 3 dans la dernière année, selon une compilation de La Presse.

Les miroirs antéviseurs permettent de couvrir deux zones – en avant et sur le côté droit du camion – autrement invisibles en raison du nez proéminent de la majorité des capots nord-américains.

« L’installation de deux miroirs constitue une solution efficace, simple et peu coûteuse pour améliorer la visibilité dans ces deux zones d’angles morts problématiques », conviennent la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et le ministère des Transports du Québec, qui se basent sur des travaux de recherche de Polytechnique Montréal.

Au moins 40 piétons sont morts sur l’île de Montréal depuis 2000 après avoir disparu de la vue du chauffeur à l’avant d’un poids lourd, a révélé notre enquête publiée en septembre dernier.

Québec continue néanmoins de promouvoir l’implantation des antéviseurs de façon volontaire, invoquant des soucis d’harmonisation avec les législations des provinces et des États voisins.

Trois accidents évitables

Dans un rapport sur la mort de Dilan Kaya, jeune femme de 22 ans happée le 22 juin dernier dans Saint-Michel, à l’intersection de la rue Bélair et de la 22e Avenue, le coroner Jean Brochu souligne que le « camion n’était pas équipé de miroirs antéviseurs permettant au conducteur de détecter la présence d’un piéton à l’avant ».

Cet angle mort est cité comme principal facteur du tragique accident.

« Les policiers ont constaté qu’une personne de la taille de Mme Kaya n’était pas visible du conducteur du camion lorsqu’elle se trouvait à 1,35 m devant le camion », écrit-il dans son analyse publiée le 22 février dernier.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Dilan Kaya a été happée mortellement à l’angle de la rue Bélair et de la 22e Avenue, dans Saint-Michel, le 22 juin 2023.

« Si on est capables d’en installer [sur tous les camions], ça serait l’idéal, ça peut sauver des vies », a souligné le frère de la victime, Diyar Kaya, en entrevue avec La Presse. « C’est terrible de perdre un proche si jeune. »

M. Brochu recommande à la SAAQ et à Transports Canada d’étudier de possibles changements législatifs.

Dans un rapport amendé datant du 23 février 2024, la coroner Marilynn Morin revient sur la mort d’Andrea Rovere, le 27 septembre 2021. Le cycliste de 31 ans traversait l’avenue du Mont-Royal au passage du feu vert lorsqu’il a été fauché par un camion de 12 roues qui tournait à droite à partir de l’avenue du Parc, à Montréal.

Le chauffeur, qui a quitté les lieux du drame, a été déclaré coupable de « fuite à la suite d’un accident mortel » et a purgé neuf mois de prison à domicile. La peine tient compte du fait que le conducteur « n’a jamais été accusé d’avoir causé la mort de la victime » puisque celle-ci s’est trouvée dans un angle mort.

« L’utilisation de miroirs antéviseurs repose toujours sur une base volontaire », souligne le rapport de la coroner Morin, qui ajoute qu’un guide de bonnes pratiques a été élaboré par la SAAQ. « À ce jour, il n’est pas possible d’affirmer que [sa publication] a permis de diminuer le nombre de décès et d’accidents », constate-t-elle.

Mme Morin recommande notamment aux autorités de se pencher sur l’installation obligatoire « de miroirs antéviseurs ou d’une technologie de détection des usagers vulnérables de la route pour tous les véhicules lourds déjà en circulation au Québec, afin d’éviter d’autres décès ».

Dans son rapport, la coroner Morin fait siennes plusieurs des recommandations publiées par sa collègue Lyne Lamarre après la mort de Louise Chauvette, fauchée par un camion à benne le 21 juillet 2022 à Saint-Hyacinthe. Le conducteur affirme ne jamais avoir vu la piétonne de 65 ans lorsqu’il a effectué un virage à gauche à basse vitesse.

« À mon avis, s’il y avait eu des miroirs antéviseurs sur le camion à benne impliqué ou encore la présence d’une technologie de détection, le conducteur aurait, selon toute vraisemblance, pu voir (ou détecter) Mme Chauvette traverser la rue et son décès aurait pu être évité », peut-on lire dans le rapport.

Une solution « en attendant »

Pour l’instant, le ministère des Transports se fie à la bonne volonté de l’industrie du camionnage. « Dans l’objectif d’améliorer la sécurité des usagers vulnérables autour des véhicules lourds, la ministre Guilbault a intégré à son Plan d’action en sécurité routière 2023-2028 plusieurs mesures qui visent particulièrement les camions lourds », indique une porte-parole du cabinet de Geneviève Guilbault.

L’une des mesures pourrait notamment « mener à des modifications quant aux exigences pour les véhicules lourds circulant au Québec », note-t-elle.

L’Union européenne et l’État de New York font partie des régions qui ont adopté des règlements pour rendre obligatoires les miroirs antéviseurs ou des équipements technologiques de substitution.

Pour l’organisme Souliers et vélos fantômes Québec, les miroirs antéviseurs sont une solution, mais une « petite solution », en attendant que les camions soient soumis à des normes de construction plus strictes en matière de visibilité directe. Mais à choisir entre le statu quo et « installer des antéviseurs partout », le porte-parole Laurent Deslauriers n’a aucune hésitation quant à sa préférence : « installer des antéviseurs partout ».

Avec la collaboration de Bruno Marcotte, La Presse

Lisez notre dossier « À un miroir d’être en vie »

Ces coroners qui ont dit la même chose

  • Claude Paquin (2004)*
  • José-Luis Labarias (2006)
  • Guy Cavanagh (2008)
  • Jean-François Dorval (2010)
  • Jean Brochu (2011, 2023)
  • Catherine Rudel-Tessier (2013)
  • Pierre Bélisle (2019)
  • Karine Spénard (2019)
  • Marilynn Morin (2021)
  • Lyne Lamarre (2022)

* Entre parenthèses, date du décès faisant l’objet du rapport