Il est grand, le mystère de la foi. Les autorités fédérales croient qu’une vague de conversions au christianisme chez les Iraniens en visite au Québec est l’œuvre d’une filière d’immigration illégale qui permettait d’obtenir l’asile au Canada sur des bases mensongères, avec l’aide d’une église. Un avocat et un interprète sont accusés au criminel dans cette affaire. Leur défense soulève des questions délicates pour le système d’accueil des réfugiés.

La Presse a obtenu une déclaration sous serment de 105 pages rédigée par une enquêteuse de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui lève le voile sur 116 cas de conversion jugés suspects dans le cadre de demandes d’asile présentées par des Iraniens à Montréal depuis 2016.

Les demandeurs arrivaient majoritairement au Québec avec un visa de résident temporaire à des fins de tourisme ou de visite familiale. Certains, moins nombreux, arrivaient avec un permis d’études ou de travail. Tous assuraient qu’ils projetaient de rentrer dans leur pays à l’expiration de leur visa.

Rapidement, ils annonçaient toutefois avoir trouvé leur chemin de Damas : ils disaient s’être convertis au christianisme et fréquenter une église protestante dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Ils demandaient le statut de réfugié, par crainte d’être persécutés, torturés ou tués par le régime islamiste s’ils retournaient en Iran.

La hausse du nombre de demandes d’asile par des étrangers ayant mis les pieds au Canada grâce à un visa de visiteur est un phénomène connu : La Presse a révélé récemment que leur nombre a quintuplé d’avril 2023 à avril 2024. À la fin de juin, le ministre canadien de l’Immigration, Marc Miller, a évoqué une « flambée » de cas.

Or, selon l’enquête de l’ASFC, le cas des visiteurs iraniens à Montréal est particulier, car pendant des années, plus d’une centaine d’entre eux auraient bénéficié de l’aide d’un avocat en immigration, MLouis Nadeau, et de son interprète, Masud Mikaili, pour fabriquer de fausses histoires convaincantes de cheminement religieux. Les deux professionnels ont aidé certains des visiteurs à obtenir leur visa de visiteur. Ils les auraient ensuite incités à faire de fausses déclarations afin d’être acceptés comme réfugiés, selon la théorie de l’Agence.

Des documents « quasi identiques »

Dans sa déclaration sous serment déposée au palais de justice afin de justifier une perquisition dans les bureaux de l’avocat et de l’interprète, l’enquêteuse Véronique Moreau explique que l’attention des autorités a été attirée par le taux d’acceptation particulièrement élevé des demandeurs d’asile iraniens.

« Depuis quelques années, l’ASFC observe une augmentation de ressortissants iraniens qui, une fois entrés au Canada, présentent une demande d’asile » dans les bureaux intérieurs d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, observe l’enquêteuse.

« Par ailleurs, le taux d’acceptation des demandeurs ayant la nationalité iranienne (98,75 %) est particulièrement élevé », ajoute-t-elle, sans préciser quel serait un taux plus normal aux yeux des autorités. À titre de comparaison, en 2023, les demandes d’asile de ressortissants d’Afghanistan qui ont été entendues ont été acceptées à environ 90 %, alors que pour les gens arrivés du Mexique ou de l’Inde, le taux était inférieur à 50 %.

Des vérifications plus poussées ont permis de remarquer que les ressortissants iraniens qui faisaient affaire avec MLouis Nadeau et l’interprète Masud Mikaili racontaient presque tous la même histoire dans leur formulaire de demande d’asile et fournissaient des documents « quasi identiques » à titre de preuve.

« Les émotions, les sentiments et les évènements sont rapportés de la même manière dans les formulaires soumis, et ce, malgré les différences d’âge, d’éducation ou de statut social des différents revendicateurs », lit-on dans la déclaration. Même les fautes d’orthographe étaient souvent les mêmes. Parfois, les documents imprimés d’un demandeur étaient identiques à ceux d’un autre, mais les dates d’arrivée au pays, de conversion ou de baptême étaient raturées à la main pour les adapter selon le cas.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L’église protestante Wesley United Church, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce

Les demandeurs disaient pratiquement tous fréquenter l’église protestante Wesley United Church depuis leur arrivée à Montréal, une église à laquelle leur avocat a justement versé 4000 $ en don, selon l’enquête. Ils affirmaient avoir été baptisés ou s’apprêter à l’être dans cet établissement. Ils soumettaient des lettres d’appui de la révérende qui y officiait. Deux frères ont même dit avoir été recrutés pour jouer Joseph et un berger dans la pièce de la nativité à l’église.

« J’ai des motifs raisonnables de croire que les faits allégués […] ont été fabriqués », affirme l’enquêteuse Moreau en référence à l’ensemble des demandes des clients de Louis Nadeau et de Masud Mikaili.

À preuve : certains visiteurs déposaient leur demande d’asile au Canada le jour même de leur arrivée au pays, ou le lendemain. En remplissant les formulaires officiels, ils disaient avoir fréquenté l’église « tous les dimanches » ou « plusieurs fois » depuis leur arrivée au pays, ce qui était impossible puisqu’ils descendaient tout juste de l’avion.

Certains ne comprenaient pas l’anglais, langue dans laquelle étaient censés se dérouler leurs échanges avec l’église de Notre-Dame-de-Grâce, a aussi remarqué l’enquêteuse.

Sincérité mise en doute

L’enquêteuse de l’ASFC n’est pas la seule à douter de la véracité des récits. Au fil des années, les commissaires à l’immigration chargés d’examiner les demandes d’asile des clients de MLouis Nadeau ont aussi constaté que ceux-ci racontaient « une même histoire qui n’est manifestement pas la leur et qu’ils tentent d’adapter », selon la décision rendue dans l’un des dossiers.

En audience devant un commissaire, l’un des demandeurs a même admis qu’il n’avait pas composé lui-même son récit sur ses craintes de persécution en Iran : celui-ci avait plutôt été rédigé par l’interprète Masud Mikaili « en utilisant ses propres mots et en ayant recours à un modèle pour les produire ».

Un commissaire a noté le peu de connaissances des demandeurs de la religion chrétienne. « Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne se sont pas sincèrement convertis au christianisme. La preuve permet de conclure le contraire, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une démarche motivée par l’obtention du statut de réfugié », tranchait-il dans sa décision.

Car l’affaire est entendue depuis longtemps : les chrétiens sont bel et bien persécutés par les fondamentalistes islamistes qui dirigent l’Iran. Les musulmans qui abandonnent leur religion pour devenir chrétiens peuvent y être accusés d’apostasie, un crime passible de la peine de mort. En tant que groupe persécuté pour leur religion, les chrétiens d’Iran ont donc droit à l’asile politique dans les pays qui ont signé la Convention de Genève, comme le Canada.

PHOTO MAJID ASGARIPOUR, ARCHIVES REUTERS

Femmes iraniennes faisant la queue pour voter au premier tour de l’élection présidentielle, le 28 juin, à Téhéran

Mais outre les autorités canadiennes, d’autres pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas se sont inquiétés de voir apparaître des conversions dont le seul but serait de devenir une personne risquant la persécution et donc susceptible d’être accueillie comme réfugiée.

Dans le cas des demandes déposées à Montréal, l’ASFC est convaincue que ce sont Louis Nadeau et Masud Mikaili qui sont les architectes de ce stratagème. Sur la base de son enquête, la Couronne fédérale a déposé une série d’accusations criminelles contre les deux hommes, pour avoir incité des ressortissants étrangers à faire des présentations erronées lors de leurs demandes d’immigration.

« J’ai donc des motifs raisonnables de croire que MLouis Nadeau incite, aide ou encourage ou aurait tenté d’inciter, d’aider ou d’encourager, des étrangers, notamment d’origine iranienne, à faire des présentations erronées dans les documents et les témoignages qu’ils soumettent dans le cadre de leurs demandes d’immigration », affirme l’enquêteuse au dossier.

Les deux accusés se défendent

Mais qui peut vraiment savoir ce qu’il y a dans le cœur d’une personne qui dit avoir trouvé Dieu ? L’interprète accusé, Masud Mikaili affirme qu’il n’oserait pas s’y risquer.

On n’est pas dans la tête des gens ! On ne peut pas les forcer à aller à l’église, à la mosquée ou ailleurs. On n’a aucun intérêt à fabriquer une histoire.

Masud Mikaili, interprète

« On nous reproche que les histoires sont similaires. C’est tout à fait normal, car tous ces gens sont persécutés par un seul gouvernement dictatorial et autoritaire, la République islamique d’Iran ! Souvent, en faisant la traduction, je constatais que le début et la conclusion du récit étaient similaires, c’est pourquoi j’ai utilisé un gabarit », dit M. Mikaili.

« Je ne les amène pas par la main à l’église ! Ils prennent leur propre décision », renchérit Louis Nadeau. Il reconnait que son traducteur a fait erreur en utilisant un même gabarit de récit dont la base demeurait la même pour tous les demandeurs. Mais il s’interroge sur la pertinence des démarches de l’ASFC dans ce dossier : car même s’il est maintenant accusé d’avoir aidé à fabriquer de fausses déclarations, tous ses clients ont quand même obtenu l’asile au Canada. Le résultat aurait donc été le même, si les procédures avaient été suivies de façon plus orthodoxe, croit-il.

« Que je sois là ou pas, ils sont acceptés quand même ! Les Iraniens, leur avocat n’a même pas besoin de parler, avec la situation dans leur pays, ils sont acceptés à plus de 80 % », observe-t-il.

« Tout ce que j’ai fait, j’ai aidé des femmes iraniennes, et j’ai aidé des personnes qui n’ont pas de droits dans leur pays. Je les ai représentées au meilleur de ma connaissance, et j’ai eu un taux de succès de 100 % », dit-il.

Quant à son don de 4000 $ à l’église où ses clients se convertissaient, il dit avoir simplement aidé la révérende, qui s’investissait beaucoup dans l’accueil des réfugiés et qui manquait d’argent.

« Je voulais faire entre 300 et 400 $ de dons, mais mon comptable m’a expliqué que j’aurais 90 % de retour d’impôt, donc j’ai pu donner plus », explique-t-il.

Le procès criminel des deux accusés est prévu pour octobre prochain.