(Ottawa) L’inaction de la Sûreté du Québec (SQ) dans le dossier des dépotoirs illégaux de Kanesatake est montrée du doigt alors qu’un collectif de citoyens et de militants pour l’environnement envisage de bloquer la route 344 à Oka. Les membres du collectif veulent empêcher les camions de se rendre sur le territoire mohawk afin d’y déverser des matières potentiellement contaminées. Le grand chef Victor Bonspille les appuie tandis que d’autres élus de la région appellent au calme.

« Je vais les soutenir parce que les gouvernements québécois, fédéral et leurs ministères de l’Environnement ne font rien pour régler la situation, lance M. Bonspille sans détour en entrevue. Ils viennent, ils tentent de faire quelque chose et ils se sauvent la queue entre les jambes. »

Il ajoute qu’il ne cautionne pas la violence, mais qu’il est d’accord avec une manifestation pacifique. Reste que la situation pourrait mal tourner si le collectif met sa menace à exécution.

C’est ce que craint le maire d’Oka, Pascal Quevillon, qui lance un appel au calme. « C’est pousser la note un peu trop loin, réagit-il en entrevue. Oui, il y a une partie de la communauté qui est tannée, mais il y a une autre partie de la communauté qui ne sera pas contente qu’on bloque la route. Avec les commerces de cannabis et tout, je pense que ça va créer de la tension, ça va inciter peut-être à de la violence aussi. »

La Presse rapportait mercredi qu’un nouveau collectif pour dénoncer les problèmes de sécurité à Kanesatake exige une réunion publique avec le ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel, et son homologue du fédéral, Dominic LeBlanc, sans quoi il menace de bloquer la route 344 à Oka plus tard cet été. Le groupe, qui inclut l’organisme Eau Secours et la rivale politique de M. Quevillon, Julie Tremblay-Cloutier, veut empêcher les camions de se rendre à Kanesatake pour y déverser des matières potentiellement contaminées.

« Je ne peux certainement pas cautionner quelque initiative que ce soit qui puisse mener à de l’agressivité ou de l’escalade », affirme le député du Bloc québécois Jean-Denis Garon, en rappelant les vives tensions vécues lors de la crise d’Oka.

L’enjeu des dépotoirs est complexe, puisqu’il implique plusieurs ministères autant à Québec qu’à Ottawa. Et le ras-le-bol se fait sentir autant parmi les Mohawks de Kanesatake que chez les résidants d’Oka.

« Ça ne me surprend pas qu’on en arrive là. Les gens sont tannés », indique Brent Etienne, un chef du Conseil de bande de Kanesatake, divisé en deux factions. Le déchargement de sols sans autorisation sur le territoire est un sujet qui a été maintes fois abordé avec nombre d’autorités, comme Environnement Canada, le ministère de l’Environnement du Québec, la SQ, les ministères provincial et fédéral de la Sécurité publique.

« C’est toujours la même chose. Ils disent soit qu’ils ne peuvent rien faire, soit que c’est à une autre organisation de le faire, dit-il. Très souvent, ils avancent que ce n’est pas leur compétence ou d’autres excuses pour ne pas intervenir. »

Une inaction qui a un prix, selon Serge Simon, un autre chef du Conseil de bande. « Ça se traduit par un haut niveau d’intimidation à l’intérieur de la communauté qui fait que les gens d’ici craignent d’agir. »

Les deux chefs étaient intervenus sur un des sites où les camions de l’entreprise Nexus déchargeaient des sols sans autorisation du Conseil de bande. Le propriétaire du site avait assené un coup de poing à l’un des dirigeants mohawks. « On n’a pas de corps policier, d’inspecteurs environnementaux et de caserne, déplore-t-il. Nos communautés sœurs iroquoises – Kahnawake et Akwesasne – en ont. »

Où est la SQ ?

Sur la scène fédérale, on se demande pourquoi la SQ ne fait tout simplement pas appliquer la loi à Kanesatake comme elle le ferait ailleurs dans la province. En coulisse, on va même jusqu’à comparer son inaction à celle de la police d’Ottawa lors du « convoi de la liberté » en 2022.

« Les gens sont rendus à monter des barricades et c’est dangereux. La SQ doit faire son travail et faire respecter les lois environnementales du Québec », affirme Simon Ross, directeur des communications pour la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, dans une déclaration écrite.

« Comme nous l’avons souligné auparavant, la Sûreté du Québec a compétence sur le territoire de Kanesatake et de la Municipalité d’Oka », rappelle Jean-Sébastien Comeau, attaché de presse du ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc. Il ajoute que M. LeBlanc demeure disposé à discuter de pistes de solution avec le gouvernement du Québec.

Une rencontre entre les ministres québécois et fédéraux interpellés par cet enjeu est évoquée, mais aucune date n’a encore été fixée. Québec se dit « tout à fait conscient des inquiétudes des citoyens », mais se plaint du manque de collaboration d’Ottawa.

« Nous les avons invités à plusieurs reprises à se joindre à nous pour en discuter, et nous sommes toujours en attente d’un retour », indique Maxime Bélanger, attaché de presse du ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel.

« La SQ est responsable d’assurer la sécurité sur ce territoire, et ils seront en mesure de répondre aux questions opérationnelles », rappelle-t-il.

Le porte-parole de la SQ dans la région des Laurentides, Marc Tessier, a d’abord répondu à La Presse qu’il n’avait pas de commentaire à faire sur l’intention de citoyens de bloquer la route 344. « Non, pas pour ça, a-t-il dit. Il ne s’est rien passé jusqu’à présent. » Il nous a ensuite dirigés vers le ministère de l’Environnement du Québec.

« Ce n’est pas nous qui allons fermer le dépotoir, a-t-il expliqué en faisant référence au site de G & R Recyclage. Ce n’est pas dans nos responsabilités, ce n’est pas dans notre mandat, on n’a pas de pouvoir là-dessus. »

Il a précisé que la SQ fait respecter le Code de la sécurité routière et contrôle le déplacement des camions là « où ils n’ont pas le droit de circuler », tandis que l’agence Contrôle routier Québec fait respecter les lois et les règlements sur le transport, comme ceux sur la charge et les dimensions des camions. Le ministère québécois de l’Environnement est celui qui est responsable de faire appliquer les lois environnementales.

L’histoire jusqu’ici

24 mai 2024

Ottawa met fin à l’impasse dans le dossier du site de G & R Recyclage, un dépotoir illégal à Kanesatake. Le conseil tribal W8banaki doit procéder à l’évaluation des contaminants sur le site.

3 juin

Des membres de Kanesatake dénoncent à nouveau « l’état de non-droit » dans la communauté et pressent les autorités d’agir, un an après avoir tiré la sonnette d’alarme.

10 juin

La Presse rapporte que l’entreprise d’excavation Nexus déleste des sols de chantiers de construction depuis des mois sur un autre site à Kanesatake, en bordure de la rivière des Outaouais.

3 juillet

Un collectif de citoyens et de militants pour l’environnement menace de bloquer la route 344 à Oka pour freiner le va-et-vient des camions vers le territoire mohawk.