Le contenu de la cuvette de toilette de 2 millions de Montréalais finit chaque jour dans le seul dépotoir de la métropole, d’où n’émane pourtant pas la moindre odeur. Son patron prend sa retraite aujourd’hui, après 20 ans à gérer le résultat de la digestion de toute une ville.
« Bienvenue dans mon carré de sable », lance André Vezeau, tout près de l’ancienne carrière de roche de Montréal-Est. Il en est responsable depuis sa transformation complète en lieu d’enfouissement, en 2003.
Carré de sable ? Carré de cendres, plutôt. Au fond de l’immense trou, de cinq à sept semi-remorques viennent chaque jour déverser ce qui reste des « boues sanitaires » incinérées à l’usine d’épuration des eaux usées de la Ville de Montréal, cinq kilomètres à l’est. Après un passage à 850 °C, le produit fini est inodore et ressemble à du sable brun.
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L’ancienne carrière de roche de Montréal-Est a été transformée en lieu d’enfouissement en 2003.
André Vezeau en fait glisser entre ses doigts sans répugnance. « Mais je vais me laver les mains avant de manger », lance-t-il en riant. « Ça ne se décompose pas, ça ne dégage pas de gaz. »
Le fonctionnaire supervise le ballet des immenses camions miniers – qui remplissent désormais le trou plutôt que de le vider. Des bulldozers étendent la cendre « pour que le plancher soit stable et solide ». Du sommet de la carrière, ils ont l’air de petits jouets mécaniques. « J’ai toujours été un petit gars qui aimait les camions, alors je suis heureux comme un roi », lance justement le gardien des lieux.
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Des bulldozers étendent la cendre.
Sous leurs roues : une douzaine de mètres de cendres, accumulées dans les 20 dernières années. En surplomb : une centaine de mètres d’espace de stockage encore vacant. « On en a pour 100 ans », assure André Vezeau.
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De cinq à sept semi-remorques viennent chaque jour y déverser ce qui reste des « boues sanitaires » incinérées à l’usine d’épuration des eaux usées de la Ville de Montréal.
« Fertili Cendres »
Peut-être même davantage que 100 ans. Depuis 2016, Montréal tente d’envoyer une part croissante de ses cendres sanitaires – riches en phosphore – vers des champs d’agriculteurs. Le produit a « reçu son enregistrement de l’Agence canadienne d’inspection des aliments », mais peut seulement être utilisé pour fertiliser les cultures destinées à l’alimentation des animaux.
« On remplace les engrais chimiques », explique Carole Fleury, microbiologiste au Service de l’eau. « C’est beaucoup plus écologique. »
Montréal espère pouvoir envoyer aux champs les deux tiers des cendres qui sortent de son usine d’épuration d’ici 2028, sous le nom de « Fertili Cendres ». Puis, la part passerait à 80 % en 2030.
Dans les dernières années, son taux de succès oscillait plutôt entre 9 % et 26 %. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, deux pays qui produisent beaucoup d’engrais agricoles, a chamboulé ce marché dans les dernières années.
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Montréal tente d’envoyer une part croissante de ses cendres sanitaires – riches en phosphore – vers des champs d’agriculteurs.
Ces efforts écologiques ne sont pas gratuits : Montréal paie des entreprises « pour qu’elles disposent des cendres en valorisation », continue Mme Fleury. Environ 100 à 200 $ par camion de 30 tonnes. Les agriculteurs doivent aussi passer à la caisse s’ils veulent avoir des cendres.
En plus d’une utilisation en agriculture, les cendres peuvent être utilisées pour « décontaminer des sols, restaurer des sites miniers et amender des terreaux », explique la Ville.
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André Vezeau
« La sainte maudite paix »
À 62 ans, André Vezeau laissera toutefois ces projets à ses successeurs.
« Ça fait au moins deux ans que je réfléchis à la retraite », et la décision s’est prise au mois de « décembre l’an dernier », relate-t-il. Il lance en riant : « Je prends ma retraite le 3 juillet, alors le 4 juillet, c’est le jour de mon indépendance ! »
Derrière lui, les journées pluvieuses à travailler à l’extérieur. Derrière lui, les problèmes de déneigement des tortueux chemins miniers qui descendent jusqu’au fond du trou et les semi-remorques qui s’enlisent dans les cendres trop mouillées.
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Dans l’ancienne carrière, une centaine de mètres d’espace de stockage encore vacant. « On en a pour 100 ans », assure André Vezeau.
Derrière lui aussi, la satisfaction de gérer le plus gros bac de sable à Montréal. M. Vezeau est un syndiqué col blanc, mais c’était lui, le vrai patron au royaume des cendres.
« Le plaisir, c’est ici », dit-il, en montrant du doigt la machinerie qui s’active dans le fond de l’ancienne carrière. « Tu as la sainte maudite paix quand tu viens ici. Tout ce qui est opérationnel, je ne demande pas la permission à personne, ce sont mes opérations. »
Il n’a pas non plus demandé la permission à personne pour partir. André Vezeau quitte son travail dans la bonne humeur, avec des projets de retraite plein la tête. Le roi des cendres abdique avant d’être brûlé.