L’engouement pour le sport professionnel féminin n’est pas une mode passagère. L’éclosion de cette industrie en Amérique du Nord n’est pas non plus « un moment dans le temps ». Il s’agit plutôt d’« un mouvement » qui ne s’arrêtera plus.

Isabèle Chevalier n’en démord pas. Avec la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) et la Super Ligue du nord (SLN), nouveau circuit de soccer canadien qui amorcera ses activités en 2025, « il y a une page d’histoire qui s’écrit », une « direction qui se prend ».

La femme d’affaires, qui est notamment cofondatrice et investisseuse de la franchise montréalaise de la SLN, participait jeudi à un panel organisé par le CF Montréal dans le cadre de sa Semaine du soccer féminin. Marie-Christine Boucher, directrice des affaires et des opérations pour l’équipe de Montréal de la LPHF, et Marie-Anik L’Allier, relationniste bien connue du sport canadien et québécois, participaient aussi à la discussion.

Le titre sur l’invitation, en soi, témoignait d’un changement de paradigme : « Les opportunités économiques du sport féminin ». Au hockey, par exemple, cette conversation aurait semblé déphasée il y a deux, cinq ou dix ans, alors que des joueuses mal payées jouaient dans des arénas de quartier.

La LPHF a profité du fait que « tous les astres étaient alignés », a dit Marie-Christine Boucher pour décrire le formidable succès qu’a connu la ligue à sa première saison d’existence. Or, il serait réducteur de conclure à un coup de chance.

Car ce que le circuit a réussi – et ce que la SLN voudra reproduire –, c’est d’avoir trouvé son public, mais surtout d’avoir investi les ressources nécessaires pour y arriver.

On n’a pas cherché à vider le Centre Bell pour remplir l’auditorium de Verdun. Le public du hockey féminin était particulièrement « convoité » du fait qu’il n’était pas le public « traditionnel » du sport professionnel, a expliqué Mme Boucher. « Les générations Y et Z, en provenance de divers milieux, et aussi beaucoup de familles, a-t-elle détaillé. C’est la représentation exacte de ce qu’on a pu voir à Verdun et à la Place Bell de Laval. »

Au soccer, l’an prochain, « je pense que les partisans vont beaucoup ressembler à ceux du hockey », a prédit Mme Chevalier.

La SLN souhaite combler un vide auprès d’un public qui n’a « pas de produit » à se mettre sous la dent. Comme la LPHF, la ligue assurera elle-même la production télévisée de ses matchs, qui sera ensuite retransmise par des diffuseurs.

« Loin des yeux, loin du cœur : il faut de la visibilité », a poursuivi l’entrepreneure.

« Briser les codes »

Lancée, Isabèle Chevalier a insisté : mettre en marché le sport féminin, ce n’est pas reproduire pas à pas ce qui a été fait chez les hommes.

Le consommateur est différent. Il faut l’aborder différemment. C’est le temps de briser les codes.

Isabèle Chevalier, cofondatrice et investisseuse de la franchise montréalaise de la SLN, au sujet du marché du sport féminin

En ce sens, la diffusion des matchs sur YouTube a créé un précédent, estime Marie-Christine Boucher. La chaîne de la LPHF compte quelque 113 000 abonnés. Pendant les rencontres, les commentaires en direct se sont comptés par centaines.

On a aussi beaucoup mis l’accent sur les athlètes elles-mêmes. Celles-ci « sont souvent très disponibles », dixit Isabèle Chevalier.

Le but n’est pas forcément d’en faire des supervedettes, mais de les présenter comme des modèles. « Pas juste des role models, mais des real models », a précisé la femme d’affaires. Bref, mettre de l’avant des personnes vraies, auxquelles le public peut s’identifier.

Marie-Anik L’Allier peut témoigner de l’efficacité de cette stratégie. Depuis des années, elle représente des athlètes olympiques et tente prioritairement de « mettre en valeur leur personnalité », sans égard à leur performance aux Jeux.

« On ne veut pas tout miser sur une médaille, parce que s’il n’y a pas de médaille, tout s’écroule, illustre-t-elle. Les résultats ne me dérangent pas. »

Un champion du monde sans charisme, je ne peux rien faire avec ça. Mais une personne qui est inspirante par ses échecs et ses victoires, on peut en faire un modèle. Auprès des jeunes, c’est vraiment l’approche la plus riche.

Marie-Anik L’Allier, relationniste

L’équipe montréalaise de la LPHF a pu en témoigner. Au début de la saison, on désignait quatre joueuses pour signer des autographes après les matchs ; rapidement, on a dû leur envoyer huit coéquipières en renfort « parce que la demande était trop grande ».

« C’est un aspect qui nous définit et qui va demeurer dans le temps », estime la gestionnaire.

La réponse sur les réseaux sociaux a aussi été spectaculaire. À sa première saison d’existence, la ligue et ses clubs ont généré plus de 300 millions d’impressions – nombre de fois où des utilisateurs sont exposés à du contenu. Et ce, dans une ligue de six équipes qui n’existait pas à pareille date l’an dernier. Le chiffre a provoqué des applaudissements dans la salle.

Industrie

L’essor du sport professionnel féminin est ainsi intimement lié à la rencontre de son public. Mais le développement de l’industrie en tant que telle n’est pas en reste. Une industrie qui crée des emplois sur la glace ou sur le terrain, mais aussi derrière le banc et sur le plan administratif.

L’animatrice de la discussion, Émilie Duquette, a demandé si les nouvelles organisations montréalaises attiraient principalement des travailleurs masculins ou féminins.

« Les deux ! s’est exclamée Isabèle Chevalier. L’engouement se voit dans les CV qu’on reçoit. Ça démontre à quel point ça fonctionne. »

Sans qu’une cible ait été fixée en ce sens, le personnel de l’équipe de Montréal de la LPHF est « paritaire », a souligné Marie-Christine Boucher. Celle-ci a aussi mentionné que dans le monde des affaires, la quasi-totalité des dirigeantes d’entreprises avaient pratiqué des sports dans leur jeunesse.

On comprend donc que la valorisation des athlètes mène à la valorisation d’une relève chez les décideuses à la tête des organisations. La roue a mis du temps à se mettre en marche, mais elle tourne bel et bien.

Et à voir les jeunes joueuses de l’Académie du CF Montréal se masser autour d’Isabèle Chevalier après la conférence, le mouvement n’est pas près de s’essouffler.