Des voix exigent que Québec cesse d’importer des matières résiduelles dangereuses.

Résidus industriels, déchets biomédicaux, matières radioactives ou explosives, sols contaminés par des métaux lourds ou des hydrocarbures : des voix réclament la fin de l’importation de déchets dangereux au Québec et un portrait d’ensemble de l’industrie.

Du Saguenay aux Laurentides, en passant par la Montérégie, des entreprises planifient à l’heure actuelle des projets d’expansion de leurs capacités de traitement et d’élimination de ces produits officiellement nommés « matières dangereuses résiduelles ».

L’un devrait être approuvé et un autre devrait être rejeté, a conclu le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui pourrait aussi être appelé à étudier le troisième (voir encadré).

« On analyse tous les projets séparément, mais c’est bien difficile d’avoir une image à l’échelle de la province », déplore la biologiste et spécialiste de la gestion de l’environnement Rébecca Pétrin, directrice générale de l’organisation Eau Secours.

« On demande une consultation publique élargie sur la gestion des matières dangereuses », dit-elle, une recommandation faite également par… le BAPE lui-même, qui jugeait « impératif que le ministère responsable de l’Environnement réalise un état des lieux » sur la question, dans son rapport sur le projet de Stablex Canada à Blainville.

Lisez l’article « Enfouissement de déchets industriels : le BAPE recommande le rejet du projet de Stablex »

Encore faudrait-il que le gouvernement dispose d’un portrait complet et fiable des [matières dangereuses] générées au Québec afin d’être en mesure d’identifier les besoins relatifs à leur traitement et à leur élimination.

Extrait du rapport du BAPE

Le Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec (CETEQ) estime aussi que « ce serait une bonne chose » de dresser un tel portrait, qui aiderait à « prendre les meilleures décisions », a déclaré à La Presse son directeur général, Kevin Morin.

L’exercice donnerait un éclairage « intéressant », reconnaît le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, qui n’exclut pas de le faire plus tard.

« Ce n’est pas quelque chose qui est envisagé à court terme, car on veut d’abord traiter le cas de Stablex, mais je ne suis pas fermé à l’idée », a-t-il déclaré à La Presse.

Matières importées

La moitié des matières dangereuses résiduelles traitées ou éliminées au Québec proviennent de l’extérieur de la province, principalement des États-Unis et, dans une moindre mesure, du reste du Canada.

« Ce qui est préoccupant, c’est l’importation des déchets », affirme la présidente du Conseil régional de l’environnement et du développement durable du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Monique Laberge, qui réclame elle aussi un état des lieux de la situation.

« Au moins on aurait les données, l’analyse des technologies possibles », illustre-t-elle, rappelant que le dernier portrait de la situation remonte à 1990, quand le BAPE avait produit un volumineux rapport de 500 pages, qui recommandait notamment de mettre fin à l’importation des matières dangereuses résiduelles et d’opter pour des technologies mobiles de traitement, « pour ne pas qu’une population vive [seule] avec les inconvénients de cette industrie », rappelle Mme Laberge.

Ce qu’on s’aperçoit au bout de 34 ans, c’est qu’il n’y a pas grand recommandations qui ont été suivies.

Monique Laberge

L’importation de déchets dangereux représente un fardeau pour le Québec, ajoute Eau Secours, qui réclame aussi d’y mettre fin.

« Aux États-Unis, peu importe où une entreprise enfouit son produit, elle en demeure responsable, [mais] quand c’est exporté, c’est levé et le producteur n’est plus responsable », dit Rébecca Pétrin, illustrant que le Québec peut ainsi se retrouver pris avec des matières mal identifiées, qui s’avèrent impossibles à traiter.

Importation nécessaire, selon Québec

L’importation de matières dangereuses résiduelles est nécessaire si le Québec veut pouvoir continuer de traiter les siennes, plaide le ministre de l’Environnement.

« Il faut arriver à rentabiliser ces opérations-là, et ça, c’est une question de volume », dit Benoit Charette, faisant écho aux propos de Kevin Morin, du CETEQ, qui estime aussi l’importation nécessaire pour que les entreprises du secteur aient « assez de matière à l’échelle du Québec pour développer une expertise, améliorer les procédés ».

Le Québec expédie aussi des matières dangereuses dans d’autres provinces, qui pourraient cesser de les prendre s’il cessait de prendre les leurs, indique le ministre. « On peut par contre limiter en partie l’importation », suggère-t-il.

Une cinquantaine d’entreprises québécoises « traitent » des déchets dangereux « afin de les utiliser à nouveau pour les mêmes fins que l’utilisation initiale », ou pour les recycler, ou pour les rendre non dangereuses afin de les éliminer dans un site d’enfouissement conventionnel, explique Josée Guimond, porte-parole du ministère québécois de l’Environnement.

Quatre entreprises « éliminent » quant à elle des déchets dangereux par enfouissement ou incinération, dont trois éliminent uniquement ceux issus de leurs propres activités ; seule Stablex élimine les déchets de tiers.

Risques pour la santé et l’environnement

Les risques pour la santé et l’environnement liés à la gestion des déchets dangereux, comme l’entreposage, les rejets atmosphériques ou la contamination de l’eau, inquiètent le directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, Karel Ménard, qui déplore lui aussi l’absence d’un portrait global.

Se pose aussi la question de l’utilisation du territoire québécois pour enfouir des déchets dangereux venus d’ailleurs, ajoute Rébecca Pétrin, qui s’inquiète également des conséquences d’un éventuel accident impliquant un camion ou un bateau transportant ces matières.

La grande région de Montréal a reçu 70 % des matières dangereuses importées des États-Unis dans les cinq dernières années, indique Environnement et Changement climatique Canada.

La solution passe par la réduction à la source, qu’un état des lieux permettrait d’aider à atteindre, plaide Mme Pétrin.

« S’il y en a tant que ça, des entreprises qui cognent à nos portes, on devrait sélectionner les meilleures, les bons joueurs », dit-elle, faisant écho aux propos du gouvernement Legault affirmant que le Québec est dans la ligne de mire de nombreuses firmes étrangères.

« Les autres, qu’ils améliorent leurs procédés, lance Mme Pétrin. C’est un enfer à gérer, une fois que les déchets sont produits. »

Trois projets dans les cartons

Stablex Canada, à Blainville

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Vue aérienne du site d’enfouissement de matières résiduelles dangereuses de Stablex, à Blainville

Stablex Canada est la seule entreprise du Québec qui traite et élimine les matières dangereuses résiduelles d’autres entreprises, ainsi que des sols contaminés. Son procédé rend les matières inertes avant qu’elles soient enfouies. Stablex est déjà autorisée à ouvrir une sixième cellule d’enfouissement sur son site de Blainville, mais elle demande l’autorisation de l’implanter ailleurs, à l’écart de secteurs habités. Cette option lui permettrait en outre de poursuivre ses activités jusque vers 2065, plutôt que 2040. Le BAPE a recommandé le rejet du projet.

RSI Environnement, au Saguenay

PHOTO TIRÉE DE GOOGLE

Le site de RSI Environnement, au Saguenay

L’entreprise RSI Environnement, qui exploite une « usine de traitement thermique » de matières contaminées à Saint-Ambroise, au Saguenay, souhaite élargir la variété des matières traitées et ajouter un nouvel incinérateur à ses installations. Ces modifications lui permettraient d’augmenter la quantité de matières traitées annuellement de 31 200 tonnes, tout en demeurant sous la limite autorisée de 100 000 tonnes par année. Le BAPE a recommandé l’autorisation du projet.

Triumvirate, à Contrecœur

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LA VILLE DE CONTRECŒUR

L’entreprise Triumvirate Environmental, à Contrecœur, souhaite ajouter des équipements de traitement visant la valorisation de matières dangereuses résiduelles.

L’entreprise Triumvirate Environmental, qui exploite un centre de transfert de matières dangereuses résiduelles à Contrecœur, souhaite y ajouter des équipements de traitement visant leur valorisation. Le procédé qu’elle compte implanter est inexistant au Québec : la « désorption thermique anaérobie », qui consiste à extraire les substances organiques des matières traitées en les chauffant, pour ensuite les réutiliser comme combustibles ou les recycler. Quiconque souhaite que le BAPE se penche sur le projet a jusqu’au 28 juin pour en faire la demande.

En savoir plus
  • 302 201
    Tonnes de matières résiduelles dangereuses importées chaque année au Québec, en moyenne, de 2019 à 2021
    Source : ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs
    644 266
    Tonnes de matières résiduelles dangereuses « traitées » chaque année au Québec, en moyenne, de 2012 à 2018
    Source : ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs
  • 187 462
    Tonnes de matières résiduelles dangereuses « éliminées » chaque année au Québec, en moyenne, de 2012 à 2018
    Source : ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs