À l’annonce de son nom, Audrey Leduc est passée « proche » de ressentir des frissons en recevant les encouragements de la foule, debout dans les gradins remplis du complexe sportif Claude-Robillard, vendredi soir. Sa concentration était telle qu’elle n’a finalement pas eu la chair de poule.

En s’installant dans les blocs, la sprinteuse de Gatineau n’a probablement pas entendu l’avion qui poursuivait son approche vers l’aéroport Montréal-Trudeau. Pour cette finale du 100 mètres des Essais canadiens d’athlétisme, tout ce qu’elle avait en tête était le couloir 4 qu’elle s’apprêtait à marteler de ses crampons. Tout au bout l’attendait l’officialisation de sa première participation aux Jeux olympiques.

Il fallait quand même courir et ne pas se projeter trop loin, comme elle se l’est répété en visionnant des vidéos préparatoires pour Paris plus tôt cette semaine.

Première des demi-finales en 11,09, près de trois dixièmes plus vite que sa plus proche concurrente, la nouvelle détentrice du record canadien (10,96) était évidemment l’immense favorite. Celle qui n’a cessé d’accélérer depuis le début de l’année passerait-elle encore sous les 11 secondes ?

Or la course a été beaucoup plus serrée que prévu. Audrey Leduc a franchi les 100 mètres avec les yeux quasi clos du début à la fin, arrêtant le chrono à 11,20, son temps le plus lent en 2024. Elle les a ouverts sitôt la ligne traversée, sans lever les bras avant sa phase de ralentissement.

Son émotion, elle l’a exprimé en déposant un drapeau canadien sur ses épaules avant de partir en sens inverse pour saluer le public qui l’avait si bien soutenue. La nouvelle championne nationale a pointé les siens qui se sont fait entendre tout en haut des gradins.

« C’est vraiment exceptionnel de pouvoir vivre ça, surtout au Québec, devant cette foule-là, devant ma famille, a réagi Leduc en reprenant son souffle devant les journalistes. Je ne pourrais pas demander mieux. »

Quelques secondes plus tôt, elle avait brandi la carte d’embarquement géante sur laquelle elle avait posé sa griffe, confirmant ainsi son siège dans l’avion pour Paris. « Sur le coup, je ne sais pas quoi dire, a souri l’étudiante au MBA à l’Université Laval. Oh my God, je m’en vais à Paris ? Mais je le sais et je suis vraiment contente. »

Leduc a raconté avoir réussi à contrôler ses nerfs en s’appuyant sur son expérience aux Jeux du Canada en 2022, où elle a remporté trois médailles d’or.

« Avoir cette pression, dans un sens, il y a deux ans, m’a préparée à gérer ça aujourd’hui avec mon préparateur mental. Je l’avais rencontré là-bas et ça fait deux ans qu’on travaille ensemble pour des moments comme ça. C’est une bonne pratique pour les Jeux aussi. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Jacqueline Madogo et Audrey Leduc

Le chrono ? Elle l’a expliqué par la température fraîche et la présentation relativement longue qui a précédé le coup de fusil. « J’ai l’impression que ça a probablement eu un impact sur la performance comme telle. Sinon, je ne peux pas dire. »

Leduc n’avait aucune idée de l’identité et des temps de ses plus proches rivales. « Je n’avais pas d’attentes en fait, je m’en allais juste pour gagner ma course », a mentionné celle qui tourne maintenant son attention vers le 200 m dimanche.

Une autre Québécoise en lice pour Paris

Jacqueline Madogo, une francophone d’Ottawa, a fini deuxième en 11,36, soit exactement le même temps qu’en demi-finale. La Québécoise Marie-Éloïse Leclair a complété le podium en 11,44, confirmant ainsi son grand potentiel et probablement une première sélection olympique au relais 4 X 100 m.

La sprinteuse de Candiac était fière d’avoir surmonté une demi-finale en deçà de ses attentes (6e en 11,47). « Ça démontre que je suis capable de réussir mes objectifs au moment où ça compte », a noté la représentante du Saint-Laurent Sélect et étudiante à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique.

« En demi, j’étais concentrée à faire la finale, ce qui est un objectif assez vague. Je savais que je voulais finir parmi les trois premières en finale. En me fixant des objectifs plus précis, ça m’a donné un regard plus clair sur la ligne d’arrivée. »

Après avoir remplacé Madogo, blessée, aux World Relays le mois dernier, Leclair espère en avoir fait suffisamment pour recevoir son billet pour Paris. « Avec ce qu’on a fait ensemble aux Bahamas, j’avais démontré que j’étais capable de bien composer avec la pression, de faire ce qui était demandé au moment opportun », a rappelé l’athlète de 21 ans.

De Grasse ? Oui, non, peut-être !

La finale masculine du 100 m a aussi été plus serrée que prévue. Andre De Grasse s’est logiquement imposé en 10,20, mais il y a eu un moment de confusion quand c’est plutôt le nom d’Eliezer Adjibi qui est apparu tout en haut du tableau indicateur. L’annonceur a même confirmé sa victoire, incitant le sprinteur méconnu d’Ottawa à se saisir du drapeau unifolié pour course de célébration.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, LA PRESSE CANADIENNE

Aaron Brown, Brendon Rodney et Andre De Grasse

Après quelques minutes, le vrai classement a été rétabli en faveur de De Grasse, qui s’est amusé de cette situation inhabituelle, qu’il ne pensait pas avoir vécu depuis les rangs juniors. « J’étais un peu perplexe, je pensais que j’avais gagné, je n’ai vu personne dans ma vision périphérique ! a expliqué le double médaillé olympique au 100 mètres. Je me suis dit : OK, peut-être que je me suis fait surprendre dans le couloir extérieur ou quelque chose comme ça. C’était une bonne blague ! »

Débiné, Adjibi n’a pas osé se joindre aux autres pour célébrer ce qui reste une superbe médaille d’argent – et fort probablement une place dans l’équipe olympique canadienne.

« On a tous traversé la ligne presque au même moment, a noté celui qui a inscrit un chrono de 10,23. J’ai vu que j’avais gagné, mais je n’étais pas sûr. C’est resté comme ça pendant un petit moment. Je me suis : OK, apparemment j’ai gagné. Je n’ai pas compris comment ils ont commis l’erreur, mais on ne peut rien y faire. C’est quand même une bonne chose. »

Le chronométreur-chef Sylvain Richard a expliqué qu’il y avait eu « un problème de synchronisation entre les feuilles de départ et les données électroniques ». « Je ne connais pas l’origine du problème, mais Adjibi était dans le couloir 5 dans mon système [alors qu’il était dans le 6] et quand je l’ai pointé [sur la photo d’arrivée], c’est son nom qui est apparu. »

Nullement impressionné par les vétérans De Grasse et Aaron Brown, troisième en 10,25, Adjibi avait la conviction de pouvoir l’emporter, lui qui revendique un sommet personnel de 10,04 réalisé à Guelph au début du mois. « J’ai été blessé l’an dernier, je n’ai pas pu faire la finale, a expliqué le Béninois d’origine. On va donc dire que d’arriver deuxième est une grande marche franchie. C’est quand même bon, même si je n’ai pas gagné. »

Quant à De Grasse, qui n’a pas réussi à passer sous les 10 secondes pour la première fois de l’année, il se disait néanmoins très satisfait et prêt pour ses troisièmes JO.

« On est à cinq semaines des Jeux. Je travaille dur. L’entraînement se déroule bien et je suis en bonne santé. Je me sens assez confiant et plutôt bien. Je vais juste surfer sur cette dynamique et me diriger vers Paris. »

Newman frôle son record

Pendant que les sprinteurs masculins célébraient sur la piste, Alysha Newman a poursuivi une compétition exceptionnelle à la perche, passant cinq barres consécutives jusqu’à 4 m 75. L’Ontarienne de 30 ans, une célébrité sur les réseaux sociaux avec 566 000 abonnés sur Instagram, a manqué trois tentatives à 4 m 85, une hauteur qui lui aurait permis d’améliorer son record canadien extérieur établi en 2019.

Après avoir souffert d’une rupture d’un kyste à un ovaire qui lui a valu uen visite à l’hôpital lors d’une rencontre en Finlande il y a moins de deux semaines, Newman semble prête à effacer un douloureux souvenir aux JO de Tokyo, alors qu’elle avait raté ses trois premiers essais en qualifications, elle qui était incommodée par des symptômes de commotion.