En entrant dans l’école secondaire publique Joseph-François-Perrault à Québec, un mur est consacré aux anciens élèves devenus célèbres. Des photos de vedettes qui parlent davantage aux parents (Robert Lepage, Guylaine Tremblay), mais aussi des plus contemporains, comme le chanteur Claude Bégin. Ici, la culture québécoise s’affiche, et des jeunes n’hésitent pas à utiliser leur heure de dîner pour débattre avec La Presse de l’avenir du programme de français.

Qu’est-ce qui devrait changer dans votre cours de français en général ?

Emy Fortin, 16 ans : J’aimerais lire plus de romans québécois, parce que Voltaire et tous ces livres-là, je trouve que ce n’est plus d’actualité. Ce sont des livres difficiles et ce n’est pas tout le monde à l’école qui aime beaucoup le français.

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Emy Fortin, 16 ans

Avec des livres plus actuels, c’est plus facile pour les élèves qui aiment moins la littérature de se sentir interpellés.

Louvia Labarthe, 15 ans : Je ne suis pas d’accord. Les messages restent souvent les mêmes à travers les générations d’auteurs, et c’est ça qui est intéressant de découvrir en lisant les classiques.

Amarylis Alvarez Tavarez, 16 ans : Nous, au régulier, je trouve que ça serait le fun qu’on lise plus. Je trouve qu’on ne donne pas assez de place à la lecture [les élèves présents à la table ronde proviennent de groupes issus du programme régulier et du programme enrichi PEI].

Avez-vous lu des romans ou avez-vous assisté à une production culturelle avec l’école qui vous ont particulièrement accroché à la culture québécoise ?

Raphaëlle Picard, 16 ans : Oui ! Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres, de Michel Tremblay, qui était présentée au Théâtre du Trident. Les pièces qu’on allait voir par le passé avec l’école m’accrochaient moins, mais celle-là m’a complètement [happée]. Ça m’a donné envie d’en apprendre plus sur l’auteur et j’ai lu par la suite certains de ses livres.

Quand vous allez au théâtre avec la classe, ou que vous rencontrez un auteur québécois, est-ce que ce contact avec les artistes vous donne le goût d’en apprendre plus sur leurs œuvres ?

Raphaëlle Picard : Je trouve que ça fait du bien de voir des gens qui sont nés ici, qui ont grandi ici et qui font ça. J’aimerais vraiment faire de l’art plus tard. C’est cool de voir ces gens-là et de me dire que ça pourrait être moi.

Antonin Girard, 16 ans : Je trouve ça triste que la majorité des Québécois ne consomment pas la culture qui se crée autour d’eux.

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Antonin Girard, 16 ans

C’est dévastateur. [Autour de moi], certains ne connaissent pas Félix Leclerc.

Emy Fortin : Certains n’ont aucune référence à la culture québécoise. C’est que de l’américain. Ça fait un peu triste au cœur.

Le gouvernement veut que le cours de français serve encore plus de lien de passage vers la culture québécoise et qu’on l’utilise davantage afin d’enseigner des choses plus techniques ou difficiles, comme la grammaire. Qu’en pensez-vous ?

Joseph Landry, 15 ans : C’est sûr que d’assimiler les règles, ça va nous aider dans le futur. La grammaire, on l’écrit, mais ça nous aide à mieux parler.

Auguste Uhde, 16 ans : La grammaire, c’est un outil pour ensuite faire de l’art, comme pour écrire. Mais en ce moment, ce qui se passe, c’est que les gens n’ont plus envie de lire ou d’écrire. Ils ne voient donc pas l’intérêt de la grammaire parce qu’ils ne se voient pas s’en servir.

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Auguste Uhde, 16 ans

Dans les cours de français, c’est important de nous montrer à quel point l’art, c’est beau. Ensuite, on comprendra l’importance de s’outiller pour mieux écrire.

Tizé Daniel Semi Bi, 16 ans : La grammaire, c’est important dans la mesure où le français est une très belle langue et que si tu n’as pas les outils, tu ne pourras pas t’exprimer. Si tu donnes une conférence, tu ne pourras pas t’exprimer dans une langue plus populaire. Tu es obligé d’avoir un langage soutenu.

Amarylis Alvarez Tavarez : C’est très important d’avoir une bonne langue, mais je remarque malheureusement que des jeunes, de nos jours, parlent de façon très vulgaire. Oui, le français québécois, c’est bien, mais c’est aussi bien d’avoir une langue qui est propre et bien exprimée.

Antonin Girard : Une bonne orthographe, une bonne diction, un beau langage, ça nous permet d’accéder aux sphères intellectuelles de la société, mais quand tu y penses, ce sont des outils de domination. Si tu ne les maîtrises pas, tu restes dans la classe ouvrière. Une société qui aurait une langue plus universelle serait une société plus égalitaire.

Emy Fortin : Moi, j’adore lire, mais j’haïs la grammaire ! [Le groupe rit de bon cœur] Je sais que c’est important, mais ce n’est pas quelque chose avec lequel j’ai de la facilité. Comme le dit Antonin, la grammaire, c’est inégal pour tous. J’aimerais bien pouvoir écrire même si je n’ai pas une bonne grammaire et qu’on regarde ce que je fais dans son ensemble, plutôt que de pointer qu’il manque un « e » à la fin d’un mot.

Pour rendre les exercices en classe plus pratiques et concrets en cette ère du tout-numérique, aimeriez-vous que les profs utilisent davantage d’outils technologiques ?

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Louvia Labarthe

Louvia Labarthe : Je trouve qu’il y a quelque chose de beau à écrire encore sur un papier. C’est plus facile d’écrire à la main qu’à l’ordinateur. C’est comme si les idées viennent plus facilement et c’est plus éloquent.

Emy Fortin : On utilise parfois un iPad avec le dictionnaire en ligne Usito. Avec ça, tu as toutes les conjugaisons et tous les mots. Je trouve ça plus pratique qu’un dictionnaire où c’est long de chercher quelque chose.

Quelle place occupe l’oral dans vos cours ?

Emy Fortin : Dans notre classe, on fait beaucoup de tables rondes. C’est moins traditionnel que l’exposé, où la personne va en avant et que sa feuille tremble. On parle en groupe du livre qu’on a lu et ça fait parler aussi les plus gênés dans la classe. Ça enlève du stress.

Joseph Landry : Ça nous permet aussi de partager notre compréhension du livre et de comparer nos opinions. Quand on a lu Le dernier jour d’un condamné [de Victor Hugo], on avait fait du « speed dating » littéraire où on discutait avec une personne pendant deux minutes d’un aspect du livre, puis on changeait de place.

Les propos ont été abrégés et condensés à des fins de concision.