Dimanche dernier, des milliers de participants du défilé de la Fierté de Toronto descendaient la rue Yonge. L’heure était à la fête et aux revendications quand, soudainement, tout s’est arrêté. À l’origine de ce blocage, une poignée de manifestants de la Coalition Against Pinkwashing, un groupe d’activistes queer et trans qui appuie des causes à la carte.

Celle de dimanche était la Palestine. Le groupe a demandé à Pride Toronto de se dissocier des entreprises et des banques qui, selon lui, ont des intérêts économiques en Israël.

Mais il y avait aussi le désinvestissement des sociétés impliquées dans l’exploitation des ressources naturelles sur des territoires autochtones, ainsi qu’au Soudan, au Congo et en Palestine. Et puis, l’inévitable question de la présence de la police lors du défilé.

Bref, on a ratissé large.

Après un long moment d’arrêt, des échanges musclés ont eu lieu entre les membres de la coalition et d’autres participants du défilé. Les organisateurs, qui craignaient que la situation dégénère, ont annoncé qu’ils annulaient le défilé, provoquant la consternation de milliers de spectateurs.

Ce n’est pas la première fois que le défilé de la Fierté de Toronto est perturbé. En 2016, alors que j’y assistais, des membres de Black Lives Matter ont stoppé le cortège pendant près d’une heure, obligeant les organisateurs à accepter, le stylo sous le nez, une liste de demandes. Mais dimanche dernier, la direction de Pride Toronto n’a rien voulu signer.

Avant d’aller plus loin, je tiens à dire que je suis ultra-sensible à la cause palestinienne. Les voix qui s’élèvent partout dans le monde en ce moment doivent se faire entendre.

Mais j’éprouve un grand malaise à voir des militants d’une cause prêts à faire dérailler l’évènement annuel d’une autre cause pour faire connaître leurs revendications.

« Ce n’était pas la place pour faire cela », a déclaré Kojo Modeste, directeur général de Pride Toronto. Il a parfaitement raison. Que diraient ces manifestants propalestiniens si des militants antiavortement ou de défense du logement venaient interrompre leur marche ?

La même chose s’est produite, toujours dimanche, à New York, où avait lieu la Marche des Fiertés. Un petit groupe d’activistes propalestiniens a franchi les barricades de sécurité et a aspergé de rouge un char allégorique. Les membres se sont ensuite assis au milieu de la rue, stoppant ainsi tout le défilé.

PHOTO CHARLES SYKES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des manifestants propalestiniens ont bloqué le chemin du défilé de la Fierté, dimanche à New York.

La police a réussi à les dégager au bout de 30 minutes. À Saint-Louis, le même jour, des manifestants propalestiniens ont aussi perturbé le défilé de la Fierté.

Les défilés LGBTQ+ sont devenus des évènements qui offrent la chance à une multitude de causes de jouir d’une tribune. Je l’ai écrit l’an dernier au lendemain du défilé de la Fierté de Montréal.

Lisez la chronique «  Le défilé de toutes les causes »

Je disais alors que l’on pouvait voir ça comme un signe évident d’avancement. Les droits des LGBTQ+ vont tellement bien que le défilé de la Fierté peut se permettre d’être un grand melting-pot de causes sociales.

Un an plus tard, je ne le pense plus. Car en un an, tout s’est fragilisé pour les LGBTQ+. C’est comme ça avec les droits. On les croit immuables et éternels, mais ils sont des châteaux de cartes sur lesquels des dirigeants fêlés peuvent souffler à leur guise.

Les défilés de la Fierté sont des évènements festifs qui, partout dans le monde, soulignent des luttes et des avancées importantes. Mais ils continuent d’être des mouvements de revendications. Il ne faudrait surtout pas l’oublier.

Et ils le seront de plus en plus au cours des prochaines années. En fait, ils le redeviendront, comme dans les années 1980 et 1990. C’est le triste constat que je fais.

PHOTO KEMAL ASLAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Défiant la décision des autorités, des participants ont brièvement pris part à la Gay Pride, dimanche à Istanbul.

Le hasard a fait que la même journée où le défilé de la Fierté de Toronto a été annulé, des centaines de femmes et d’hommes ont courageusement et « brièvement » participé à la Gay Pride d’Istanbul, malgré son interdiction par les autorités. Le défilé a duré à peine dix minutes, la police ayant fait fuir des manifestants et arrêté les autres.

Le 17 mai dernier, à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, la Fondation Émergence sonnait l’alarme en affirmant que les droits des LGBTQ+ sont en recul un peu partout dans le monde, y compris au Canada. L’organisme rappelait que les crimes haineux liés à l’orientation sexuelle ont quadruplé entre 2018 et 2022, selon Statistique Canada.

La montée de l’extrême droite dans plusieurs pays fait craindre le pire. Cette consolidation d’une masse de gens en particulier a nécessairement des effets sur des droits que l’on croyait acquis. Qui aurait pu croire il y a quelques années que le gouvernement du Canada allait diffuser un avertissement (comme il l’a fait en août dernier) à l’intention des personnes LGBTQ+ qui comptent se rendre aux États-Unis ?

En France, où le chef du Rassemblement national, Jordan Bardella, a le vent dans les voiles à la veille du second tour des élections législatives, une grande inquiétude règne. Il ne fait aucun doute que les marches de la Fierté qui auront lieu cet été chez nos cousins seront marquées par cette vague. En 2023, SOS Homophobie a constaté une hausse de 30 % des agressions physiques anti-LGBTQ+ en France.

La communauté LGBTQ+ a toujours prôné l’inclusion (sauf peut-être à l’égard des policiers). Elle accepte que d’autres causes soient défendues dans le sillage de ses marches annuelles. Mais de grâce, n’en profitons pas pour faire de l’ombre à ces évènements qui sont plus que jamais nécessaires. Si on se met à créer des guerres entre les revendications qui nous animent, c’est qu’on ne mérite pas de mener le combat.