En annonçant il y a un an qu’il comptait dépoussiérer le programme de français enseigné dans les écoles primaires et secondaires du Québec, Bernard Drainville s’est donné l’objectif d’améliorer le taux de réussite et d’accrocher les élèves à la culture québécoise. Il dévoile à La Presse sept premières orientations qui ouvrent la porte à de grands débats, comme l’utilisation de l’orthographe rectifiée ou le choix du type de calligraphie enseignée.

Oignon ou ognon ?

Depuis juin 2023, le ministère de l’Éducation est engagé dans un vaste chantier afin de présenter, dès l’été 2025, une version provisoire du nouveau programme de français. Celui-ci doit être mis à l’essai pour l’année scolaire 2025-2026 dans des écoles ciblées, puis implanté dans tout le réseau dès la rentrée suivante.

À la demande de La Presse, le cabinet de M. Drainville a dévoilé sept premières orientations qui guident la réforme. L’une d’elle est de demander à des experts de réfléchir à la question de l’orthographe rectifiée (oignon ou ognon, embûche ou embuche, etc.) et de se prononcer sur son enseignement. À ce jour, explique l’Office québécois de la langue française (OQLF), les profs qui enseignent l’orthographe rectifiée le font de leur propre initiative et Québec tient compte des rectifications pour ne pas pénaliser les élèves qui l’utilisent.

Le ministère de l’Éducation compte aussi mettre à jour les mots de vocabulaire que les élèves apprennent au primaire et songe à rendre cette liste orthographique obligatoire. De plus, alors que deux types de calligraphie sont actuellement enseignés à l’école, et que des études suggèrent qu’il faudrait en prioriser une, Québec se demande quoi faire. Doit-on cesser d’enseigner les lettres attachées ? « On a demandé aux experts de se pencher sur la question », indique-t-on.

Parmi les autres orientations que le gouvernement veut étudier dans l’élaboration du nouveau programme, il est déjà assuré que l’accès à la culture québécoise sera bonifié. Le Ministère entend aussi donner une place plus importante à la communication orale et introduire dès la fin du primaire des concepts qui ne sont à ce jour enseignés qu’au secondaire.

« Les enseignants de français ont besoin de temps, d’accompagnement et de ressources pour implanter le nouveau programme dans les classes. Sans ça, on n’est pas certain que le programme soit un succès », prévient le président de l’Association québécoise des professeur.e.s de français, Justin Taschereau.

Un « pacte » pour le français

Au cours des derniers mois, 7500 personnes (enseignants, conseillers pédagogiques, orthopédagogues et directeurs d’école) ont répondu à un questionnaire en ligne sur la réforme du programme de français, au même moment où 41 groupes de discussion ont été organisés par le ministre et ses équipes.

Martin Lépine, professeur de didactique du français à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, est l’un des experts qui ont rencontré Bernard Drainville. Il a proposé au ministre de sceller un nouveau « p.a.c.t.e. » entre l’école, les familles et les élèves pour que le français s’apprenne dans le « plaisir », que les enfants aient facilement « accès » aux livres et aux œuvres, qu’ils disposent d’une diversité de « choix » et de « temps » consacré quotidiennement à la lecture et à l’écriture, et que cela se fasse dans des « espaces » propices et agréables.

« Si l’école ne donne pas le goût de lire, d’écrire et de communiquer, c’est comme si on rabattait les élèves le soir vers des séries en anglais parce que l’école, pendant la journée, ne leur a pas donné le goût de leur propre langue », dit-il.

Érick Falardeau, directeur du département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval et professeur titulaire en didactique du français, croit aussi que l’école doit travailler sur le plaisir d’apprendre.

Comment le susciter ? En travaillant sur le besoin essentiel de se sentir bon, même en apprenant ; en développant l’autonomie, ce qui inclut d’offrir des choix d’œuvres variés ; et en discutant en classe de ce qu’un livre fait vivre comme émotions plutôt que d’évaluer les élèves avec les traditionnels tests de lecture.

Ouvrir la porte aux artistes

Pour Olivier Dezutter, professeur titulaire du département de pédagogie de la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, il faut aussi renforcer les initiatives pour amener des créateurs dans les écoles et inscrire ces rencontres dans le programme.

« L’élève doit être en contact avec la culture et les acteurs culturels. Les auteurs, les éditeurs, les journalistes, les gens qui travaillent avec la langue. On vient de faire une recherche sur les impacts des activités culturelles en collaboration avec des artistes et l’effet est [bénéfique] pour tous les élèves, même les plus faibles », affirme-t-il.

La professeure Elaine Turgeon, du département de didactique de l’UQAM, qui a notamment dirigé le collectif Rencontres : quand les créatrices et les créateurs de livres entrent à l’école, le confirme : « Quand on invite un créateur à l’école, on donne un modèle aux enfants. »

« Je suis née dans les années 1970. Les livres étaient écrits soit par des personnes mortes ou des auteurs qui vivaient en Europe. Quand les enfants ont la chance de rencontrer des personnes en chair et en os, qui témoignent de leur plaisir de lire et d’écrire, l’école crée la chance que ça se développe chez les enfants », dit-elle.

Quel taux de réussite doit-on viser ?

En annonçant la mise en chantier de la réforme du programme de français, Bernard Drainville a indiqué qu’il souhaitait revenir à un taux de réussite global de près de 80 % à l’épreuve ministérielle d’écriture de cinquième secondaire (épreuve unique de français). En 2023, ce taux était de 74,8 % pour les écoles publiques et privées combinées, mais l’écart entre les deux réseaux était grand.

Par ailleurs, en décortiquant les résultats détaillés à cet examen ministériel, on constate qu’un élève sur deux dans les écoles publiques a échoué en 2023 dans la catégorie du respect de l’orthographe et de la grammaire (taux de réussite de 50,9 %, comparativement à 70,8 % pour les élèves du privé). Selon l’Association des conseillères et des conseillers pédagogiques du Québec, ces résultats sont malheureusement stables depuis plusieurs années. Le Ministère a entrepris d’évaluer les erreurs les plus fréquemment commises par les élèves afin de fournir ces données aux enseignants.

Sept points de la réforme Drainville

  1. En plus de la littérature québécoise, puiser dans la culture d’ici avec la chanson, le théâtre, le cinéma ou les séries télé pour enseigner les notions de français ;
  2. Revoir l’ordre des priorités dans l’enseignement de la grammaire pour chaque niveau scolaire afin d’améliorer la réussite. Exemple : mieux répartir l’enseignement des temps de verbe pour s’assurer que les élèves les maîtrisent bien ;
  3. Demander à des experts de se prononcer sur le type de calligraphie que l’on devrait enseigner à l’école ;
  4. Accorder une place plus importante à la communication orale à tous les niveaux scolaires ;
  5. Introduire dès les dernières années du primaire des concepts qui ne sont pour l’instant abordés qu’au secondaire ;
  6. Mettre à jour la liste des mots de vocabulaire qui sont enseignés aux enfants du primaire afin qu’ils reflètent la réalité d’aujourd’hui, et évaluer la possibilité de la rendre obligatoire ;
  7. Demander à des experts de se prononcer sur l’enseignement de l’orthographe rectifiée, puis en tenir compte dans l’élaboration du nouveau programme.

Appel à tous

Que devrait être la priorité du ministre de l’Éducation dans sa réforme du programme de français enseigné aux élèves du primaire et du secondaire ?

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