Un gang de rue est soupçonné d’être responsable du meurtre de deux jeunes ayant été hébergés au Campus Prévost, une installation de la DPJ anglophone de Montréal, ainsi que de cas de disparition et d’exploitation sexuelle au même endroit.

Un syndicat local confirme que le crime organisé y est présent et que les intervenants s’inquiètent pour leur sécurité et celle des jeunes. « C’est une poudrière », a expliqué Alexandre Prégent, du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). « C’est plus violent que c’était il y a quelques années. »

Situé à Prévost, dans les Laurentides, le Campus Prévost héberge quelque 85 jeunes qui ont épuisé toutes les autres ressources du système. Cette installation est opérée par les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw, l’équivalent anglophone de la DPJ qui appartient maintenant au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Une décision de justice rendue le mois dernier relate les propos d’un intervenant jeunesse et d’un jeune qui affirment que deux jeunes hébergés sur place ont été tués par un même gang, l’an dernier.

Selon nos informations, les victimes sont Zackhry Ramnath, 18 ans, et Isaiah Leopold Roach, 16 ans, dont les décès avaient déjà été rapportés dans les journaux. Leurs corps ont été respectivement retrouvés en Ontario et en Montérégie à quelques jours d’écart, au printemps 2023.

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC

Isaiah Leopold Roach

Les deux jeunes n’ont pas été tués au Campus Prévost. Une source a d’ailleurs indiqué que l’aîné avait possiblement quitté l’établissement quelques semaines ou mois auparavant.

La décision de justice porte toutefois sur un autre jeune, Jonathan*, exploité sexuellement par le même groupe après avoir consommé lui-même tout le crack qui lui avait été confié pour revente, pendant une fugue. « L’adolescent aurait été victime d’abus sexuels à répétition par un homme plus âgé dans le cadre d’un réseau de prostitution […] durant ses dernières fugues », peut-on lire dans la décision.

Une fois qu’il a été récupéré par la police, « le gang a commencé à le chercher afin de le tuer, comme ils ont tué deux autres garçons de ce gang placés au Campus Prévost », a écrit un intervenant de la protection de la jeunesse dans un courriel cité dans le jugement. Jonathan lui-même a aussi rapporté que trois autres jeunes « sont disparus » dans le même contexte.

L’intervenant met en garde ses collègues : transférer Jonathan dans une autre unité présente des risques, mais « c’est l’option qui lui permettra de rester en vie et de ne pas être victime de trafic humain ».

« Quelque chose de grave se tramait »

La juge Peggy Warolin a été abasourdie par ces informations et les délais des services sociaux pour réagir. « Quand on pense avoir tout vu, on réalise qu’il y a pourtant pire : malgré la multitude d’indices permettant de savoir que quelque chose de grave se tramait, on n’a pas pris les moyens pour comprendre, intervenir, et intervenir vite ! », a-t-elle conclu, en exigeant la rédaction d’une lettre d’excuses au jeune homme par la protection de la jeunesse.

Il est « difficile de comprendre qu’un adolescent » confié à la protection de la jeunesse soit « mis encore plus en danger qu’il ne l’était auparavant », a déploré Mme Warolin. Les services sociaux doivent trouver des solutions dans les situations où les jeunes sont en danger, pas « faire en sorte que cette situation s’empire », a-t-elle ajouté.

Le CIUSSS a refusé de commenter la situation au Campus Prévost, citant ses obligations de confidentialité en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse.

« Ceci étant dit, la protection des jeunes sous notre DPJ est notre priorité, et ce pour l’ensemble de nos centres de réadaptation », a indiqué la conseillère cadre Hélène Bergeron-Gamache, par courriel.

« Nous portons une attention particulière aux indices qui indiquent qu’un jeune pourrait être sous le joug d’un gang de rue, a-t-elle poursuivi. Nous agissons également de façon proactive pour sensibiliser nos jeunes aux dangers entourant les groupes criminalisés et les tactiques utilisées par ceux-ci pour les recruter. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le Campus Prévost

Alexandre Prégent, du SCFP, a rapporté que ses syndiqués du Campus Prévost ont des craintes par rapport aux liens criminels de certains jeunes hébergés.

Il y a toujours eu des problématiques de violence ou de regroupements de jeunes avec de la violence, mais ça s’est plus organisé dans les dernières années. C’est certain que ça crée un peu d’insécurité chez nos gens.

Alexandre Prégent, du Syndicat canadien de la fonction publique

« Les gens nous ont parlé de leurs inquiétudes, aimeraient avoir des protections individuelles comme des vestes anti-pics », a rapporté M. Prégent, en évoquant une demande en provenance d’agents chargés de transporter les jeunes en dehors du Campus.

Connus de la police

Les deux jeunes morts en 2023 étaient connus de la police. Selon nos sources criminelles, l’un d’eux, Zackhry Ramnath, était associé aux 68, un gang de rue de Pierrefonds aussi appelé Amabaie. Zackhry Ramnath, aussi connu sous le nom de Fatty, et Isaiah Leopold Roach étaient deux amis de longue date qui ont fréquenté le Campus Prévost, affirme un jeune homme qui connaissait les victimes.

Les deux adolescents retrouvés morts l’année dernière gravitaient autour du milieu interlope depuis quelques années et auraient été impliqués dans la fraude et la vente de stupéfiants. Ils faisaient fréquemment l’aller-retour entre Montréal et Toronto.

Avant leur mort, les deux jeunes s’étaient disputés. Cette querelle aurait mené à la publication d’une vidéo qui montre Isaiah Leopold Roach présentant ses excuses à son ami « Fatty », streetname de Zackhry Ramnath. La séquence filmée avait semé l’émoi et fait le tour des réseaux sociaux après sa mort.

La vidéo troublante avait été diffusée sur les réseaux sociaux après la mort d’Isaiah Leopold Roach, mais aurait été filmée des mois avant son décès. On y voit l’adolescent, à genoux, s’adressant à au moins deux individus en s’excusant à profusion « d’avoir snitch » son ami « Fatty. » On ignore qui a publié cette vidéo où le défunt se présente avec nervosité comme un délateur.

Lisez « Meurtre d’un ado retrouvé à Saint-Zotique : une vidéo troublante diffusée sur l’internet »

Les circonstances de leur mort demeurent toutefois nébuleuses. « Au début, on pensait que la mort d’Isaac aurait pu avoir un lien avec sa dispute avec Zackhry. Mais ils s’étaient réconciliés », confie le jeune homme avec qui La Presse s’est entretenue.

Il pense que le jeune Zackhry Ramnath pourrait s’être attiré des ennuis dans le milieu des gangs de rue, puisqu’il avait été recruté par des membres plus âgés du gang 68 pour commettre des agressions physiques sur d’autres personnes.

Deux personnes, une adolescente et un jeune Ontarien, ont été arrêtés en lien avec les deux meurtres.

* Prénom fictif