Protéines, créatine, pre-workout, BCAA, vitamines : sur les tablettes des magasins de suppléments pour sportifs, et même jusque dans les pharmacies, les pots de poudre colorés se comptent par dizaines. Tous promettent, au choix, ou tout à la fois, performance, prise de masse musculaire, récupération ou énergie.

Mais ces produits sont très peu contrôlés par Santé Canada. Sur son site, on peut lire que « le titulaire d’une licence de mise en marché est responsable de la qualité du produit ». Autrement dit, le chien de garde fédéral se base uniquement sur les déclarations du fabricant pour autoriser un produit, et ne teste celui-ci que lorsqu’une plainte est déposée.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Lors d’une visite dans une pharmacie au centre-ville de Montréal, La Presse a constaté que, sur une centaine de produits différents pour sportifs vendus sous forme de poudres, moins d’un sur cinq avait une certification antidopage officielle clairement indiquée sur l’étiquette.

« Donc il peut y avoir, intentionnellement ou non, des substances interdites qui vont avoir contaminé le produit que tu vas utiliser », lâche Evelyne Telmosse, nutritionniste à l’Institut national du sport du Québec.

Le contrôle des produits de santé naturels par Santé Canada

Au Canada, les suppléments pour sportifs sont considérés la plupart du temps comme des « produits de santé naturels ».

  • 42 : nombre d’inspecteurs chargés de la conformité des produits
  • 2273 : nombre de plaintes reçues pour non-conformité d’un produit (emballage, étiquetage, licence, publicité, etc.)
  • 1462 : nombre de cas où la non-conformité a été confirmée
    Parmi eux : > 1021 produits avaient été commercialisés sans autorisation de mise en marché :
    > 39 produits contenaient des médicaments ou d’autres ingrédients potentiellement dangereux non déclarés sur l’étiquette.

Source : Santé Canada (avril 2021-mars 2024)

Du pre-workout aux boissons énergisantes

Selon une étude de 2018, menée sur presque 10 ans, l’équivalent américain de Santé Canada, la FDA, a détecté des stéroïdes anabolisants dans pas moins de 82 suppléments vendus pour accroître le gain de muscles. Parmi ceux-ci, 73 ne l’avaient pas indiqué sur l’étiquette.

Puis, une étude américaine publiée en juillet 2023 a montré que, sur 57 suppléments pour sportifs vendus dans le commerce et analysés par des chercheurs, 7 contenaient au moins une substance illégale – l’un d’eux en contenait 4. Ces produits étaient vendus comme « brûleur de graisse », « énergisant » ou « pre-workout » – des suppléments censés améliorer l’endurance, l’énergie et la concentration.

Les stéroïdes anabolisants

  • Les stéroïdes anabolisants sont des substances synthétiques conçues pour imiter la testostérone.
  • Au Canada, ce sont des « substances désignées » : il est interdit d’en fabriquer, d’en importer, d’en exporter ou d’en vendre. Mais leur utilisation n’est pas illégale.
  • Ils peuvent être prescrits par un médecin, pour traiter un déséquilibre hormonal, par exemple.
  • Ils sont parfois pris par des sportifs dans le but d’améliorer leur performance ou leur apparence physique.
  • La plupart des organismes sportifs, amateurs et professionnels, interdisent aux athlètes d’en consommer, même hors compétition.

Sources : Santé Canada, Centre canadien pour l’éthique dans le sport

Le marché canadien n’est pas épargné : entre avril 2021 et mars 2024, Santé Canada a interdit 39 produits contenant des médicaments ou d’autres ingrédients potentiellement dangereux non déclarés sur l’étiquette, selon les chiffres communiqués à La Presse.

Et cela ne se limite pas aux suppléments vendus sous forme de poudre. Au Laboratoire de contrôle du dopage de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), les chercheurs testent parfois des produits consommés par les athlètes. « On a déjà eu des boissons énergisantes pour lesquelles on n’aurait jamais cru qu’elles pourraient être positives », raconte Jean-François Naud, directeur du laboratoire. Et sur toute une gamme de boissons, seuls certains parfums contenaient des substances dopantes. « La limonade n’était pas contaminée, mais la boisson au raisin, si. Et dans plusieurs lots », souligne-t-il.

La peur d’être dopé à son insu

Résultat : les athlètes de haut niveau, comme Catherine Beauchemin-Pinard, doivent sélectionner scrupuleusement les produits qu’ils consomment. La judoka, vice-championne du monde de sa catégorie en 2022, a affirmé en entrevue avec La Presse prendre des vitamines et de la caféine, mais se méfier des pre-workouts. « J’ai pensé à en prendre, mais j’avais un peu peur de ces produits-là. On ne sait jamais vraiment ce qu’il y a dedans », confie-t-elle.

Catherine Beauchemin-Pinard s’assure auprès de sa nutritionniste que chaque supplément qu’elle prend a une certification antidopage officielle.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

La judoka Catherine Beauchemin-Pinard

Si, sur l’étiquette, ils promettent de gros gains musculaires, des résultats rapides, que c’est recommandé par des influenceurs… C’est clair que ça lève des drapeaux rouges.

Catherine Beauchemin-Pinard, judoka

Les athlètes sont parfois encouragés à noter le numéro de lot de chaque produit qu’ils consomment, à conserver un échantillon de celui-ci, ou même à l’acheter en double, pour conserver une preuve s’ils se font contrôler.

Une contamination intentionnelle ?

Interrogés par La Presse à ce sujet, plusieurs experts expliquent que ces contaminations peuvent survenir dans l’usine où les suppléments sont fabriqués – si elle produit également des stéroïdes anabolisants, par exemple –, ou même lors du transport des matières premières dans des contenants qui n’ont pas été nettoyés correctement. Mais aucun n’écarte la possibilité que des substances puissent avoir été introduites de façon intentionnelle.

Si l’on vend un produit en disant que ça augmente la force musculaire, c’est certain que ça va mieux fonctionner si on met une vraie drogue à l’intérieur. Sans aller jusqu’à la théorie du complot, certainement que ces entreprises-là ne sont pas toutes honnêtes.

Jean-François Naud, directeur du Laboratoire de contrôle du dopage de l’INRS

Peu de produits certifiés « propres »

Outre leur carrière, les athlètes qui consomment des substances illégales à leur insu risquent leur santé – et c’est également valable pour les sportifs amateurs. La prise de stéroïdes anabolisants, par exemple, peut provoquer une acné sévère, la masculinisation du corps chez la femme, et même de graves problèmes cardiovasculaires.

Pour minimiser le risque, les experts conseillent de se tourner vers des produits qui ont été certifiés par un organisme indépendant, comme la National Sanitation Foundation (NSF), Informed Choice/Informed Sport ou le Banned Substances Control Group (BSCG).

Lors d’une visite dans une pharmacie au centre-ville de Montréal, La Presse a constaté que, sur une centaine de produits différents pour sportifs vendus sous forme de poudres, moins d’un sur cinq avait une certification antidopage officielle clairement indiquée sur l’étiquette. Beaucoup mentionnaient que le produit était « testé cliniquement », « sûr », « sans substances interdites », mais sans qu’une certification officielle soit visible.

Aucune garantie à 100 %

« On peut aussi privilégier les grandes entreprises canadiennes qui sont bien établies, connues et qui n’ont pas d’historique de contamination », conseille Evelyne Telmosse.

« Mais il n’y a jamais de garantie à 100 %. La meilleure façon de faire, c’est d’éviter de prendre des suppléments si c’est possible », soutient Elizabeth Carson, gestionnaire principale du programme canadien antidopage au Centre canadien pour l’éthique dans le sport.

De son côté, Santé Canada a indiqué avoir élargi en juin 2023 les dispositions de la Loi sur la protection des Canadiens contre les drogues dangereuses aux produits de santé naturels, ce qui lui permet « d’ordonner le rappel d’un produit ou d’exiger la modification de l’étiquette d’un produit, en cas de risque grave ou imminent pour la santé des Canadiens ».

Il rappelle qu’il est possible de signaler toute non-conformité au moyen de son formulaire de plainte en ligne.

Lisez l’article « Le “chaos” des suppléments alimentaires » Consultez la base de données des produits approuvés par Santé Canada Consultez le formulaire de plainte de Santé Canada