(Batiscan) Des travaux effectués à Batiscan, en Mauricie, sur des terrains riverains du fleuve Saint-Laurent contreviendraient à la réglementation environnementale, dénonce la Fondation Rivières. Et ce n’est pas un cas isolé, estime l’organisme.

« Nous sommes d’avis que, bien que la majorité des travaux et aménagements observés entre 2019 et 2023 aient reçu des autorisations municipales, ceux-ci ne respectent pas le cadre réglementaire municipal et provincial », résume la Fondation dans un signalement écrit au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) en mars dernier.

La plainte consultée par La Presse parle de « travaux potentiellement illégaux réalisés sur le littoral du fleuve », dont la « réfection d’un talus existant en pierres concassées », et des « travaux de stabilisation de la rive (enrochement) ».

Le signalement porte sur quatre lots donnant sur la plage de Batiscan, à l’est du quai municipal. Un seul des lots a fait l’objet d’un certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement. Sur les trois autres, les travaux ont été faits en vertu de permis obtenus de la municipalité.

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Une partie de la plage de Batiscan

La réglementation provinciale sur les travaux effectués en rive, en littoral ou en zone inondable prévoit que certaines interventions nécessitent seulement une autorisation municipale.

Dans les trois cas signalés à Batiscan, toutefois, « la demande aurait dû être acheminée au ministère de l’Environnement parce que […] la municipalité n’a pas l’autorité de permettre des travaux de ce genre-là qui, à leur face même, empiètent sur la zone inondable », a fait valoir le directeur général de la Fondation Rivières, André Bélanger, en entrevue téléphonique.

Quant au quatrième lot, pour lequel le Ministère a octroyé un certificat d’autorisation, « les travaux qui ont été faits » ne correspondraient pas à « ce qui était dans l’autorisation », affirme M. Bélanger.

« Les inspections ont été réalisées sur les lieux le 24 mai dernier. […] Le Ministère effectue actuellement des vérifications complémentaires », nous a écrit une porte-parole régionale du MELCCFP, Sophie Gauthier, au début juin. Deux autres signalements en lien avec ce dossier ont été reçus depuis le début de l’année, a indiqué le Ministère.

« Phénomène plus large »

La plainte de la Fondation Rivières porte sur des permis et autorisations octroyés entre 2019 et 2023.

Jusqu’en mars 2022, les travaux en rive, en littoral ou en zone inondable étaient encadrés par la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables (PPRLPI). Son application par les municipalités avait « démontré des lacunes », a souligné le Ministère dans une analyse d’impact réglementaire. Depuis, c’est un régime transitoire qui s’applique.

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André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières

Le problème, c’est qu’on a délégué aux municipalités une responsabilité sans jamais assurer de surveillance.

André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières

Les MRC doivent publier la liste des permis donnés par les municipalités de leur territoire, mais ce n’est pas assez détaillé pour « donner aux citoyens le loisir de surveiller si la municipalité fait bien son travail ».

Batiscan, qui compte à peine plus de 1000 habitants, « est une illustration d’un phénomène plus large », estime le DG de la Fondation Rivières.

« Si on devait creuser dans chacune des municipalités, on découvrirait des cas où on a empiété sur des zones inondables et où personne n’a réagi », croit M. Bélanger.

« Et le maire et la municipalité se gardent de commentaires », nous a répondu le directeur général et greffier-trésorier de la municipalité, Maxime Déziel-Gervais, au téléphone à la fin mai.

Le maire de Batiscan, Christian Fortin, a été élu pour la première fois à ce poste en 2001. Il a remporté presque toutes ses élections depuis, à l’exception d’un mandat (de 2014 à 2017).

Le ministère de l’Environnement n’ayant pas encore annoncé de décision sur les plaintes, La Presse a choisi de ne pas fournir les numéros des lots concernés et de ne pas identifier leurs propriétaires. L’un d’eux nous a dit ne pas être au courant de l’enquête, et un autre a refusé de faire des commentaires. Un troisième n’a pas donné suite au message laissé à son bureau.

« Le gouvernement est conscient de l’ampleur, pour les municipalités, les citoyens et tous les acteurs, de ces changements successifs », écrit la porte-parole du Ministère. « Le gouvernement du Québec privilégie l’accompagnement plutôt que la coercition. »

« Des ressources limitées »

« Il y a un enjeu sur le plan de la gestion des zones riveraines dans les municipalités », souligne Shin Koseki, professeur adjoint à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, sans se prononcer sur le cas de Batiscan.

« Elles ont des ressources limitées, ce qui fait en sorte que ce n’est pas toujours possible d’avoir des inspecteurs qui vont faire une vérification des travaux après le projet. »

Et la capacité des inspecteurs de petites municipalités « à évaluer la correspondance entre le projet et l’autorisation est peut-être moins grande que si c’était un projet très classique de construction de bâtiments usuels ».

De plus, « les zones riveraines, ça représente souvent de très gros revenus en termes d’impôts fonciers », rappelle M. Koseki.

Donc le fait d’être assez souple avec des particuliers qui ont beaucoup de moyens […] n’est pas une chose très étonnante [ni] spécifique au Québec. C’est une logique qu’on retrouve un peu partout.

Shin Koseki, professeur adjoint à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal

Aux États-Unis et dans des pays d’Europe où « il y a un principe d’accessibilité des berges », on voit des propriétaires riverains « produire un enrochement pour éviter que des personnes puissent accéder aux berges », témoigne M. Koseki, qui est aussi titulaire de la Chaire UNESCO en paysage urbain, où il mène des recherches sur l’urbanisation des grands fleuves.

« Du coup, il y a vraiment une volonté de privatiser physiquement son terrain et, donc, se soustraire à ce principe d’accessibilité. »

Lisez la chronique d’Yves Boisvert « Lettre américaine – À qui appartient la plage »