Qui se trouve dans le viseur des jeux marqués du sceau de la lenteur ? Et à quel besoin répondent-ils ?

Montréal accueille plusieurs studios de développement misant sur ce genre, dont Impossible, en train de concocter Été, qui devrait être lancé le 23 juillet. Dans ce projet au graphisme original et séduisant, on incarne un touriste peintre visitant divers quartiers de la métropole québécoise. Le but est de répondre à des commandes d’habitants en composant des toiles uniques à partir d’éléments observés dans les décors. La fiche de présentation est sans équivoque : « Relaxant, sans violence, ni pression, ni échec possible ; profitez de l’été à votre rythme ! »

Le but est de transposer son plaisir du flânage et de la contemplation d’un Montréal estival en une expérience interactive, selon Lazlo Bonin, directeur créatif d’Été. Son public cible ? Plutôt les adultes, avec un humour et un côté ludique calibré pour eux. Mais il souligne qu’il existe des œuvres contemplatives vidéoludiques s’adressant aux enfants comme aux plus grands.

PHOTO HASAN AL SALMAN, FOURNIE PAR IMPOSSIBLE

Lazlo Bonin, directeur créatif du studio Impossible

Ces joueurs recherchent une expérience de détente, à jouer sans stress. De plus en plus de joueurs ont une certaine curiosité culturelle, aiment consommer du cinéma, du théâtre, de la nouvelle musique et cherchent à savoir ce qui se fait de différent en jeu vidéo.

Lazlo Bonin, directeur créatif du studio Impossible

Une intuition confirmée par la joueuse Nellie Brière, qui cherche un effet calmant dans ses activités vidéoludiques. « Dans mon travail, j’ai assez d’adrénaline comme ça. J’ai surtout besoin qu’elle retombe ! Il faut que ce soit visuellement très beau, avec une bonne ambiance sonore et un scénario riche, confie-t-elle. Ton cerveau est en action, mais pas dans une action stressée, plutôt sur la réflexion à long terme. »

Nellie a initié plusieurs amis au jeu vidéo par le truchement de ce type de titres, dont des femmes : « Beaucoup n’ont pas développé le plaisir du gaming, notamment parce qu’elles n’ont pas été socialisées pour vivre le côté compétitif du jeu vidéo. » Elle souligne aussi le côté social et convivial du genre, être un as du contrôleur n’étant pas indispensable pour s’amuser. « On peut alterner avec un ami, lui passer la manette, rester à côté pour regarder et quand même avoir du fun », dit-elle.

Les jeux au tempo ralenti offrent l’occasion de sortir de la logique dominante de la dopamine, basée sur des récompenses (nouvel équipement, armes, compétences…) et des objectifs à foison, estime Maxime Deslongchamps, chargé de cours à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) en création de jeux vidéo. « Un des paradigmes du jeu vidéo voit l’ennui comme le pire ennemi du joueur, qu’il faut stimuler constamment par peur d’un désengagement de sa part, dit-il. Les jeux plus contemplatifs vont aller chercher toute personne qui ne souhaite pas seulement mettre à l’épreuve ses compétences, mais trouver une manière de rencontrer des œuvres d’art, sous forme interactive, en maintenant l’engagement du joueur par une expérience narrative, immersive et esthétique beaucoup plus englobante. »

Jeux contemplatifs plus prisés

« Le marché du jeu vidéo reste très imprévisible, mais il y a eu un âge d’or des jeux plus contemplatifs et narratifs au début des années 2010, qui a vraiment ouvert la porte à ce genre d’expériences, pense par ailleurs Lazlo Bonin. Ça s’est ensuite raffiné et élargi. »

Nellie Brière dit également constater un engouement grandissant pour ce genre, voué à se développer, notamment avec la démocratisation des casques de réalité virtuelle (VR) : « Un jeu d’horreur immersif en réalité virtuelle, pour moi, c’est insupportable, bien trop stressant, avoue-t-elle. Par contre, un jeu où on peut explorer l’environnement dans ce mode-là, ça doit être vraiment incroyable. »

Maxime Deslongschamps se veut plus prudent, étant donné le haut volume de sorties annuelles. « Par contre, d’autres jeux embrassent la lenteur, comme les cozy games, soit des jeux décontractés ou relaxants, pointe-t-il. Ils impliquent généralement des jobs comme propriétaire d’un resto ou pêcheur, et sont souvent enrobés dans une esthétique rétro. »

Lazlo Bonin souhaiterait que, face aux raz-de-marée de sorties de jeux, les non-initiés puissent découvrir ce style particulier. « Le grand public n’est pas forcément au courant que d’autres options existent, ou bien il associe le jeu vidéo à quelque chose d’extrêmement stimulant ou compétitif, regrette-t-il. C’est dommage pour une partie des joueurs potentiels. »