L’an dernier, l’équivalent de 16 % des véhicules neufs au Québec étaient électriques. Question : atteindra-t-on les 45 % exigés dans trois ans ? Ou encore 75 % dans cinq ans ?1

La réponse est importante, car elle figure dans l’ambitieux plan du gouvernement du Québec pour réduire nos GES. Et la cible de 45 % n’est pas esthétique : si les manufacturiers ne l’atteignant pas, ils devront payer une lourde pénalité, l’équivalent de 20 000 $ par voiture non vendue sous la cible.

Dit autrement, pour chaque tranche de 100 véhicules vendus, si la cible gouvernementale est de 22 véhicules électriques, un manufacturier qui n’en écoulerait que 19 devrait payer 60 000 $ de pénalités. Ouch !

Cette cible de 22 %, justement, est le niveau exigé par le Québec pour l’année modèle 2025, que les concessionnaires commencent à vendre ces jours-ci. Et cette cible bondit avec les années.2

Remarquez que le Québec n’est pas le seul à imposer cette exigeante norme VZE, sigle pour véhicules zéro émission. Le gouvernement fédéral a lancé une norme très semblable dernièrement, comme l’avaient fait la Colombie-Britannique et le Québec.

Et aux États-Unis, onze États ont également une norme VZE, dont la Californie, le Colorado, le Massachusetts, le Nouveau-Mexique et l’État de New York. D’ici 2027, donc, plus de 40 % du marché nord-américain imposera des amendes salées en cas de non-respect des cibles.3

L’objectif ultime de ces cibles est d’inciter les constructeurs à mettre les bouchées doubles pour produire des véhicules électriques (VE). Et à les contraindre soit à réduire le prix des VE pour en augmenter les ventes, soit à hausser le prix des VUS polluants pour financer les pénalités de 20 000 $.4

Deux vents contraires soufflent toutefois sur ces objectifs. D’abord, la croissance des ventes de VE ralentit dans le monde, notamment en raison du coût élevé des véhicules. Certains manufacturiers, comme Ford, ont d’ailleurs réduit la production prévue.

Ensuite, les experts peinent à voir comment les manufacturiers parviendront à prendre un virage aussi rapidement, compte tenu des capacités de production.

Une récente étude de l’Institut C. D. Howe5 conclut qu’à partir de 2028, la demande en VE ne pourra être satisfaite, vu le rythme de construction attendu des usines et l’impact sur les chaînes de production. Elle estime même qu’en 2035 – moment où 100 % des nouveaux véhicules devraient être électriques selon les réglementations – la moitié des ventes de VE ne pourra être comblée.

L’auteur Brian Livingston fait remarquer que la norme VZE aux États-Unis et les politiques environnementalistes risquent d’y attirer les ventes, provoquant une rupture de stock au Canada. « Les décideurs politiques feraient mieux de renoncer à la cible parfaite de 100 % de VZE et accepter une cible plus réaliste, qui offre tout de même de bons résultats », écrit-il.

L’exigence de la cible résonne particulièrement au Québec. Certains environnementalistes jugent que la barre est placée trop bas, compte tenu de l’urgence climatique maintes fois démontrée. Mais cette cible demeure la plus contraignante des États nord-américains que j’ai pu comparer.

Par exemple, en 2027, la cible est de 45 % au Québec contre 35 % en Californie. Ou encore 75 % en 2029 contre 63 % en Californie.

Au Québec, les VE ont accaparé environ 16 % des ventes de véhicules neufs en 2023, soit une plus grosse part qu’ailleurs au Canada, exception faite de la Colombie-Britannique (18 %).1

Et on peut s’attendre à un petit boom de la demande au Québec avant que la subvention du programme Roulez vert soit abolie, fin 2026, mais qu’arrivera-t-il après ?

Chez les concessionnaires, la fin de Roulez vert est un choc. « La décision d’abandonner les subventions à l’achat, tout en maintenant les pénalités associées aux cibles, est un désaveu majeur du gouvernement du Québec », fait valoir la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec, selon qui la parité des prix des véhicules électriques et à essence est loin d’être atteinte.

Comme les concessionnaires, les constructeurs d’autos critiquent aussi la fin de Roulez vert. Quant aux cibles contraignantes et aux pénalités de 20 000 $, ils jugent qu’elles pourraient provoquer des effets pervers.

Par exemple, certains constructeurs pourraient préférer réduire leurs ventes de véhicules à essence au Québec comme moyen d’éviter les pénalités, plutôt que d’augmenter les ventes de VE. Dit autrement, des constructeurs pourraient jouer sur le dénominateur de l’équation des cibles de VE plutôt que le numérateur, ce qui risque de provoquer des ruptures de stock de véhicules à essence.

« On offrirait moins de choix aux consommateurs et ça ferait mal aux concessionnaires et à l’économie », me dit Patrick Maltais, directeur des affaires québécoises de l’association Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada.

Selon M. Maltais, il n’est guère possible de vendre au Québec des VE plus petits et moins chers, comme en Europe (par exemple la Volkswagen ID3). Pourquoi ? Parce que même s’il y avait un certain marché pour ces VE plus petits, c’est la demande nord-américaine qui dicte les décisions des manufacturiers, et cette demande boude les petits véhicules.

Au ministère de l’Environnement du Québec, on est tout de même optimiste sur l’atteinte des cibles contraignantes. D’abord, plusieurs constructeurs ont d’importants crédits en banque pour les VE vendus dans le passé, qui peuvent s’appliquer aux cibles futures.

Ensuite, les prix des VE finiront par baisser, parie le ministère, comme c’est le cas pour toutes les nouvelles technologies, et des modèles plus abordables seront offerts. Enfin, le gouvernement s’assure d’augmenter rapidement le réseau de recharge, qui donnera confiance aux consommateurs.

« Nous sommes confiants de voir une majorité de manufacturiers se conformer aux ambitieuses exigences de la norme VZE », m’écrit un attaché politique.

Ma question demeure, malgré tout : atteindra-t-on les 45 % exigés dans trois ans ? Un cul-de-sac est en vue, selon moi.

1. Dans cette proportion de 16 % pour 2023, un véhicule hybride branchable équivaut à un demi véhicule électrique, comme le veut la norme véhicules zéro émission (VZE) du Québec de 2025. À partir de l’année modèle 2025, seules les hybrides branchables de plus de 80 km d’autonomie électrique auront droit à ce demi-crédit (un crédit partiel sera accordé pour les hybrides branchables entre 50 et 80 km d’autonomie jusqu’en 2027).

2. Les petits constructeurs (qui vendent moins de 4500 véhicules par année au Québec) ne sont pas assujettis à la loi. C’est le cas de Jaguar, Land Rover, Porsche et Volvo.

3. Consultez « La norme sur la disponibilité des véhicules électriques du Canada »

4. Les manufacturiers peuvent aussi acheter les crédits manquants à d’autres constructeurs qui en ont trop – genre Tesla –, mais la progression des exigences gouvernementales est telle d’ici trois ans que cette échappatoire, en quelque sorte, ne sera plus possible.

5. Consultez l’étude de l’Institut C. D. Howe (en anglais)