Ici, une tente aux abords des terrains de tennis d’un parc d’Ahuntsic. Là, un sans-abri âgé dort dans l’entrée d’une banque de la promenade Fleury. Le commissaire aux personnes en situation d’itinérance à la Ville de Montréal, Serge Lareault, a répondu à nos questions sur la présence des sans-abri dans les quartiers résidentiels.

Pourquoi y a-t-il de plus en plus de sans-abri dans les quartiers résidentiels, loin des grands refuges du centre-ville de Montréal ?

Si on regarde de façon globale, selon le dénombrement de 2022, il y a une augmentation de 33 % de l’itinérance visible à Montréal. On constate aussi un appauvrissement dans plusieurs secteurs de la ville ; dans plusieurs arrondissements. Il y a un manque de logements, l’augmentation des loyers, la hausse du coût de la vie. Des personnes s’appauvrissent jusqu’au point de devenir sans-abri. Elles n’ont pas nécessairement l’intention de quitter leur lieu de vie et d’aller dans le centre-ville.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Serge Lareault, commissaire aux personnes en situation d’itinérance à la Ville de Montréal

Historiquement, l’itinérance était au centre-ville ; les grands organismes s’y sont créés. Mais le centre-ville, c’est particulier ; c’est la vie active. C’est aussi le lieu où il y a beaucoup de vente de drogue. Ce n’est pas toutes les personnes de la rue qui ont envie de quitter leur secteur de la ville et de s’en aller vers ces ressources-là. C’est pour ça qu’il faut qu’on parle de plus en plus d’une équité territoriale, c’est-à-dire d’avoir des services un peu partout sur l’île de Montréal pour accommoder ces gens-là. On doit pouvoir offrir des services là où sont les personnes.

Qu’est-ce que cela peut créer comme tensions ?

Avec une augmentation de l’itinérance, une hausse des enjeux de santé mentale, la crise des opioïdes – des drogues de plus en plus fortes qui circulent –, cela déstabilise la population. Cette dernière vit un sentiment d’insécurité ; un inconfort aussi. Des gens sont choqués. Ils se disent : « voyons, il faut que l’État s’occupe des personnes », donc ça crée des enjeux de cohabitation. La plupart des personnes de la rue ne sont pas des personnes dangereuses. Ce sont des gens qui sont vulnérables, bien sûr, qui ont des difficultés, mais qui peuvent avoir des comportements qui inquiètent les autres. On doit favoriser la cohabitation, rassurer tout le monde et s’assurer que les services [aux sans-abri] cohabitent bien avec les autres services de proximité comme les commerces.

C’est important en tout cas de faire une place à ces personnes. S’il y a des résidences très proches, des CPE, des écoles, c’est sûr qu’il faut accorder une surveillance importante. Il faut s’assurer que les gens cohabitent bien. On doit aussi s’assurer qu’on est capable de s’occuper des personnes en situation de crise pour qu’elles se conforment aux usages qu’on doit tous avoir ensemble ; même si c’est proche, même si ce n’est pas toujours facile. Puis, ce sont des organisations qui sont récentes [dans les secteurs résidentiels]. Souvent, avec le temps, il y a une amélioration de la cohabitation.

Il faut combattre à la fois les risques d’incivilités, mais aussi le sentiment de peur qui n’est pas toujours justifié. Ce n’est pas simple. C’est pour ça qu’on a créé une équipe comme EMMIS – l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale – pour justement aider tout le monde, autant les personnes vulnérables que les résidants, à se connaître, à se comprendre et à pouvoir vivre ensemble.

Est-ce unique à Montréal comme phénomène ?

Le phénomène des rough sleepers – qu’on peut traduire par dormeurs de rue – et des campements, c’est quelque chose qui existe depuis plus de 20 ans dans l’Ouest américain et dans l’Ouest canadien. Avec l’augmentation de l’itinérance et de la pauvreté, on le voit de plus en plus à Montréal. Pour combattre cette grande précarité-là qui amène des gens à vouloir dormir dehors, il faut s’assurer qu’il y a assez d’hébergement d’urgence, qu’il y a du logement. On vit une crise du logement. On en a assez parlé dans les médias. On doit travailler sur tous ces fronts-là pour pouvoir offrir aux personnes d’autres options que de dormir dans la rue. On a doublé pendant la pandémie le nombre de lits d’hébergement d’urgence. Mais en même temps, les refuges ne doivent pas être un lieu permanent ; il faut une sortie des refuges. C’est pour ça que les villes supplient les paliers de gouvernement supérieurs d’augmenter le financement et d’accélérer la construction de logements sociaux. C’est ça qui, à la base, crée toute cette crise-là.

Montréal semble avoir fait un virage à 180 degrés sur les campements de personnes en situation d’itinérance. En janvier, en entrevue à La Presse, vous nous disiez qu’il fallait les démanteler pour des raisons de sécurité et de dignité humaine. Aujourd’hui, vous évoquez l’idée de faire des villages temporaires de minimaisons le temps de construire des logements sociaux. Qu’est-ce qui explique ce changement de cap ?

En fait, on est à la recherche de solutions. Ce qui est privilégié à Montréal, c’est d’avoir un cadre bâti solide, puis de faire de la densification. C’est sûr que ce qu’on vise, ce sont des immeubles de logements sociaux. En revanche, on sait tout le marasme qu’il y a actuellement sur l’évolution des programmes. C’est très lent en ce moment, construire du logement social. Est-ce qu’il y a des opportunités différentes ?

On le voit : pour accélérer une offre d’hébergement, plusieurs villes vont créer des parcs de roulottes, parfois de minimaisons. Il y en a d’autres, ce sont des unités temporaires, des abris, de l’hébergement individuel dans des parcs, sur des terrains. On voit plusieurs modèles dans les villes nord-américaines. On est à l’étape de la recherche. Ce n’est pas comparable à des campements, à des abris de fortune faits avec des planches de bois ou à des tentes qui ne sont pas équipées pour l’hiver.

À Windsor, en Ontario, ou à Halifax, en Nouvelle-Écosse, on a mis des unités modulaires qui permettent d’héberger des gens en attendant de construire de plus vastes ensembles de logements sociaux. On regarde ce concept-là, qui est très particulier. On a aussi démarré un comité ad hoc sur les besoins des personnes qui n’accèdent pas à l’hébergement d’urgence ni au logement. On parle des campeurs, mais aussi des gens qui dorment dans les entrées de commerce. Est-ce que ce type de projet d’unités modulaires peut les aider ? Avec l’augmentation de l’itinérance, il faut augmenter nos services. Dans ce comité, il y a des experts du milieu communautaire, de la Ville et du secteur de la santé qui vont regarder quelles sont les meilleures pratiques ailleurs dans le monde et ce qu’on peut faire à Montréal pour aider ces gens isolés, désaffiliés du système, qui dorment dans la rue.

* Les propos de l’intervenant ont été abrégés à des fins de concision.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Campement sur la rue Notre-Dame, dans Hochelaga-Maisonneuve