La bonne nouvelle, c’est que si l’unité canadienne s’effondre, ce ne sera pas avant 8 à 10 ans.

La moins bonne, c’est que la biodiversité disparaîtra très probablement avant le Canada…

J’évite de lire des romans dystopiques : ça m’angoisse trop. Ils montent en épingle des peurs, des points de rupture de notre monde. J’aurais pourtant mieux fait d’en lire un, mon sommeil aurait été meilleur qu’à la lecture du rapport 2024 du groupe Horizons de politiques Canada, intitulé Perturbations à l’horizon.

Guerre civile au sud, guerre mondiale ailleurs, intelligence artificielle qui se déchaîne, systèmes démocratiques qui s’effondrent, mobilité sociale descendante : ce ne sont que quelques-uns des thèmes au menu de ce document de 28 pages guillerettes⁠1.

Le groupe Horizons est le « centre d’excellence en prospective du Canada » et dépend du sous-ministre d’Emploi et Développement social Canada. Depuis des années, cette brochette diversifiée et aux aguets de hauts fonctionnaires, d’universitaires et de spécialistes élabore des scénarios et dresse la liste des menaces susceptibles d’avoir un impact significatif sur le pays, à l’aide d’entretiens avec des experts et des responsables politiques.

Il est rassurant de constater qu’un tel exercice existe, et de croire que les ministères concernés prévoient des solutions et des leviers d’action.

Il serait important que ce document circule abondamment dans tous les ordres de gouvernance et dans toutes les provinces, dans toutes les villes, dans tous les villages. Car les 35 perturbations nommées nous concernent tous.

Les dangers sont répartis en cinq catégories : société, santé, politique/géopolitique, économie et environnement. La probabilité qu’ils se produisent s’échelonne sur un horizon de deux à huit ans, aussi bien dire demain. Ils sont classés par impact, car ils n’auraient pas tous la même intensité.

Toutefois, plusieurs menaces sont interreliées. Le fait que les milliardaires dirigeraient le monde d’ici cinq ans a un impact sur l’effondrement des systèmes démocratiques, sur l’unité canadienne, sur le fait que le mensonge et le faux se généralisent. Ou encore, la biodiversité qui disparaîtrait a des incidences sur les mesures d’urgence, débordées, sur la rareté des ressources naturelles vitales et sur les systèmes de santé qui crashent, pendant que de nombreuses régions du pays deviennent inhabitables (incendies, fonte du pergélisol).

Les 10 perturbations les plus probables sont, par ordre croissant : l’intelligence artificielle qui se déchaîne, les cyberattaques qui perturbent les infrastructures essentielles, la santé mentale en crise, les mesures d’urgence débordées ; la mobilité sociale descendante est la norme, les milliardaires dirigent vraiment le monde, les biodonnées sont largement monétisées, les gens n’ont pas les moyens de vivre seuls, la biodiversité disparaît et les écosystèmes s’effondrent, et les gens ne peuvent plus distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Ouf.

Êtes-vous encore capables d’en prendre ?

Ce qui bouleverse, dans ces prévisions, c’est qu’elles nous touchent au cœur de nos vies quotidiennes, dans nos besoins de base : la population vieillissante se retrouve sans soutien, la nourriture se fait rare au Canada, les hommes sont en crise, les besoins fondamentaux ne sont plus satisfaits.

Ces bouleversements anticipés nous piquent dans ce qu’il y a de plus intime. Ce ne sont plus seulement des infrastructures en décrépitude, ce sont nos forces vives qui agonisent.

Cet exercice à l’intention des ministères fédéraux fout la trouille.

Nous avons l’impression de vivre dans un monde de licornes, où l’urgence des problèmes qui nous guettent – ou qui ont commencé à s’abattre sur nous – est minime. Ou on refuse de voir des liens entre les différents enjeux auxquels nous sommes confrontés, comme si la construction magique de milliers de logements allait d’un coup régler la question de la pauvreté, de la santé mentale, de l’ascenseur social cassé.

Ce qui frappe, c’est l’horizon court dans lequel ces catastrophes surviendront en cascade. On souhaiterait ardemment que ce soit du pessimisme outrancier, mais force est de constater que dans bien des cas (crise du logement, santé mentale, impossibilité de démêler le vrai du faux), nous avons déjà les deux pieds dedans.

La réalité va plus vite que la prospective. Le monde dans lequel nous vivons a déjà changé. Nous sommes dans un monde « normal » en surface seulement.

Que feront de ce rapport les décideurs ? Ils disposent de quelques leviers, peuvent prendre des mesures d’atténuation, déployer des interventions qui provoqueraient des réactions en chaîne positives. Mais leur horizon politique est souvent de quatre ans…

Ce genre d’exercice comporte un risque : que nous nous sentions dépassés et impuissants, collectivement et individuellement. Cette démission peut provoquer scepticisme, désabusement, repli sur soi, égoïsme. À quoi bon ? On pourrait facilement voir des idéologues, des démagogues charismatiques et autoritaires en profiter. La tentative de choisir comme pare-feu ce type de solution politique est une possibilité…

Dehors, il fait beau. Les vacances approchent. Les fraises du Québec et l’été arrivent. Tout semble normal et souriant.

Espérons que les prospectivistes d’Horizons sont dans le champ.

Mais lisons leur rapport, au cas où.

1. Consultez le rapport Perturbations à l’horizon Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue

Les 10 perturbations les plus probables

  • Les gens ne peuvent pas distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas
  • La biodiversité disparaît et les écosystèmes s’effondrent
  • Les gens n’ont pas les moyens de vivre seuls
  • Les biodonnées sont largement monétisées
  • Les milliardaires dirigent le monde
  • La mobilité sociale descendante est la norme
  • Les mesures d’urgence sont débordées
  • La santé mentale est en crise
  • Les cyberattaques perturbent les infrastructures essentielles
  • L’intelligence artificielle se déchaîne

Source : rapport Perturbations à l’horizon