La ministre des Transports ET de la Mobilité durable (ne l’oublions pas) a prouvé cette semaine qu’elle n’avait pas le pouce vert.

Selon Geneviève Guilbault, gérer le transport collectif « n’est pas une mission de l’État ». Chacun « doit gérer sa fougère ».

Heu, pardon ?

Son expression a fait tiquer. D’abord parce que les Québécois qui n’ont pas d’enfants en bas âge ne connaissaient pas la référence à Gère ta fougère, un album humoristique qui apprend aux jeunes à se mêler de leurs affaires. On remercie la ministre de cultiver ainsi la culture québécoise et de mettre en lumière une charmante expression qui mérite de s’implanter dans notre vocabulaire.

Après les fleurs, le pot.

Beaucoup plus fondamentalement, si la répartie de Geneviève Guilbault a fait tiquer, c’est qu’elle témoigne du manque de volonté de la Coalition avenir Québec (CAQ) de trouver des solutions au grave enjeu du financement du transport collectif.

Quoi qu’en dise le gouvernement, c’est bel et bien de son ressort.

Oh, bien sûr, personne ne demande à Québec de s’occuper des horaires d’autobus ou des pannes de métro. La gestion quotidienne n’est pas son mandat. Tout de même, on comprend le gouvernement de demander aux villes et à leurs sociétés de transport d’exercer une gestion serrée de leurs opérations.

Dans cette optique, le premier ministre François Legault n’a pas manqué de rappeler que les employés des municipalités gagnent 30 % de plus que ceux du provincial. Ceux des sociétés de transport s’en tirent d’ailleurs très bien. À Montréal, Laval et Longueuil, les chauffeurs d’autobus ont une rémunération globale (en incluant les avantages sociaux) de plus de 100 000 $1.

Toutefois, Québec ne peut pas dire qu’il n’a rien à voir avec le déficit monstre des sociétés de transport. Juste dans le Grand Montréal, le trou est de 561 millions pour 2025.

Quand le gouvernement a lancé le projet de REM, c’était écrit dans le ciel qu’il ferait exploser les coûts d’exploitation, sans faire grimper les revenus tarifaires d’autant, car beaucoup d’utilisateurs prenaient déjà les transports collectifs. Autrement dit, le nouveau REM a cannibalisé l’ancienne clientèle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La construction d’un nouveau réseau de transport en commun, comme le REM, ne se traduit pas nécessairement par une hausse des revenus tarifaires.

Il s’agit d’un problème structurel qui existait bien avant que la COVID-19 fasse chuter l’achalandage, creusant davantage le déficit des sociétés de transport.

Le même enjeu se reproduira avec la ligne bleue du métro de Montréal, le tramway à Québec, l’électrification des autobus…

Alors avant de lancer d’autres projets, il faut savoir qui va payer pour les faire rouler.

Les usagers ?

Les nouvelles infrastructures coûtent si cher à exploiter qu’on ne peut pas demander aux utilisateurs de couvrir le tiers de la facture, comme dans le passé, car les tarifs deviendraient prohibitifs.

Surtout que c’est l’ensemble de la clientèle qui écoperait, car le tarif est le même partout sur l’île de Montréal, sans égard au mode de transport emprunté. Ainsi, l’écolier qui prend l’autobus pour aller à l’école à quelques minutes de la maison se trouverait à « subventionner » indûment le travailleur qui prend le REM pour aller à Sainte-Anne-de-Bellevue.

Qui d’autre peut payer ? Les villes ?

En décembre dernier, la CAQ a adopté un projet de loi qui donne le pouvoir aux municipalités d’augmenter le coût de l’immatriculation des véhicules pour financer les transports collectifs. Plusieurs l’ont fait. C’est un pas dans la bonne direction.

À Montréal, les élus qui lanceront des consultations le 6 mai ont mis d’autres options sur la table, notamment une hausse des taxes municipales.

Mais au moment où l’on gratte les fonds de tiroirs, on s’explique mal pourquoi la Ville de Montréal vient de rendre les transports collectifs gratuits pour les 65 ans et plus, alors que plusieurs d’entre eux ont les moyens de payer, se privant ainsi de 40 millions de dollars par année.

Et Québec dans tout ça ?

Le gouvernement pourrait faire bouger le compteur grâce à l’écofiscalité, qui reste sous-utilisée au Québec.

Minimalement, on pourrait indexer les mesures existantes, comme la contribution de 30 $ payable au renouvellement de l’immatriculation, dans les régions où il y a du transport collectif, qui n’a pas bougé depuis 1992. Ou comme la taxe provinciale de 19 cents sur le carburant, qui n’a pas non plus été indexée depuis 2013.

Le moment serait particulièrement bien choisi pour relever ces taxes sans faire trop mal aux automobilistes qui bénéficient depuis trois ans d’un congé de paiement de la contribution d’assurance associée à leur permis de conduire, puisque les accidents ont été moins nombreux. Juste pour 2024, cela représente des économies de 600 millions pour les conducteurs.

De quoi donner un fameux coup de main au transport collectif !

Chose certaine, Québec ne peut pas s’en laver les mains. Le transport collectif est un pilier de la lutte contre les changements climatiques qui concerne tous les Québécois, pas seulement ceux qui vivent en ville. On l’a vu l’été dernier lorsque les incendies de forêt, les glissements de terrain et autres calamités météorologiques ont bouleversé nos vies, partout à travers la province.

Pour l’instant, les mesures mises en place par la CAQ dans son Plan pour une économie verte (PEV) ne permettent d’atteindre que 60 % de notre objectif de réduction des gaz à effet de serre en 20302. Mais 2030, c’est demain matin ! Pour l’avenir de nos enfants, il est grand temps qu’on gère notre fougère.

1. Lisez la chronique « Transport collectif : les déficits et la paye des chauffeurs d’autobus » 2. Consultez le rapport gouvernemental Chantier sur le financement de la mobilité durable. Politique de mobilité durable – 2030