Appelé à témoigner dans le cadre d’un procès intenté par un promoteur contre la Ville de Montréal, l’ancien maire Denis Coderre a défendu sa gestion du dossier controversé de la Formule E, mercredi, tout en profitant de l’occasion pour décocher plusieurs flèches à la mairesse actuelle, Valérie Plante.

« Tout le monde va parler de Denis Coderre, c’est la raison pour laquelle vous avez des médias aujourd’hui. Je leur ai dit que je suis venu vérifier les terrasses », a plaisanté d’emblée le politicien de carrière devant le juge de la Cour supérieure Louis Charrette, en référence aux fermetures forcées de terrasses qui ont plongé l’administration de Mme Plante dans l’embarras ces derniers jours.

M. Coderre était appelé comme témoin au procès qui oppose l’homme d’affaires Alexandre Choko à la Ville de Montréal, concernant la course de Formule E tenue au centre-ville de Montréal en 2017.

M. Choko allègue que l’administration du maire Coderre a torpillé son propre projet d’amener la Formule E à Montréal afin de laisser le champ libre au promoteur et producteur evenko. Il réclame 3 millions de dollars en dommages.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le promoteur Alexandre Choko affirme avoir été écarté injustement de l’organisation de la Formule E.

La poursuite s’appuie notamment sur un rapport du Bureau de l’inspecteur général (BIG) qui avait déterminé que l’administration municipale avait contourné les règles d’attribution des contrats dans cette affaire. Plutôt que d’organiser un appel d’offres qui aurait permis à différents promoteurs de se manifester, le maire aurait contacté directement evenko. Un OBNL officiellement indépendant avait été créé pour organiser l’évènement, mais selon le BIG, il est demeuré sous le contrôle de l’équipe du maire et a servi de courroie de transmission pour transférer des subventions à evenko.

Faire l’« entremetteur »

M. Coderre a nié avoir choisi lui-même evenko, se décrivant plutôt comme un « entremetteur » qui avait permis à l’entreprise d’entrer en contact avec la Fédération internationale de l’automobile (FIA).

« Eux voyaient d’un bon œil qu’evenko puisent faire l’évènement, mais avant toute chose, ils voulaient se rencontrer. Mon rôle était de faire l’entremetteur », a expliqué l’ancien maire.

« Tout a été fait correctement ! », a-t-il insisté, en réponse aux questions de MKarim Renno, l’avocat de M. Choko.

« Je pense que l’important, ce sont les relations. Il y en a qui en parlent, d’autres qui en font », a-t-il aussi martelé au sujet de son passage à la mairie.

Il a expliqué qu’une de ses assistantes lui avait recommandé de se tenir loin d’Alexandre Choko, qui souhaitait lui aussi organiser la course, mais qui avait été mêlé à un litige financier dans le monde de la boxe par le passé. « Elle m’a dit : touche pas à ça avec une barre de 20 pieds ! », a relaté M. Coderre. Le litige s’était réglé à l’amiable, mais M. Coderre avait retenu de cet épisode que M. Choko aurait été la cible « d’allégations de fraude ».

« Je ne peux pas faire affaire avec quelqu’un qui a des allégations de fraude », a-t-il expliqué au tribunal.

Il a raconté que tous les élus de l’époque souhaitaient le succès de la Formule E. « C’était unanime. Même la conseillère de Ville-Marie de l’époque, qui s’appelait Valérie Plante, était d’accord », a-t-il laissé tomber.

L’évènement a connu peu de succès et 16 000 billets ont été distribués gratuitement plutôt que vendus. « Si c’était à refaire, je le referais », a déclaré le témoin.

« Il y en a qui ont fait de la politique sur mon dos avec ça », a-t-il déploré.

Une fois élue, l’équipe de Valérie Plante a décidé de ne pas renouveler l’expérience, alors qu’il est pourtant normal qu’une première année soit plus difficile avec ce genre d’évènement, selon M. Coderre.

« Il faut comprendre que quand on a une caution de 10 millions, la journée où on tire la plogue comme Mme Plante, ça veut dire qu’on doit payer 10 millions ! », a-t-il expliqué.

Sermonné par le juge

Les digressions du témoin, ses commentaires et son impatience à s’exprimer sans laisser les avocats terminer leurs questions ont poussé le juge Charrette à sermonner M. Coderre à plusieurs reprises.

« On n’est pas en scrum, là. On est devant le tribunal ! J’ai une question, j’ai besoin d’une réponse », a dit le magistrat.

Peu après, il est revenu à la charge. « Monsieur Coderre, c’est la dernière fois que je vous avertis. Si vous n’êtes pas capable de répondre aux questions qui sont posées, je vais présumer que vous n’êtes pas en mesure de le faire », a-t-il insisté.

Le témoignage s’est finalement achevé à l’intérieur du délai prévu.