Après la pandémie, les enquêtes de coroner et les promesses de ne plus jamais laisser tomber les aînés, ceux-ci peinent toujours à obtenir des soins de qualité dans certains centres d’hébergement de la province. Dans un récent rapport obtenu par La Presse en vertu de la loi sur l’accès à l’information, la commissaire aux plaintes du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal dresse des constats dévastateurs au sujet du CHSLD Robert-Cliche et évoque même de la « maltraitance ».

« Selon notre enquête, une série de services non donnés par divers titres d’emploi ou le non-respect de certaines politiques affectent les droits des usagers et conduisent vers une maltraitance d’ordre systémique ; en ce qu’elle n’est pas due qu’à un seul employé, mais plusieurs qui en raison d’actes inappropriés causent un tort, une détresse à une personne vulnérable », peut-on lire dans le rapport de la commissaire Alexandrine Côté, daté de janvier dernier.

Hélène de Guise*, dont la mère est morte en février dernier au CHSLD Robert-Cliche (voir texte suivant), déplore que malgré « toutes les mesures » adoptées par le gouvernement pour assurer des soins de qualité aux aînés, on en soit « rendu là ». « À parler de maltraitance organisationnelle ! L’amélioration continue, à l’heure actuelle, on peut se demander ce que ça veut dire », déplore-t-elle.

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Des familles de patients du CHSLD Robert-Cliche ont déploré, notamment, que des employés « refus[aient] de lever » les résidants.

Plus de 38 familles et 70 employés ont été rencontrés par la commissaire aux plaintes en novembre 2023. Près de la moitié des familles (45 %) ont rapporté plusieurs situations problématiques au CHSLD Robert-Cliche. Entre autres, que des travailleurs ne répondaient pas aux cloches des résidants. « Ils sont assis à l’autre bout du corridor sur leur téléphone cellulaire et nous ignorent », est-il écrit dans les constats du rapport.

Ces familles ont aussi indiqué que les employés « parlent dans une autre langue devant nos proches », « refusent de lever le résidant, même lorsque demandé par une infirmière », et que les repas sont servis « froids et à 16 h 30 ».

Des critiques sont aussi formulées sur la qualité des soins. On a rapporté que des travailleurs ne « connaissent pas les résidants et ne savent pas pourquoi la médication est donnée » ou que d’autres interragissent peu et « oublient la personne devant eux lors de l’exécution d’une tâche ». En interrogeant les employés et en consultant différentes documentations, la commissaire aux plaintes a aussi constaté que des préposés aux bénéficiaires « refusent de faire des tâches prévues au plan de travail » et que les recommandations des professionnels « ne sont pas suivies ». « Certains employés ne connaissent pas les normes de soins à respecter et ne les valident pas », peut-on lire dans le rapport.

Des changements déjà faits

Brigitte Brabant, directrice de l’hébergement en soins de longue durée du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, explique que certaines mesures d’amélioration ont été implantées dès mai 2023 au CHSLD Robert-Cliche à la suite de plaintes. Une nouvelle équipe de gestion a notamment été mise en place. Des rencontres avec les familles ont été tenues. Des employés ont aussi été sanctionnés ou congédiés.

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Brigitte Brabant, directrice de l’hébergement en soins de longue durée du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

Ces nombreux changements ont « augmenté la satisfaction des familles » ainsi que de plusieurs employés, a noté la commissaire aux plaintes. Mais en novembre 2023, Mme Brabant a tout de même décidé de faire elle-même un signalement à la commissaire aux plaintes pour « une situation de potentielle maltraitance » en lien avec le climat de travail au CHSLD Robert-Cliche. C’est ce signalement, fait en vertu de la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés, qui a mené au rapport obtenu par La Presse.

Quand on lui demande pourquoi elle s’est tournée vers le Commissaire aux plaintes pour redresser la barre au CHSLD Robert-Cliche plutôt que d’avoir agi directement, Mme Brabant dit avoir voulu utiliser le pouvoir d’enquête du Commissaire pour « aller plus loin […] pour confirmer les faits et avoir les leviers pour agir ».

Dans son rapport, la commissaire aux plaintes indique que son enquête auprès des familles et des employés du CHSLD Robert-Cliche a permis « de confirmer des situations de moindre qualité, de droits lésés et parfois de maltraitance ». Treize recommandations ont été faites, dont celle d’implanter des outils de « suivi et de vigilance de la qualité des soins ».

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Une employée du CHSLD Robert-Cliche coiffe une résidante.

Quand on lui demande si la commissaire a bel et bien conclu à de la maltraitance au CHSLD Robert-Cliche, Mme Brabant répond : « La commissaire n’a pas conclu qu’il y avait de la maltraitance individuelle directe. Mais qu’on avait des choses à améliorer au niveau du fonctionnement. »

Mme Brabant explique avoir adopté un « plan d’action ». Des appareils pour garder les repas chauds ont été achetés. Des formations ont été données.

Des cellulaires, il n’y en a plus durant le temps de travail.

Brigitte Brabant, directrice de l’hébergement en soins de longue durée du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

Selon Mme Brabant, la communication avec les familles s’est également « beaucoup améliorée ».

Mme de Guise, elle, doute que le plan d’action mène à des changements pérennes. « Plusieurs des mesures consistent à ‟faire des audits” ou à tenir ‟des vigies” de certaines pratiques, dit-elle. Ces mécanismes étaient là avant et ils n’ont pas permis d’éviter la dégradation des soins… Pourquoi ce serait différent cette fois-ci ? »

* Mme de Guise est une ancienne employée de La Presse.