Les incendies de forêt extrêmes sont deux fois plus nombreux qu’il y a 20 ans, selon une nouvelle étude australienne. Sur la Côte-Nord et dans le Grand Nord du Québec, l’augmentation est encore plus importante. La Presse s’est entretenue avec l’auteur principal de l’étude.

Quelle est la nouveauté de l’étude ?

« Il y a eu d’autres études sur l’augmentation du nombre d’incendies de forêt, de leur superficie moyenne », explique l’auteur principal de l’étude publiée lundi dans la revue Nature Ecology & Evolution, Calum Cunningham, de l’Université de Tasmanie. « Mais la moyenne ne nous dit pas grand-chose sur les incendies les plus dévastateurs, qui sont des catastrophes naturelles. Alors nous nous sommes concentrés sur les extrêmes. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DE TASMANIE

L’auteur principal de l’étude publiée lundi dans la revue Nature Ecology & Evolution, Calum Cunningham

Avec 20 ans de données satellites, les chercheurs australiens ont évalué les incendies extrêmes, ce qui ne représente que 0,01 % du total des incendies de forêt. Parmi ce groupe, les incendies survenus en 2023 sont deux fois plus fréquents que ceux de 2003. « Six des sept dernières années sont parmi les plus extrêmes », dit M. Cunningham.

Avant 2003, il n’y avait pas de données satellites comparables pour évaluer l’intensité des feux. Les incendies de forêt du Grand Nord québécois de l’été dernier faisaient partie de cette catégorie.

Pourquoi s’intéresser aux incendies de forêt les plus intenses ?

Martin Girardin, un chercheur du Service canadien des forêts qui a publié l’hiver dernier dans la revue Communications Earth & Environment une étude sur les incendies de forêt des 12 000 dernières années au Québec, confirme que cette approche est une innovation intéressante.

« Ils ont regardé l’intensité de l’énergie dégagée par les incendies de forêt, dit M. Girardin. On parle du 99,99e percentile, c’est vraiment extrême. Il est intéressant que ces feux plus intenses soient en augmentation. »

Ce sont les incendies qui relâchent le plus de CO2 dans l’atmosphère, parce qu’ils peuvent brûler l’humus jusqu’au sol non organique, selon M. Cunningham. Et ils ont un effet disproportionné sur les écosystèmes. Les méga-incendies australiens de 2019 et 2020, par exemple, ont éliminé 2,8 milliards d’invertébrés et l’aire de répartition complète de 116 plantes, selon une étude de 2021 citée par celle de M. Cunningham.

Quelle est la situation au Québec ?

Selon la classification des forêts utilisée par M. Cunningham, le nord de la province – selon une ligne allant à peu près de Tadoussac à Rouyn-Noranda – est composé de forêt boréale et de taïga, la catégorie la plus touchée par l’augmentation des incendies extrêmes : ils sont sept fois plus fréquents qu’il y a 20 ans.

Le sud du Québec, lui, est dans une catégorie qui n’a presque pas connu d’augmentation de ces incendies extrêmes.

Dans l’ouest du Canada, on trouve une autre catégorie de forêts particulièrement touchée par l’augmentation des extrêmes, avec une fréquence 11 fois plus élevée.

Les forêts boréales se retrouvent aussi en Russie. « [La situation] est à peu près semblable en Russie et en Amérique du Nord », explique M. Cunningham.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Incendie dans la région de la Baie James, en août dernier

Est-ce que les efforts plus importants pour combattre les incendies de forêt peuvent avoir faussé les données ?

Potentiellement, mais dans le cas des forêts très au nord, souvent, ils ne sont pas combattus, note M. Cunningham. « C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de la lutte contre les incendies de forêt : plus on supprime rapidement les feux, plus ils laissent derrière eux du combustible qui s’accumule, et plus on a un risque d’incendies encore plus intenses. »

M. Girardin pense que les incendies aussi intenses sont rarement combattus. « Une fois qu’un incendie est devenu très, très intense, il n’y a rien à faire, on doit retirer l’équipement et les pompiers, c’est trop dangereux. Même les avions n’y peuvent rien. »

Que peut-on faire de plus pour lutter contre ces incendies intenses ?

En Australie, les autorités envisagent d’utiliser les herbivores, comme les kangourous et les lapins, pour manger la végétation et limiter le combustible disponible. « Ça donne un argument de plus pour la préservation de ces espèces », dit M. Cunningham.

Une étude canadienne récente a montré des progrès dans le calcul de la direction de propagation des incendies, note M. Girardin. Et il y a des programmes de brûlis contrôlés, pour limiter encore plus la quantité de combustible disponible. « Mais on ne peut pas faire ça sur les grandes régions sauvages où surviennent la plupart des grands incendies. »

En savoir plus
  • 568 000 hectares
    Superficie des incendies de forêt au Canada au 19 juin 2024
    source : ressources naturelles canada
    6 millions d’hectares
    Superficie des incendies de forêt au Canada au 21 juin 2023
    source : ressources naturelles canada