De nombreux adultes adoptés au Québec pourront connaître leurs origines

À partir du 8 juin, en vertu d’un changement législatif, toute personne adulte qui a été adoptée au Québec pourra connaître les noms de ses parents biologiques, que ces derniers le veuillent ou non.

Ce qu’il faut savoir

  • Depuis sept ans, les personnes adoptées avaient accès à leur dossier, mais seulement si leurs parents biologiques n’avaient pas inscrit de veto.
  • À partir du 8 juin, fini le secret et le veto : toute personne adulte pourra connaître ses origines.
  • Par contre, aucunes retrouvailles ne seront forcées. De longs délais pour obtenir les réponses sont à prévoir.

Les personnes adoptées auront ainsi accès au nom de leur mère, mais aussi de leur père (qu’il ait ou non été reconnu officiellement) ou de leurs grands-parents s’ils sont inscrits dans le dossier. Des frères et sœurs pourront aussi être retrouvés, dans certains cas.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on estime qu’« entre 30 000 et 70 000 personnes adoptées pourraient présenter une demande », indique Marie-Claude Lacasse, coordonnatrice aux relations avec les médias.

Elle ne cache pas que, même si « les équipes se préparent à répondre à ce volume accru de demandes », des retards sont très prévisibles.

Parce que beaucoup de gens en même temps seront à la recherche de leurs origines, mais aussi parce que réunir toutes les informations (souvent très anciennes) sera compliqué dans plusieurs cas.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Fortin, présidente du Mouvement Retrouvailles

Comme le souligne Caroline Fortin, présidente du Mouvement Retrouvailles, le nombre de demandes sera gonflé par un grand nombre de descendants de personnes adoptées qui pourront aussi désormais obtenir des renseignements. (Par exemple, si notre père ou notre mère est décédé et qu’il ou elle était adopté, leurs enfants pourront obtenir les renseignements à leur sujet.)

Johanne Dionne fait partie de ce type de demandeurs. Sa mère, née en 1938 et adoptée en 1939, n’a appris la vérité qu’une fois à l’école, tout à fait par hasard.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Johanne Dionne

Ça a été un drame terrible pour elle, même si sa famille adoptive l’assurait qu’elle était aimée. Ma mère a passé sa vie à remuer ciel et terre pour connaître ses origines, en vain : sa mère biologique s’était opposée à toute retrouvaille ou divulgation de renseignement.

Johanne Dionne

Comme Mme Dionne est atteinte d’une maladie rare, elle pense que de connaître l’identité de ses grands-parents maternels pourrait lui procurer des informations importantes. Mais surtout, dit-elle, c’est par devoir de mémoire qu’elle entend présenter une demande. « Ma mère a souffert jusqu’à son lit de mort de ne pas savoir qui étaient ses parents. »

Fin du secret, fin du veto

Historiquement, au Québec, l’adoption s’est faite sous le sceau de la confidentialité, de sorte que l’identité des parents biologiques était tenue secrète, ce qui a toujours compliqué les recherches faites par des enfants (et compliqué aussi l’archivage des renseignements).

En 2017, le gouvernement libéral a fait un bout de chemin en permettant aux personnes adoptées d’avoir accès à leur dossier, mais seulement si leurs parents biologiques n’avaient pas inscrit de veto durant la période moratoire ou avant que l’enfant ne fasse sa demande. C’est ce veto qui saute aujourd’hui, parce que la quête de ses origines « correspond à un besoin humain fondamental », relève Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal et conseiller spécial du ministre de la Justice du Québec pour la réforme du droit de la famille.

Mais cela ne signifie pas pour autant que la personne adoptée « pourra s’immiscer dans la vie du parent qui ne le souhaite pas », ajoute-t-il.

Le Code civil permet toujours [au parent] d’inscrire un refus de contact afin que l’enfant ne puisse pas tenter d’une manière ou d’une autre d’entrer en communication avec lui. L’enfant qui ne respecterait pas ce refus de contact s’expose à de lourdes sanctions.

Alain Roy, conseiller spécial pour la réforme du droit de la famille

Isabelle – dont on préserve l’anonymat en raison de sa situation familiale – espère de son côté qu’elle pourra obtenir le nom de son frère aîné. « Ma mère l’a eu alors qu’elle n’était pas mariée. Comme cela se faisait souvent à l’époque, sous la pression de l’Église, elle a caché sa grossesse et elle a laissé son enfant en adoption. »

Sa mère et son père – aujourd’hui décédés – se sont ultimement mariés et ont eu trois autres enfants. « C’est par une tante que j’ai su que j’avais un frère quelque part. Quand j’en ai parlé à ma mère, elle s’est mise à pleurer et elle n’a plus jamais voulu en reparler. »

Tempérer les attentes

Pour sa part, Gilles Bourbonnière suggère à ceux qui s’apprêtent à faire des démarches d’espérer pour le mieux, mais de ne pas avoir de trop grandes attentes. Les personnes qui se retrouvent après des décennies ont eu une éducation souvent très différente, ce qui fait que ça peut coller… ou pas.

Dans son cas, c’est sa fille à lui qui l’a poussé à faire des recherches. « Moi, je n’en sentais pas le besoin, j’étais habitué à être orphelin », raconte-t-il en entrevue.

Car il l’a été presque toute sa vie. Quand sa mère, octogénaire, l’a retrouvé, elle a appris qu’il n’avait pas grandi dans une famille aimante comme elle en rêvait, mais qu’il avait été un orphelin de Duplessis ayant vécu en institution jusqu’à sa majorité.

Même s’il était bien grisonnant lors de leurs retrouvailles, sa mère ne pouvait pas s’empêcher de tenter de corriger ses petits travers, comme s’il était encore gamin. « Quand on se retrouve, il faut mettre de l’eau dans son vin ! », lance M. Bourbonnière.

Il est resté en contact étroit avec sa mère jusqu’à son décès, plusieurs années plus tard. Maintenant, c’est surtout avec sa sœur qu’il demeure en contact. « Je m’entends bien avec elle. »

Les personnes qui sont à la recherche d’un proche pourront, à partir du 8 juin, présenter une demande auprès du CISSS ou du CIUSSS de leur région – les informations se trouveront sur leur site internet. Les personnes adoptées à l’extérieur du Québec devront s’adresser au Secrétariat aux services internationaux à l’enfant (SASIE).