Hélène de Guise* avait promis une chose à sa mère : qu’elle ne mourrait pas dans la souffrance. Quelques semaines après sa mort, la Montréalaise a l’impression que les conditions de fin de vie de sa mère hébergée au CHSLD Robert-Cliche ne lui ont pas permis de tenir parole.

« Ce qui me trouble, ce n’est pas tant le décès de maman, qui était prévisible, mais les conditions dans lesquelles ça s’est passé, affirme Mme de Guise. Maman a souffert. »

Libraire pendant des années à Saint-Lambert, Michèle Dussault avait deux passions : lire et nager.

C’était une femme avant-gardiste et ouverte d’esprit.

Hélène de Guise, à propos de sa mère

Le 22 août 2022, environ trois ans après avoir reçu un diagnostic d’alzheimer, Mme Dussault s’installe au CHSLD Robert-Cliche, dans l’est de Montréal.

Rapidement, ses filles commencent à douter de la qualité des soins. « Certains employés étaient bêtes et froids », affirme Mme de Guise, qui devient en mars 2023 présidente du comité des résidants du CHSLD Robert-Cliche.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Michèle Dussault

En mai 2023, elle écrit à la direction de l’hébergement au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, pour critiquer « le manque récurrent de personnel qui affecte grandement la qualité de vie des résidants ». Elle souligne que sa mère a passé dix jours sans avoir de bain ou de douche. Elle dénonce « l’attitude désagréable de certains employés ».

Le 30 novembre 2023, Mme de Guise écrit cette fois à la directrice de l’hébergement en soins de longue durée du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Brigitte Brabant, pour dénoncer les « mauvais traitements » subis par certains résidants. Elle parle d’un milieu « opaque et toxique ».

Huit jours plus tôt, Mme Brabant avait elle-même fait un signalement au Commissaire aux plaintes pour des raisons semblables. Signalement qui mènera à un rapport dévastateur (voir texte précédent).

Douleur et étouffement

En décembre 2023, Mme Dussault commence à avoir des douleurs quand on la mobilise. La résidante se fait prescrire du Dilaudid en comprimé qu’on doit lui donner 30 minutes avant de la bouger, affirme Mme de Guise.

Les douleurs de sa mère persistent. Le 2 février dernier, on lui prescrit un timbre de fentanyl et du Dilaudid en injection. Le lendemain, Mme Dussault ne parle plus. Le surlendemain, elle est incapable de se lever et de parler. Un préposé essaye de la changer : elle hurle. La nuit suivante, rebelote : Mme Dussault hurle quand on tente de la changer en pleine nuit, soutient sa fille, qui déplore que plusieurs travailleurs semblent ignorer qu’on devait administrer du Dilaudid 30 minutes avant pour éviter la souffrance.

Trois jours plus tard, quand Mme de Guise arrive au chevet de sa mère, celle-ci est étendue, la bouche ouverte. Elle ne réagit plus. « Elle semblait mourante », dit Mme de Guise, qui alternait au chevet de sa mère avec ses deux sœurs. Pourtant, la fille a l’impression que personne ne pense que sa mère est sur le point de mourir.

En après-midi, Mme Dussault commence à avoir de la difficulté à respirer. Elle râle et semble s’étouffer dans ses sécrétions. Un médecin prescrit au téléphone de la scopolamine pour soulager ce problème. Le médicament ne sera toutefois jamais administré par l’infirmier, qui procédera plutôt à une aspiration manuelle des sécrétions bronchiques. Quelques heures plus tard, Mme Dussault mourra.

Mme de Guise portera plainte au Commissaire aux plaintes. Dans sa réponse, la commissaire écartera plusieurs de ses doléances.

Elle indiquera que, selon les notes d’infirmières, Mme Dussault n’a pas éprouvé de douleurs la majorité du temps et que lorsqu’elle gémissait, de la médication lui était administrée et fonctionnait, selon ce qui est rapporté. La commissaire notera que le plan thérapeutique infirmier de Mme Dussault « ne comportait pas de directive spécifique indiquant une administration de Dilaudid avant toute mobilisation ».

« Pourquoi n’était-ce pas écrit ? », demande Mme de Guise. Un médecin examinateur qui se penchera aussi sur le cas recommandera au CHSLD de « modifier ses pratiques thérapeutiques de prescriptions » pour « ajuster l’horaire de la médication en fonction des conditions qui génèrent de la douleur, en particulier les mobilisations ».

La commissaire aux plaintes indiquera que le fait de ne pas avoir administré de scopolamine à Mme Dussault pour soulager sa détresse respiratoire a été « une lacune ». Elle indiquera que le personnel du CHSLD Robert-Cliche a suivi des formations sur « les signes et symptômes respiratoires de fin de vie » et sur les « soins de fin de vie » en avril dernier et que d’autres formations seront données sur « les douleurs en fin de vie ».

Des « experts »

Se disant « attristé » par la mort de Mme Dussault, Mme Brabant assure que la résidante « a eu une fin de vie quand même bien ». « Je pense qu’elle était quand même confortable même s’il y avait de petits éléments », dit-elle, attribuant la différence d’interprétation de la douleur entre Mme de Guise et les équipes soignantes à des enjeux de perception et de communication. Mme Brabant assure que ses équipes du CHSLD sont « des experts dans le soulagement de la douleur et la fin de vie ».

Elle admet toutefois que le fait de ne pas avoir administré de scopolamine à Mme Dussault avant sa mort et d’avoir plutôt fait une aspiration manuelle, « ce n’est habituellement pas une pratique que l’on fait ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Brigitte Brabant, directrice de l’hébergement en soins de longue durée du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

L’erreur est humaine. Ça peut arriver qu’on se trompe. On n’est pas parfait. Dans ce temps-là, on se retrousse les manches. On est en amélioration continue.

Brigitte Brabant, directrice de l’hébergement en soins de longue durée du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

Mme Brabant insiste pour dire que le CHSLD Robert-Cliche a enregistré 39 décès l’an dernier. « C’est pratiquement un par semaine […]. Dans ces 39 décès-là, on a eu une seule plainte », dit-elle. Mme Brabant affirme que ses équipes veulent « toujours faire alliance avec la famille » des résidants. « On veut tous que ça se passe bien. Mais cette alliance-là, dans ce cas-ci, était plus difficile », dit-elle.

Pour Mme de Guise, il est inconcevable que dans un lieu comme un CHSLD, où les décès sont très fréquents, les intervenants n’aient pas été mieux outillés pour gérer la mort de sa mère. « Cela a fait une différence entre une mort douce et une mort difficile », dit Mme de Guise, qui a quitté dernièrement sa fonction de présidente du Comité des usagers.

* Mme de Guise est une ancienne employée de La Presse.