Des juges administratifs ont commencé cette semaine à réduire leurs heures pour forcer Québec à hausser leurs salaires, a appris La Presse. Ils envisagent même d’aller jusqu’à déclencher une grève si nécessaire, ce qui impliquerait ironiquement de devoir passer devant les tribunaux.

Ce qu’il faut savoir

  • Les juges administratifs du Québec sont payés près de deux fois moins que les juges judiciaires.
  • Ils réclament un rééquilibrage salarial.
  • Plusieurs associations réduiront leurs heures de travail pour faire pression sur le gouvernement.

« Il y a une grande frustration en ce moment. Le gouvernement ne veut pas nous entendre », dit le président de la Conférence des juges administratifs du Québec (CJAQ), Daniel Pelletier, dont l’organisation regroupe 300 des 400 juges administratifs de la province.

Moins connus du public que les magistrats de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure, ces juges qui exercent leur fonction dans 16 organismes et tribunaux entendent des dizaines de milliers de causes de particuliers par année, que ce soit en matière de logement, de travail, de transport, de protection agricole ou d’accès à l’information.

En moyenne, les juges administratifs touchent à peine plus de la moitié du salaire d’un juge de la Cour du Québec, soit 169 500 $ contre 310 000 $.

C’est presque la même rémunération qu’un procureur d’expérience du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

« C’est moins que les juristes de l’État qui plaident devant nous », déplore le président de la division relations de travail du Tribunal administratif du travail (AJATAT-DRT), François Demers. « On fait pourtant essentiellement le même travail que les juges judiciaires. On applique des règles de droit, on rend des jugements, on tranche des litiges », dit-il.

Le résultat est frappant : alors qu’en 2016, 240 personnes avaient postulé pour un poste de juge au Tribunal administratif du travail (TAT), elles n’étaient plus que 149 l’an dernier. « Les spécialistes du droit du travail, au lieu de venir chez nous, ils vont ailleurs. Nos conditions d’exercice sont désavantageuses », dit M. Demers.

Moins de travail, moins de services

Selon nos informations, le gouvernement aurait montré dans la dernière année « une certaine ouverture » à revoir les salaires des juges administratifs, avant de se rétracter, ce qui a causé beaucoup de colère dans le milieu. La dernière augmentation salariale de ces magistrats remonte à 2022. Ils avaient obtenu 2 % de hausse lors des trois années précédentes.

La semaine dernière, les 40 juges de l’AJATAT-DRT ont été les premiers à voter pour des moyens de pression à déclencher « au moment opportun ». Les magistrats du Tribunal administratif du logement (TAL) ont fait pareil, mardi soir. La division de la santé et de la sécurité du travail du TAT ainsi que deux autres tribunaux administratifs doivent se prononcer ce jeudi et vendredi. Tout indique qu’ils imiteront leurs collègues.

« Depuis lundi, notre prestation de travail est réduite à 35 heures par semaine, comme les juristes de l’État », explique M. Demers. « Jusqu’ici, on faisait le travail qui était nécessaire, et ça impliquait un nombre d’heures substantiellement plus élevé », dit-il. La présence d’un « juge de garde », qui était assurée en tout temps, sera aussi dorénavant limitée à la période entre 8 h 30 et 16 h 30, à moins d’une urgence.

Si rien ne bouge, ces juges sont même prêts à aller encore plus loin : entrer en grève, un droit qu’ils ne possèdent théoriquement pas.

« Nos membres nous ont donné le mandat de planifier une grève si nécessaire. Ça impliquerait un enjeu juridique important, c’est certain, et potentiellement qu’il serait réglé par un tribunal judiciaire. On serait en territoire inconnu et nouveau », note M. Demers à ce sujet.

« On a entendu le gouvernement nous dire à peu près la même chose depuis au moins une dizaine d’années. Là, on veut des résultats », ajoute-t-il.

Revendiquer le pouvoir de négocier

D’après Daniel Pelletier, le cœur du problème, c’est que les juges administratifs n’ont pas réellement de pouvoir de négociation, leur rémunération étant liée par décret aux augmentations accordées aux cadres de l’État. Ils n’ont pas non plus droit à l’arbitrage, puisqu’ils ne sont pas régis par le Code du travail.

« On veut pouvoir négocier avec un régime adapté et indépendant. On est l’un des seuls groupes de juristes à ne pas avoir ça au Québec », illustre le président. « En ce moment, avec le gouvernement, c’est simplement comme une consultation. Et si on ne s’entend pas, ils font ce qu’ils veulent. »

Son groupe y voit un problème quant à l’indépendance des juges administratifs, qui doivent trancher au quotidien des litiges entre diverses parties prenantes et l’État québécois, « avec qui ils débattent en même temps de leurs salaires ». « Ça n’a pas de sens du point de vue de la neutralité », poursuit M. Pelletier.

La Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui intervient dans plusieurs litiges devant les tribunaux administratifs, se dit « solidaire avec les revendications des juges ».

« On espère un règlement satisfaisant dans les meilleurs délais », s’est limitée à dire l’organisation syndicale.

Réactions du gouvernement

Le cabinet de la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a indiqué que « le gouvernement est en discussion dans le cadre d’un comité de travail avec les associations regroupant les membres des tribunaux et des organismes administratifs. »

« Toutefois, nous ne commenterons pas la teneur des échanges du comité de travail ni les mesures qui seraient envisagées. Notre priorité reste d’assurer les services aux citoyens », a-t-il mentionné.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse