Qu’il parle du conflit israélo-palestinien ou de n’importe quel autre enjeu litigieux, tout élu a droit à son opinion. Mais a-t-il le droit de faire des déclarations racistes ?

Je me suis posé la question en prenant connaissance de la déclaration troublante du maire de Hampstead, Jeremy Levi, qui demande au Canada de fermer ses portes aux réfugiés palestiniens de la bande de Gaza tentant de survivre à l’horreur.

« Vu le comportement récent du groupe propalestinien, le Canada devrait reconsidérer son plan d’immigration pour les Gazaouis. Leurs valeurs semblent incompatibles avec les nôtres et je ne souhaite pas accueillir plus de haine dans notre pays », a-t-il écrit sur X, mercredi.

Je ne souhaite pas non plus davantage de haine dans notre société, peu importe la forme qu’elle prend. Que l’on parle de haine à l’égard des Juifs ou de haine à l’égard des Palestiniens, on parle de la même haine qui doit être combattue.

Mais lutte-t-on vraiment contre la haine en tenant soi-même des propos qui sèment la haine et déshumanisent tout un peuple qui est en train de mourir à Gaza ?

De tels propos sont-ils vraiment compatibles avec la fonction d’un élu, tenu de représenter avec équité et respect tous les citoyens de sa municipalité ?

« Je suis scandalisée qu’un élu tienne un discours aussi irresponsable !!! Nous devons combattre avec fermeté l’antisémitisme et le racisme », a réagi sur X la députée solidaire Ruba Ghazal, en demandant au maire de Hampstead de faire un « sérieux examen de conscience ».

Loin de se lancer dans un tel examen, Jeremy Levi, visiblement heureux de l’attention obtenue par sa déclaration, en a plutôt rajouté une couche.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE JEREMY LEVI

Jeremy Levi, maire de Hampstead

En entrevue avec Le Devoir, le maire s’est défendu d’avoir tenu des propos racistes à l’égard des Palestiniens. La ville de Hampstead compte une grande communauté juive et plusieurs citoyens y vivent dans la peur depuis les attentats terroristes du Hamas du 7 octobre, a-t-il expliqué. En demandant de fermer la porte aux Palestiniens de Gaza, il n’est pas motivé par la haine, mais bien par la volonté de « protéger sa communauté », a-t-il dit1.

S’il est indéniable que l’antisémitisme existe dans notre société et que l’on doit tous s’en inquiéter, un racisme n’en excuse pas un autre, souligne Ruba Ghazal. « On ne protège pas ses citoyens en tenant des propos incendiaires sur les Palestiniens. »

Le premier ministre François Legault s’est contenté de réagir en disant qu’il n’était « pas d’accord » avec les propos de l’élu montréalais, comme si le racisme était une opinion comme une autre. Lui qui est toujours prompt à défendre les « valeurs québécoises », il n’a pas cru bon rappeler ici que le racisme ou l’hostilité à l’égard d’un groupe de la société n’en font pas partie.

« Qu’est-ce qu’il y a de raciste ? », a demandé le maire de Hampstead dans Le Devoir.

Qu’est-ce qu’il y a de raciste ? Remplacez le mot « Gazaouis » par « Juifs » dans le discours du maire et vous verrez tout de suite ce qu’il y a de raciste dans de tels propos qui font écho aux heures les plus sombres de l’Histoire.

Comme l’a justement noté le porte-parole de Voix juives indépendantes, Niall Clapham Ricardo, il est navrant de voir une personne juive reprendre en parlant des Palestiniens des discours semblables à ceux que l’on pouvait lire dans des années 1920, 1930 ou 1940 à propos des immigrants en général, et des Juifs en particulier, perçus eux aussi comme « incompatibles » avec la société d’accueil.

« [Nous] ne devons pas ouvrir le pays à des étrangers, citoyens canadiens de demain, dont les idées sociales, les mœurs et les instincts effriteraient davantage les assisses de la nationalité canadienne, déjà si profondément ébranlée », lit-on dans un éditorial du Devoir de 1922.

En 1943, un autre éditorial du Devoir met en garde les lecteurs contre « l’invasion massive » d’immigrants européens, juifs notamment, considérée comme une « gigantesque agression pacifique, plus redoutable peut-être qu’une attaque armée parce que plus sourde ». On s’y inquiète qu’un plan des Nations unies prie le Canada de « donner asile à ces masses d’Hébreux, au nom de l’humanité […] ». Des Juifs qui, craint l’éditorialiste, constituent une menace pour la nation « avec leur fécondité proverbiale et leur solidarité millénaire2 ».

On se rappellera par ailleurs, quatre ans auparavant, l’histoire tragique du MS Saint Louis, ce bateau transportant des passagers juifs fuyant l’Allemagne nazie qui, après s’être vu refuser l’entrée au Canada, ont été renvoyés en Europe. Largués par des politiques migratoires enracinées dans l’antisémitisme, plus de 250 d’entre eux ont péri dans l’Holocauste3.

Quatre-vingt-cinq ans plus tard, les Gazaouis fuyant un génocide annoncé se butent aussi, au péril de leur vie, à une porte fermée de la part d’Ottawa, même si on la prétend ouverte. Quatre mois après avoir lancé un programme offrant 1000 visas de résidence temporaire à des Palestiniens de Gaza ayant de la famille au Canada, aucun n’a réussi à mettre les pieds au pays. De l’aveu même du ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, le programme est un échec. Combien, comme la fille de Samar Alkhdour, mourront encore en attendant un feu vert d’Ottawa qui ne viendra pas4 ?

Dans un tel contexte, qu’un élu agite les pires fantômes du passé pour prier Ottawa de fermer une porte faussement ouverte à des hommes, des femmes et des enfants en quête de paix, d’espoir et de dignité, dépasse l’entendement.

1. Lisez l’article du Devoir

2. Toutes les citations sont tirées du livre À chacun ses Juifs : 60 éditoriaux pour comprendre la position du Devoir à l’égard des Juifs (1910-1947), Pierre Anctil, Septentrion, 2014.

3. Consultez l’histoire du MS Saint-Louis 4. Lisez « Regarder les Gazaouis mourir »