À sa première journée de traitement à la clinique des troubles neurologiques fonctionnels (TNF) du CHUM en septembre 2023, Stefan Morisset s’est présenté avec une barbe longue jusqu’à sa poitrine. « Je ne me rasais plus parce que c’était trop douloureux », dit-il.

Depuis des mois, la douleur avait amené le patient à cesser plusieurs activités. « Et quand j’arrêtais de faire quelque chose, je devenais incapable de le refaire ensuite », dit-il. M. Morisset ne le cache pas : il avait peur qu’on le prenne pour un fou. Autrefois plutôt calme et sans peur du risque, il a développé une anxiété. « Je faisais des crises de panique deux fois par jour », raconte le jeune homme, qui a aussi été atteint de dépression.

Dans le cas de M. Morisset, la Dre Bérubé a d’abord dû stabiliser son état psychologique avant d’entreprendre les traitements. « Sinon, ça aurait été trop inconfortable pour lui », dit-elle. Mais la Dre Bérubé tient à préciser que les TNF ne sont « pas un phénomène psychologique ». « Ce ne sont pas des émotions qui causent les symptômes. Les émotions découlent des symptômes » de TNF, explique-t-elle.

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Stefan Morisset et la Dre Arline-Aude Bérubé, neurologue au CHUM

Un cône et une balle sur la tête

Durant le programme, les physiothérapeutes et ergothérapeutes du CHUM viennent « stimuler le système nerveux périphérique du patient pour corriger la prédiction du cerveau ».

On veut faire en sorte que le circuit qui s’est automatisé et qui génère le symptôme se désengage progressivement. On fait ça dans l’action. La sensation physique doit aller vers la normalisation.

La Dre Arline-Aude Bérubé, neurologue au CHUM

D’abord, le patient se fixe des objectifs concrets. Que veut-il accomplir en premier ? « Je voulais pouvoir parler à mon père cinq minutes. Et me lever pour voir ma copine », se souvient M. Morisset, qui voulait aussi pouvoir recommencer à faire de la photographie.

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Le physiothérapeute Pierre-Luc Lévesque travaille avec une patiente.

Physiothérapeute dans le programme TNF, Pierre-Luc Lévesque aime dire à la blague qu’il fait « faire des niaiseries » à ses patients. Comme utiliser un bâton et un cône pour jouer à la ringuette. Ou monter et descendre d’une marche en tenant un frisbee devant son visage. Mais toutes ces actions ont un objectif : faire travailler les patients en « double tâche » afin de les distraire et « de leur montrer qu’ils sont capables de bouger ».

Pour les patients qui ne peuvent plus montrer des escaliers, par exemple, M. Lévesque les fait marcher au rythme d’un métronome. « Et quand ils arrivent aux marches, ils n’ont pas le droit d’arrêter », dit-il. Souvent, le physiothérapeute utilise des miroirs ou filme ses patients pour leur montrer leur réussite. « Pour qu’ils se voient réussir et que ça casse leur anticipation », dit-il.

Dans le cas de M. Morisset, le physiothérapeute lui a demandé de soulever un frisbee devant son visage tout en tenant un cône en équilibre sur sa tête avec une balle dessus. Ou de tenir un frisbee à l’envers avec une balle à l’intérieur tout en tenant son équilibre sur une planche. Progressivement, le frisbee a été changé pour un appareil photo.

La douleur n’était pas physique, ça venait du cerveau. J’ai réappris que toutes ces actions étaient sûres. Que même si ça faisait mal, il fallait continuer au lieu de mettre plus de protection. On a cassé mon pattern de malade.

Stefan Morisset

Même si le patient veut arrêter, on le pousse à continuer. « Parce que plus on se repose et plus on évite le symptôme en TNF, plus on encourage le circuit qu’on veut justement désactiver », explique la Dre Bérubé. La spécialiste est consciente que son programme unique au Québec, implanté depuis 2021, représente « un changement de paradigme en sciences cognitives et en neurologie ». « Ce modèle doit faire son chemin », dit-elle.

Jusqu’à maintenant, le programme, encadré par un projet de recherche, fait ses preuves, selon la Dre Bérubé, qui constate une meilleure adhésion et une meilleure acceptation du diagnostic par les patients, ce qui est essentiel pour la guérison.

M. Morisset, lui, a terminé le programme durant l’hiver. Il estime qu’il est passé d’un « zombie » qui fonctionnait à 5 % de ses capacités à un homme qui fonctionne à 80 % de son potentiel. Il travaille à temps partiel. Il a gagné un concours de photographie ce printemps. Il voit ses amis et va au gym deux fois par semaine. « Je n’avais pas souri depuis tellement longtemps… Je n’avais pas vu le ciel depuis un an, car j’étais incapable de bouger le cou. Je pensais avoir atteint le point de non-retour. Mais le programme, il marche. Il sauve des vies. Ayez de l’espoir », témoigne M. Morisset.

Est-ce contagieux ?

Durant la pandémie, une hausse du nombre d’adolescents ayant développé des tics « fonctionnels » semblables à la maladie de Gilles de la Tourette a été constatée dans certains endroits du monde. Plusieurs de ces jeunes avaient en commun d’avoir consulté des vidéos de personnes atteintes de la maladie sur les réseaux sociaux. Les troubles neurologiques fonctionnels peuvent-ils être contagieux ? En fait, c’est plutôt que le cerveau « est capable de générer n’importe quelle sensation physique à partir du moment où il en a eu l’expérience », dit la Dre Bérubé. Par exemple, les patients qui font de l’épilepsie font aussi parfois des convulsions non épileptiques, explique la Dre Bérubé. Car leur cerveau connaît les symptômes et les reproduit parfois.