Dans l’appartement, les trous dans les murs et les portes se comptent par dizaines. Les portes des placards sont arrachées. Il en manque aussi sur les armoires de la cuisine. Les murs sont noircis. Une partie du plafond de la salle de bain, tombée par gros pans de gypse il y a six mois, a été remplacée par un sac poubelle collé avec du ruban adhésif.

« On a peur de se laver », dit la locataire, Dacnelle Charles.

Ce logement que nous décrivons, et où vit une famille, n’appartient pas à un propriétaire privé négligent ou dépassé par l’ampleur des travaux à faire. Il appartient à l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM).

Nous sommes aux Habitations Marie-Victorin, un complexe de HLM à Rivière-des-Prairies qui compte 200 logements pour les familles et les aînés. Ici, des appartements sont « insalubres » et remplis de moisissures et de vermine, déplore la directrice de l’organisme communautaire Le Phare, Yanick Galan, dont les bureaux sont situés en plein cœur de l’ensemble immobilier.

Les infestations de punaises de lit et de coquerelles sont telles que Le Phare a éliminé tout le mobilier en tissu. Les insectes s’y incrustaient lors de visites des résidants du quartier.

« Tout le monde est malade », dit Mme Galan.

Quand [les locataires] se plaignent, on leur répond qu’ils sont chanceux d’avoir un toit. Comment tu peux dire ça quand l’eau te coule sur la tête et que les enfants saignent du nez ? Les gens payent un loyer. Normalement, le propriétaire doit te donner quelque chose.

Yanick Galan, directrice de l’organisme communautaire Le Phare

Marie Milouse et ses cinq enfants occupent une maisonnette de quatre chambres, mais sa plus jeune fille, âgée de 6 ans, dort avec elle plutôt que dans sa propre chambre. « Elle saigne du nez. Elle est toujours congestionnée. Dans sa chambre, l’air n’est pas bon », déplore la maman, ajoutant laisser les fenêtres ouvertes toute l’année. L’odeur d’humidité est perceptible partout à l’étage.

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Marie Milouse

Récemment, un incendie s’est déclaré dans le jumelé voisin. Les flammes ont pénétré dans la maison de la famille Milouse et ont léché le mur de l’entrée. On en voit encore les traces. « On est sortis par la porte-patio en arrière. Heureusement que ce n’était pas l’hiver parce que la porte et la fenêtre gèlent. On serait restés pris. »

Dans la cuisine, la hotte ne fonctionne pas. La laveuse fuit. Le plafond du rez-de-chaussée est craqué juste en dessous. « J’espère juste pouvoir continuer à faire mon lavage sans que la laveuse tombe en bas », dit la locataire.

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Une des chambres de l’appartement de Dacnelle Charles

Quelques portes plus loin, chez Simone Étienne, la peinture a décollé des murs comme si c’était des languettes de caoutchouc quand elle a repeint. « J’ai essayé plusieurs fois, mais ça ne tient jamais. Il y a trop d’humidité », estime-t-elle. Son fils saigne souvent du nez. Ses deux plus jeunes filles ont eu besoin de pompes pour dégager leurs bronches. Elle pense que ça a à voir avec la maison.

Ça m’inquiète pour notre santé. J’ai 46 ans et je me sens comme si j’avais 100 ans.

Simone Étienne, locataire

Pour Douadine Valentin, elle aussi mère de cinq enfants, ce sont les traitements contre les punaises et les coquerelles qui la font le plus souffrir. Avec son asthme, les produits qu’un exterminateur vient étendre pratiquement toutes les deux semaines, témoigne-t-elle, lui donnent beaucoup de mal à respirer. Et il y a la pénible tâche de mettre, chaque fois, toutes les possessions de la famille dans des sacs.

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Douadine Valentin doit régulièrement mettre tous les effets personnels de sa famille dans des sacs pour la visite des exterminateurs. Elle a arrêté de tout défaire chaque fois.

Des maisons vides depuis neuf ans

Pendant que des gens vivent dans ces conditions, 18 maisonnettes de quatre ou cinq chambres faisant partie du même complexe sont vacantes et barricadées depuis 2015. À l’époque, les locataires avaient dû être relogés « en raison de contamination fongique dans les bâtiments », explique le porte-parole de l’OMHM, Mathieu Vachon.

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Ici, faisant aussi partie des Habitations Marie-Victorin, 18 logements insalubres sont vides depuis 2015.

En neuf ans, des résidants du complexe racontent s’être déjà fait promettre le début de travaux majeurs, qui auraient permis un jeu de dominos pour les reloger. « Ça fait des années qu’on les rencontre pour ça. On a même vu des architectes et des designers qui nous ont montré des couleurs de brique », ironise la coordonnatrice du Phare, Julie Geoffroy.

« Quand vous allez visiter les Habitations Marie-Victorin, c’est quelque chose que vous n’oubliez pas », confie la mairesse de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, Caroline Bourgeois, qui a visité les lieux pour la première fois en campagne électorale. Elle dit depuis être intervenue « personnellement » à plusieurs reprises dans le dossier auprès de l’OMHM et des députés responsables sur la question des unités barricadées.

Mais les travaux se font toujours attendre et les maisonnettes demeurent vides.

En 2015, nous avons lancé un appel d’offres, et considérant les coûts du projet, nous ne pouvions réaliser les travaux. Plusieurs démarches et approches ont été faites depuis, mais les budgets traditionnels des années subséquentes ne pouvaient suffire.

Mathieu Vachon, porte-parole de l’OMHM

Ce n’est que le budget du nouveau Programme de rénovation des habitations à loyer modique, lancé en 2023 par la Société d’habitation du Québec, qui a fait débloquer les choses, dit M. Vachon.

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La salle de bain de Douadine Valentin

Selon l’OMHM, la première phase des travaux est prévue pour 2025 avec la réhabilitation de 25 maisonnettes, dont les 18 actuellement barricadées. Une deuxième phase suivra. « Nous préparons les plans et devis », soutient Mathieu Vachon.

Au sujet de la vétusté des logements, dénoncée par des habitants à La Presse, M. Vachon affirme que l’OMHM n’a été mis au courant de certains problèmes que lors d’une rencontre sur un autre sujet tenue le 15 mai avec les locataires. « Dès le lendemain, les demandes ont été transmises aux différents services concernés et elles sont en cours de traitement. Il s’avère que la plupart de ces demandes n’avaient pas été transmises auparavant », dit-il.

Quand au trou dans le plafond de la salle de bain de Dacnelle Charles, il a été signalé à l’Office en novembre quand il y a eu une fuite d’eau chez le voisin d’en haut. Une réparation était prévue en février, mais les ouvriers se seraient butés à une porte close. Ils ont fermé le dossier plutôt que de prendre un autre rendez-vous, ce qui aurait du être fait. « La réparation se fera prochainement », assure Mathieu Vachon.

M. Vachon ajoute que l’office est un propriétaire « très présent dans les milieux de vie ». « Malgré toute la bonne volonté de l’organisation à remplir sa mission, nous ne sommes pas à l’abris de situations où, malheureusement, des manquements peuvent se produire. »

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Un des multiples trous percés par des projectiles d’arme à feu qu’on voit encore sur le garde-corps du balcon de Dacnelle Charles, dont le logement a été criblé de balles en 2021

Malgré l’état épouvantable de son logement, c’est le sentiment d’insécurité qui pousse Dacnelle Charles à vouloir partir. En 2021, son appartement a été criblé de balles. Elle était à l’intérieur. Depuis, elle ne pense qu’à s’en aller, préférablement dans un HLM ailleurs qu’à Rivière-des-Prairies. « J’ai été traumatisée. On a toutes peur ici », illustre-t-elle.

Elle a eu espoir que ça fonctionne à quelques reprises, mais le déménagement ne s’est finalement pas concrétisé. Entre-temps, l’OMHM n’a toujours pas remplacé le garde-corps de son balcon, où six trous de balle sont encore bien visibles.

« Ils ne vont pas déménager quelqu’un parce qu’il s’est fait tirer dessus. Il faudrait déménager tout le monde », laisse tomber Julie Geoffroy, du Phare.