La Cour supérieure du Québec vient d’exiger le retrait de plusieurs croix gammées bien en vue sur la route 235, à Saint-Barnabé-Sud, en Montérégie. Il s’agit du plus récent chapitre d’une saga qui s’étire depuis plus de deux ans entre une famille d’immigrants et la municipalité.

Saint-Barnabé-Sud s’est adressé, il y a deux semaines, à la Cour supérieure pour faire retirer les croix gammées sur la façade d’un bâtiment et pour faire fermer un site internet, tous deux propriétés de la famille Meddah.

Devant le juge Daniel Urbas, Yahia Meddah a consenti à retirer les signes nazis, mais il a refusé de mettre fin aux activités de son site internet. Il a d’ailleurs remplacé les croix gammées par des affiches proclamant « La ville la plus raciste au monde » dans les heures qui ont suivi le jugement.

« Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour défendre ma famille. Ce qui se passe chez nous est catastrophique », a plaidé M. Meddah, qui a réclamé une enquête publique pour faire la lumière sur la « torture » que vit sa famille.

Un conflit qui s’étire depuis deux ans

Le citoyen et la municipalité n’en sont pas à leurs premiers démêlés. Le conflit entre la municipalité et la famille dure depuis deux ans, selon Yahia Meddah, établi au Québec depuis plusieurs années. « Ils veulent nous casser et qu’on s’en aille », dit l’homme rencontré dans le village il y a deux semaines.

« Tous les jours ou presque, il y a quelque chose », ajoute l’un des fils mineurs de M. Meddah, présent lors de notre passage à la propriété familiale.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les Meddah affirment que le conflit avec la municipalité serait né à la suite de l’embauche de Linda Normandeau comme directrice générale de Saint-Barnabé-Sud, en 2021. Celle-ci aurait d’abord interdit aux fils de Yahia Meddah de charger leurs véhicules électriques sur une borne publique, puis elle aurait invectivé certains de ses enfants, raconte le patriarche.

Il allègue également que la direction générale a profité du fait que le bureau de poste se trouve à même le bureau municipal pour ouvrir son courrier et feindre de perdre ses chèques de paiement de taxes municipales pour le prendre en défaut.

Jointe par téléphone, Linda Normandeau dément ces allégations de racisme et soutient que la petite municipalité de 1000 habitants « fait face à une famille qui refuse de se conformer à la réglementation municipale ».

Malheureusement, ce sont tous les citoyens qui paient pour. La communauté tout entière est prise en otage.

Linda Normandeau, directrice générale de Saint-Barnabé-Sud

Mme Normandeau mentionne que les interventions auprès des Meddah découlent de plaintes déposées par des citoyens. Dans le cas de la borne de recharge, l’unique de la municipalité, elle aurait été utilisée jusqu’à 14 heures par jour par les Meddah, privant d’autres personnes d’en bénéficier.

Aux dires de Yahia Meddah, le conflit se serait envenimé en octobre 2022 lors d’une inspection par les préventionnistes de la municipalité, à la suite d’une plainte à la municipalité pour une génératrice située à l’intérieur de la propriété des Meddah. Dans une vidéo publiée par la famille sur son site internet, pour dénoncer le « saccage » de sa propriété, on voit des pompiers et des policiers défoncer la porte pour entrer, puis relever plusieurs « anomalies » dans la résidence.

Un jugement rendu le 7 juin par la Cour supérieure du Québec a d’ailleurs donné raison à la municipalité, qui voulait réaliser une inspection de suivi pour s’assurer que les correctifs demandés avaient été apportés. La décision du juge J. Sébastien Vaillancourt fait état de plusieurs refus de la famille Meddah d’autoriser l’accès à sa propriété. En entrevue, Yahia Meddah jure avoir toujours été ouvert à faire inspecter sa propriété.

Mise en demeure

Les nombreuses doléances de la famille ont été détaillées sur un site internet, bloqué à la suite d’une mise en demeure acheminée par Saint-Barnabé-Sud. Dès le blocage, M. Meddah a ouvert un autre site internet. Puis un autre. Et un autre encore.

« Ces attaques sans fondement et discriminatoires à l’égard de la Ville se répercutent également envers l’ensemble de ses citoyens. Vous y mentionnez notamment que “la Ville semble être empreinte de racisme” et que les habitants de Saint-Barnabé-Sud font preuve d’intimidation, de racisme et de discrimination, sans toutefois que ces attaques gratuites ne soient fondées », lit-on dans la mise en demeure, que nous avons pu consulter.

Fait à noter, dans sa décision, le juge J. Sébastien Vaillancourt soulignait que « les allégations [des Meddah] selon lesquelles ils seraient victimes de harcèlement et de discrimination ne sont aucunement soutenues par la preuve ».

Émoi dans la communauté

Mme Normandeau déplore que ce dossier ait pris des « proportions gigantesques » qui accaparent tout le temps et toutes les ressources de la petite municipalité.

Elle fait état de « plusieurs » dossiers judiciarisés avec la famille de Yahia Meddah, qui l’a prise personnellement en grippe, selon elle. Il est d’ailleurs interdit au citoyen de communiquer autrement que par courriel avec la directrice générale en vertu d’une ordonnance de la cour.

« Actuellement, on parle beaucoup d’intimidation envers les élus et les fonctionnaires municipaux », indique Mme Normandeau, précisant avoir le soutien plein et entier du conseil municipal. « Ceci en est un très bon exemple. »

La présence du symbole nazi a choqué la communauté, indique Mme Normandeau. « Beaucoup de citoyens ont témoigné de leur inquiétude en voyant les affiches, note-t-elle. Je trouve ça terrible d’utiliser un tel symbole. »

Plusieurs ont été choqués d’être comparés aux nazis, tandis que d’autres, dont certains auraient des origines juives, ont été scandalisés de voir une croix gammée près de chez eux.

La députée provinciale de Saint-Hyacinthe, Chantal Soucy, a dénoncé l’affichage de la croix gammée. « Ce symbole-là n’a pas sa place dans notre communauté », a-t-elle indiqué en entrevue.

Pour sa part, le député fédéral de Saint-Hyacinthe–Bagot est allé porter une lettre en mains propres à Yahia Meddah pour lui faire part de son désarroi et ouvrir la porte à la discussion. « Depuis que j’ai été élu député en 2019, j’ai rarement pu constater des propos aussi irrespectueux envers la circonscription et les citoyens que je représente », écrit Simon-Pierre Savard-Tremblay dans la missive. Un entretien téléphonique a eu lieu entre les deux hommes depuis.

Le maire de Saint-Barnabé-Sud, Alain Jobin, a quant à lui décliné de commenter l’affaire.