Les experts en communication et en écoblanchiment affirment que l’industrie pétrolière et gazière joue un jeu risqué en supprimant complètement les affirmations environnementales de ses sites web et ses réseaux sociaux en réponse à une nouvelle loi, mais ils ajoutent que les opinions des Canadiens sont déjà si divisées que ces mesures pourraient avoir peu d’effet.

Le groupe d’entreprises de sables bitumineux Alliance nouvelles voies a supprimé tout le contenu de ses plateformes tandis que d’autres entreprises ont modifié leurs sites web après l’adoption de nouvelles modifications sur l’écoblanchiment dans le cadre d’une mise à jour de la Loi sur la concurrence.

Les dirigeants des six sociétés d’exploitation des sables bitumineux à l’origine d’Alliance nouvelles voies ont publié jeudi soir un communiqué affirmant que la loi, qui oblige les entreprises à étayer leurs affirmations environnementales par des preuves, représente une menace sérieuse à la liberté de communication.

Sarbjit Kaur, cofondatrice de KPW Communications, affirme que la stratégie de l’industrie est très risquée.

On pourrait avoir l’impression que soit leurs affirmations environnementales sont fausses et infondées et qu’ils ont toujours induit le public en erreur, soit qu’ils ne respectent pas la législation conçue pour garantir que les Canadiens obtiennent des informations exactes et véridiques.

Sarbjit Kaur, cofondatrice de KPW Communications

Elle a déclaré qu’à l’ère de la désinformation, il est plus important que jamais que les affirmations soient étayées. « Toute réticence à le faire a un mauvais effet sur une industrie ou une organisation. »

Une porte ouverte à des litiges frivoles ?

Les dirigeants derrière Alliance nouvelles voies ont expliqué que les normes de divulgation publique du projet de loi sont si vagues qu’elles manquent de sens et s’appuient sur une méthodologie reconnue à l’échelle internationale indéterminée qui « peut exister ou non ».

Ils ont déclaré que la loi ouvre la porte à des litiges frivoles, car elle permet à des groupes extérieurs de lancer des efforts pour faire appliquer la loi par le biais du système judiciaire.

« Le résultat de cette loi, qui a rapidement été mise en œuvre sans ou avec très peu de consultation, a pour but de réduire au silence les entreprises canadiennes qui adoptent des mesures contre les changements climatiques », ont déclaré les dirigeants de Canadian Natural, Impérial, MEG Energy, Cenovus Energy, ConocoPhillips Canada, Suncor Énergie, et Alliance nouvelles voies dans le communiqué.

La modification de la loi suit toutefois des modèles établis de règles de concurrence, a fait valoir Wren Montgomery, professeure agrégée de développement durable à l’Ivey Business School de l’Université Western, qui étudie l’écoblanchiment.

Ce que le Bureau de la concurrence a toujours fait, c’est de s’assurer que les entreprises ne trompent pas ou ne mentent pas aux Canadiens.

Wren Montgomery, professeure agrégée de développement durable

Elle a expliqué qu’il existe de nombreuses méthodologies reconnues au niveau international pour garantir que les entreprises soutiennent leurs affirmations, comme l’initiative Science Based Targets qui définit des lignes directrices sur ce à quoi ressemble un objectif légitime de zéro émission nette.

« Il existe de nombreux moyens simples permettant aux entreprises qui apportent des changements légitimes à l’environnement de présenter des rapports selon des normes acceptables pour prouver qu’elles le font », a soutenu Mme Montgomery.

Elle a relevé qu’il y avait une certaine flexibilité dans le libellé de la loi pour donner au Bureau de la concurrence la possibilité de s’adapter à mesure que les normes évoluent, mais qu’il était important d’avoir les mots « internationalement reconnu » pour éviter l’utilisation de petites normes, souvent financées par l’industrie, qui pourraient établir une barre basse.

Cette mise à jour est également importante, a ajouté Mme Montgomery, car il y a eu une augmentation des soi-disant lavages futurs, ou des promesses de meilleurs résultats environnementaux à venir, qui se sont jusqu’à présent révélés difficiles à contrôler.

Concernant les poursuites frivoles, elle a précisé qu’un tribunal de la concurrence examinerait les cas avant qu’ils ne soient portés devant les tribunaux pour s’assurer qu’ils sont légitimes.

Des consommateurs très avisés

Wren Montgomery a déclaré que les Canadiens, en particulier les jeunes consommateurs, sont très avisés et n’aiment pas l’hypocrisie, et qu’ils considéreront la décision de l’industrie comme une confirmation de leurs soupçons.

« Je pense que ce qu’ils vont penser, c’est : “Hé, nous avions raison. Toutes ces affirmations n’étaient pas légitimes ou n’étaient pas étayées par des preuves.” »

Même si la décision des sociétés pétrolières et gazières peut servir à confirmer les points de vue existants des sceptiques, elle renforcera également les opinions favorables à l’industrie, a déclaré Joanne McNeish, professeure agrégée de marketing à la Ted Rogers School of Business de l’Université métropolitaine de Toronto.

« J’imagine que cela n’aura aucun effet sur les opinions, puisque les Canadiens ont déjà leur perception de l’industrie pétrolière et gazière », a-t-elle indiqué par courriel.

Elle a déclaré qu’il peut être beaucoup plus difficile de soutenir les allégations environnementales lorsqu’une entreprise essaie de rendre compte de ses chaînes d’approvisionnement et de ses partenaires industriels. La suppression des réclamations de l’industrie témoigne de l’incertitude que ressentent les entreprises quant aux implications du projet de loi et pourrait conduire à une réduction des efforts de communication à l’avenir.

« Ils ont tenté d’expliquer la complexité de ces questions et sont toujours critiqués », a-t-elle pointé.

Shane Gunster, professeur à l’École des communications de l’Université Simon Fraser, pense également que cette décision sera examinée de près du point de vue politique.

« Je soupçonne que d’une certaine manière, ceux de droite trouveront presque utile de pouvoir dire, eh bien, voici un autre exemple de liberté d’expression, ou de liberté plus largement écrasée. »

Mais il a ajouté qu’en termes de persuasion du grand public, qui ne suit pas ces questions de très près, il est plus probable que la population y verra une confirmation de ses soupçons sur l’industrie.

Nettoyer votre site web et le rendre obscur pourrait vraiment soulever des questions chez ces personnes, en particulier dans la mesure où cela correspond à une sorte de compréhension sociale plus large du rôle que l’industrie pétrolière et gazière a joué historiquement dans la culture du déni climatique.

Shane Gunter, professeur à l’École des communications de l’Université Simon Fraser

Les membres d’Alliance nouvelles voies ont souligné que cette décision ne changeait pas leurs engagements environnementaux, mais M. Gunster a rappelé que le passé de l’industrie pétrolière et gazière mondiale laisse beaucoup de gens sceptiques.

« Je pense vraiment que les gens vont probablement s’appuyer sur ce qu’ils pensent déjà concernant le rôle de l’industrie pétrolière et gazière dans le greenwashing, et le rôle de l’industrie pétrolière et gazière dans le scepticisme ou le déni climatique », a-t-il déclaré. « C’est juste que les preuves historiques de ce qu’ils ont fait sont extrêmement accablantes. »

Note aux lecteurs :
Dans une dépêche transmise vendredi, La Presse Canadienne a mal identifié le professeur de l’École des communication de l’Université Simon Fraser. Il s’agit de Shane Gunster, et non Shane Gunter.