Adopter le rythme des saisons, apprendre à ne rien faire, apprivoiser l’ennui, faire la sieste au travail ou des casse-têtes à la maison… J’ai beaucoup écrit sur l’importance de prendre son temps, cette année.

Si la pression de performance me préoccupe (et m’avale) depuis longtemps, je crois ne jamais l’avoir tant observée. Pourtant, j’arrive encore une fois à l’été essoufflée.

Il y a un changement, quand même. Je pense être plus consciente des raisons pour lesquelles mes batteries sont à terre. Surtout, j’estime être davantage responsable de ma fatigue. En ce sens que j’ai consciemment choisi de me lancer dans des projets qui me rendaient heureuse, fière et, ben oui, fatiguée. Grâce aux sages personnes interviewées dans les derniers mois, j’ai appris à réfléchir à mes limites, que ce soit pour rétrécir le terrain de jeu ou l’exploser.

Des fois, être essoufflée, c’est être épanouie.

C’est évidemment un privilège immense que de pouvoir choisir son rythme de croisière. J’aimerais qu’on puisse tous et toutes avoir un mot à dire sur ce qui nous épuise, mais je sais que la majorité d’entre nous subit des pressions sur lesquelles on a bien peu de contrôle. Restent alors des miettes de repos à grappiller par-ci par-là.

Mon outil de prédilection, dans ce temps-là : la littérature.

J’aimerais donc vouer cette dernière chronique avant les vacances estivales à des titres récents qui m’ont permis de mieux comprendre notre monde ou de réfléchir à ma propre suite. Si vous avez du temps à vous accorder, j’ai bon espoir qu’ils sauront vous nourrir aussi.

Parce qu’on va tous mourir…

La grand-mère de Sarah Desrosiers, atteinte de leucémie, a demandé l’aide médicale à mourir avant d’annuler sa requête, préférant connaître « sa belle mort ». L’autrice a documenté le tout, offrant un récit fabuleux d’authenticité qui nous plonge dans le temps long d’un CHSLD.

Dans Sa belle mort (Hamac), Sarah Desrosiers rapporte ses nombreuses visites hebdomadaires auprès de sa grand-mère. Si l’objectif est de profiter des jours qu’il reste, le fait est qu’elles n’ont pas toujours grand-chose à se dire. Au fil des pages, on constate la banalité de la routine même quand la mort plane, la culpabilité de celles qui vont rester, la tendresse qui unit une famille et l’envie d’être ailleurs. Aussi innommable soit-elle.

Sa belle mort nous fait réfléchir à notre propre finitude, mais aussi à notre rapport aux aînés. Quelles nuances se trouvent entre la figure du grand sage et celle du boulet placé en résidence ?

Sa belle mort

Sa belle mort

Hamac

320 pages

Parce qu’il y a des femmes…

Ma lecture du livre Les disgracieuses (Québec Amérique) m’a laissée choquée, galvanisée et profondément émue. Avec ces trois récits inspirés de son parcours, Claudia Larochelle nous plonge dans les amitiés souveraines, un monde du travail rongé par le sexisme et des amours malsaines. Ici, la cruauté côtoie la lucidité. L’autrice nomme de manière frontale nombre de malaises et de violences que subissent les femmes. En la lisant, une phrase tirée du film La nuit du 12 me revenait en tête : « Il y a un problème entre les hommes et les femmes. »

Remarquez, il peut aussi y avoir des problèmes entre les femmes quand la misogynie est internalisée. Les passages au sujet d’une certaine patronne tyrannique en font foi.

Il demeure que Les disgracieuses est une lettre d’amour à la sororité. Il donne envie d’être meilleure pour soi et pour nos consœurs. Il donne aussi un peu envie de kicker dans le vide.

Les disgracieuses

Les disgracieuses

Collection III, Québec Amérique

136 pages

Parce qu’on aime…

Parlant d’être meilleur pour soi et pour les autres, Sexe, sexo, sexu ! (Trécarré) est un ouvrage parfait pour réfléchir à l’intimité. La sexologue Myriam Daguzan Bernier touche à un nombre impressionnant de sujets parmi lesquels l’affirmation, la pression de performance et les réalités LGBTQ2SIA+… Elle répond également à des questions telles que : Sommes-nous en compétition avec les jouets sexuels ? Ou encore : Comment se faire des amis à l’âge adulte ? Bref, elle ratisse large.

J’ai aimé découvrir plusieurs faits historiques, au fil des chapitres, de quoi porter un regard informé sur des enjeux d’actualité. Par exemple, les toilettes et leur genre : « Selon Barbara Penner, historienne de l’architecture et autrice du livre Bathroom, avant le XVIIIe siècle, on éliminait nos déjections en groupe et côte à côte. »

(J’aime beaucoup notre époque.)

Sexe, sexo, sexu !

Sexe, sexo, sexu !

Trécarré

304 pages

Parce que la nature…

Au rayon de la poésie, grand coup de cœur pour Cariacou : manuel de chasse à l’usage des poètes (les éditions de Ta Mère), d’Olivier Lussier. Je n’ai jamais tué un animal ni écrit de vers, pourtant j’ai aimé chaque page de ce recueil. C’est qu’il nous permet, avec franchise et une pointe d’humour, de saisir à la fois la violence et la sérénité de la chasse. En lisant Olivier Lussier, on a envie de s’évader dans le bois ou d’au moins regarder le temps passer.

Chasse ou non, on se dit que ça vaudrait peut-être la peine de réfléchir à notre place dans le monde, une saison par année.

Cariacou

Cariacou

Éditions de Ta Mère

160 pages

Parce que c’est arrivé…

Avec Des glaçons comme du verre (Flammarion Québec), d’Isabelle Picard, j’ai retrouvé la Rose-Aimée de 14 ans. Celle qui tombait amoureuse de Gabrielle, Adélaïde et Florent. Celle qui refusait de déposer les livres de Marie Laberge, trop soucieuse de découvrir le destin de ces personnages plongés dans un drame historique.

Dans la saga familiale d’Isabelle Picard, le drame, c’est la rafle des années 1960. À l’époque, plusieurs familles autochtones ont vu leurs membres dispersés partout dans la province, impuissantes. L’autrice s’inspire de l’histoire de sa famille pour tracer le destin de trois générations marquées par ce déchirement imposé.

Le roman met en relief des blessures qui, on le devine bien, demeurent à panser chez nombre de nos concitoyens. Les personnages d’Isabelle Picard, tout en nuances, invitent une empathie dont il serait bien triste de se passer, ces jours-ci…

Des glaçons comme du verre

Des glaçons comme du verre

Flammarion Québec

196 pages

On se retrouve à l’automne. D’ici là, je vous souhaite du repos, des milliers de mots et quelques illuminations.