Clarifions d’abord une chose : j’aime beaucoup mon collègue Patrick Lagacé, presque autant que j’aime les Îles-de-la-Madeleine, ce qui n’est pas peu dire. C’est un gars brillant, avec qui je me trouve à être d’accord la plupart du temps. Mais pas cette fois-ci.

Je vous parle du coup de gueule de Patrick publié mardi sur la Passe Archipel, une redevance de 30 $ qui sera dorénavant imposée à chaque visiteur des Îles-de-la-Madeleine, de mai à octobre.

Patrick n’y voit rien de moins qu’un « précédent liberticide ». Pas moi. J’y vois simplement une mesure visant à aider une communauté insulaire à préserver son magnifique territoire – si magnifique que des hordes de Québécois s’y ruent chaque été, au risque de le rendre… pas mal moins magnifique.

« Il n’existe aucun endroit au Québec où des Québécois doivent payer pour accéder à une portion du territoire », écrit Patrick. Il en coûte pourtant 9,55 $ par jour pour accéder à un parc national (ou 86 $ pour un accès annuel). Les recettes permettent de conserver des territoires protégés exceptionnels.

C’est le même principe qui a guidé la municipalité des Îles-de-la-Madeleine lors de l’élaboration de la Passe Archipel. « C’est une mesure pour la préservation d’un territoire fragile, prisé et aimé d’un paquet de gens au Québec », m’explique en entrevue le maire, Antonin Valiquette.

Sa municipalité ne compte que 13 000  habitants, mais reçoit plus de 60 000 visiteurs chaque été. « Lorsqu’on reçoit cinq fois notre population, c’est sûr que ça crée une pression, dit le maire. Pas une pression malsaine, mais quand des milliers de personnes empruntent un chemin de gravelle pour aller sur une plage populaire, ce chemin, il faut le refaire, et le refaire, et le refaire… »

Et puis, l’enjeu peut sembler trivial, comme ça, mais 60 000 visiteurs, ça fait beaucoup, beaucoup d’ordures à gérer. Et ça coûte cher. Particulièrement aux Îles, où 18 % du budget municipal est consacré au traitement des déchets et à leur exportation par bateau, vers le continent.

Le million de dollars annuel que générera la redevance servira également à la création d’un parc régional, tout comme à l’entretien des infrastructures récréotouristiques. Aux Îles, les gens ont libre accès aux plages, aux parcs, aux terrains sportifs extérieurs, aux stationnements et aux toilettes publiques.

Tout ça est gratuit, en tout temps, pour tout le monde.

Ça ne veut pas dire que ça ne coûte rien à la municipalité – c’est-à-dire aux Madelinots. Puisque les touristes profitent largement de ces infrastructures récréotouristiques, pourquoi ne pas leur demander de contribuer, un peu, à leur maintien ?

Trente dollars pour un accès illimité au territoire, pour l’ensemble du séjour, ce n’est quand même pas la mer à boire. Considérant que les visiteurs passent en moyenne 10 nuitées aux Îles, ça représente un « gros 3 $ » par jour.

Pas de quoi menacer l’industrie touristique, assure le maire. « Personne ne m’a dit qu’il retournerait de bord pour 30 $ de plus sur un voyage qui lui en coûtera quelques milliers… »

Je comprends les objections de Patrick quant au principe de l’utilisateur-payeur. Sa crainte de la pente glissante : si on se met à faire payer les gens pour les services qu’ils utilisent, où s’arrêtera-t-on ?

Je suis contre le principe de l’utilisateur-payeur s’il s’applique aux besoins essentiels des citoyens. Un ticket modérateur pour l’accès aux urgences ? Mauvaise idée. Personne ne choisit d’être malade. Les soins de santé universels devraient le rester.

Mais s’acquitter d’une modeste redevance pour avoir le privilège de passer ses vacances aux Îles-de-la-Madeleine ? Pas le scandale du siècle, non plus.

Je suis pour le principe de l’utilisateur-payeur s’il a pour effet de modifier des comportements, pour le mieux. La Ville de Beaconsfield, par exemple, a réussi à réduire de façon draconienne la quantité de déchets envoyés à l’enfouissement en imposant des frais aux résidants qui demandent plus d’une collecte par mois.

Il y a 20 ans, Londres a réduit les embouteillages au centre-ville en instaurant un péage urbain. New York s’apprête à faire la même chose, en juin 2024. Les recettes permettront de renflouer le réseau du métro, qui en a bien besoin.

Jeudi, le 25 avril, Venise deviendra la première ville du monde à exiger un droit d’entrée (de 5 euros) de ses visiteurs. L’espoir est d’endiguer le flot de tourisme, sur le point d’ensevelir la Sérénissime. On lui souhaite bonne chance avec ça.

Contrairement à Venise, la municipalité des Îles-de-la-Madeleine jure qu’elle ne cherche pas à diminuer le nombre de touristes avec sa redevance. N’empêche, beaucoup de Madelinots ne cachent plus leur exaspération : selon un sondage mené il y a quatre ans, 57 % d’entre eux estiment qu’il y a trop de visiteurs durant l’été ; 59 % jugent que le milieu n’a pas la capacité de gérer les tonnes de déchets générés par les touristes.

C’est le genre de problème très concret auquel la redevance entend répondre. Ce n’est pas farfelu ni liberticide. J’irais même jusqu’à dire que c’est plutôt logique.