Les véhicules de déneigement sont impliqués dans près de trois décès chaque hiver, au Québec, depuis 10 ans. Les nombreux angles morts des souffleuses et des camions de chargement ainsi que les conditions routières et météorologiques sont le plus souvent en cause dans les accidents, selon 28 rapports de coroner consultés par La Presse.

Angles morts

Dans la majorité des cas, les conducteurs des véhicules de déneigement n’ont pas aperçu les victimes. C’est ce qui est arrivé dans l’accident qui a coûté la vie à Gisèle Muller, le 16 mars 2017. Tôt ce matin-là, son fils, qui possède une entreprise de déneigement, vient souffler la neige dans l’entrée de la ferme agricole. Mme Muller est convaincue qu’elle a suffisamment de temps pour se rendre au bâtiment des animaux, mais son fils ne la voit pas en reculant. L’homme « aperçoit soudainement une botte dans la chute du souffleur », indique le rapport d’autopsie. « Cela nous rappelle que, malgré la prudence du conducteur et les moyens de visibilité mis en place sur un tel véhicule, pareille opération comporte sans contredit des dangers », écrit le coroner Pierre Bélisle, dans son rapport.

Vue obstruée

Normande Massicotte a été renversée par un véhicule de déneigement alors qu’elle se rendait, à pied, à l’église de Lanoraie, le 22 décembre 2013. La Sûreté du Québec a démontré que le souffleur du véhicule « entraînait une importante perte de visibilité pour le conducteur ne permettant d’apercevoir la présence d’une personne marchant en bordure de la route qu’à la dernière seconde », indique le coroner Martin Sanfaçon. Jean-Philippe Tessier, qui effectue du déneigement à Brossard depuis huit ans, confirme que les angles morts d’un tracteur de déneigement sont différents de ceux d’une automobile. « Sur mon tracteur, c’est près des roues arrière que l’on voit un peu mal », explique-t-il. « C’est évident que l’on doit être vigilant, que l’on doit faire attention, mais les piétons doivent aussi prendre en considération qu’on ne les voit pas tout le temps alentour de nos véhicules », ajoute-t-il.

Conditions routières

Le 9 janvier 2011, il vente et neige sur Cazaville, en Montérégie. Les conditions routières sont mauvaises. La conductrice du véhicule dans lequel se trouve Elsie Rose Lightfoot se tasse à droite à la venue d’une déneigeuse en sens inverse. Or, la voiture dérape et heurte la pelle de la déneigeuse. Mme Lightfoot perd la vie dans l’impact qualifié de « violent » par le coroner Michel Ferland. Serafino Feliciani, instructeur à l’école de conduite LaSalle, rappelle l’importance de réduire sa vitesse en hiver. « On garde des distances plus longues avec les véhicules de déneigement. De cette manière, on a un temps de réaction plus grand et on reçoit moins de neige dans notre pare-brise », souligne-t-il en entrevue téléphonique. Dans la plupart des rapports consultés par La Presse, les coroners jugent que les morts en lien avec des opérations de déneigement sont accidentelles; ils ne formulent pas de recommandations.

Conditions météorologiques

Le 6 janvier 2018, Philippe Anthony Jean doit conduire ses deux garçons de 9 et 11 ans chez leur mère. Une tempête « majeure » souffle sur le Bas-Saint-Laurent depuis la veille. « Il y a des rafales et de la poudrerie de neige qui se propagent sur la route 195, causant un rideau blanc diminuant considérablement la visibilité pour la circulation automobile », note le coroner Jean-Pierre Chamberland. Des lames de neige se forment aussi sur la chaussée à l’endroit où a lieu l’accident. La déneigeuse doit s’y prendre à trois reprises, en reculant et en avançant, pour enlever la neige à cet endroit. « [M. Jean] est entré dans ce rideau blanc sans percevoir ni se douter que la déneigeuse était dans ce brouillard de poudrerie », note le coroner. La voiture percute le véhicule lourd et les trois membres de la famille Jean meurent des suites de leurs blessures. Le coroner recommande que des mesures soient prises pour réduire la poudrerie dans le secteur. Le ministère des Transports a notamment abaissé la butte se trouvant dans le champ à cet endroit et a installé une clôture brise-vent sur 240 mètres à la suite de la publication du rapport.

Machinerie bruyante

Dans les 10 dernières années, deux conducteurs de déneigeuses ont perdu la vie en manœuvrant leur véhicule. En décembre 2017, un train a happé une chenillette qui s’affairait au déneigement des trottoirs à Longueuil. « Une vérification auprès d’autres conducteurs de déneigeuses à trottoirs a permis d’apprendre que les signaux sonores des trains ne sont pas audibles pour les conducteurs lorsque la déneigeuse est en marche », rapporte la coroner Karine Spénard. En février 2019, un autre conducteur d’un tracteur muni d’une souffleuse est mort happé par un train, dans la municipalité de Larouche, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. « Le bruit généré par le tracteur, le ventilateur de la chaufferette ainsi que le volume de la radio ont pu faire en sorte que le conducteur n’ait pas entendu le train approcher », rapporte la coroner Francine Danais.

— Avec William Leclerc, La Presse