(Québec) À l’aéroport Jean-Lesage, la scène est émouvante. Pour la première fois en 10 mois, Zakaria Helles, un Palestinien arrivé au Québec en août 2023, enlace sa femme et ses enfants pendant plusieurs minutes. Des larmes lui montent aux yeux. Il n’est pas le seul à pleurer. Ses enfants aussi versent des larmes de soulagement ; ils peuvent enfin serrer leur père dans leurs bras, à l’abri des bombes et de la faim qui hantent leur quotidien depuis près de huit mois.

Islam Helles, la femme de Zakaria, est épuisée. Voyageant avec cinq enfants âgés de 18 mois à 11 ans, sa journée de vol du Caire à Québec n’a pas été de tout repos.

« Al-hamdu li-l-lāh [que Dieu soit loué] », dit-elle en soupirant en voyant son mari, avant de se jeter dans ses bras.

Nous sommes le 24 juin à Québec. Sous les applaudissements d’une trentaine de proches coiffés de keffieh, le foulard traditionnel palestinien, la famille Helles reçoit plusieurs cadeaux, dont une affiche sur laquelle on a peint les drapeaux du Québec et de la Palestine et les mots « Bienvenue » en arabe.

PHOTO SAMIRA AIT KACI ALI, LA PRESSE

La famille Helles réunie à l’aéroport Jean-Lesage de Québec, le 24 juin dernier

« C’est une célébration ! Les mois de souffrance sont derrière nous », s’exclame M. Helles, qui est arrivé au Québec comme chercheur invité par l’Université Laval. Son statut a depuis été prolongé.

« C’était la première fois que je me séparais de ma femme depuis qu’on s’est rencontrés en 2010 », explique l’homme de 43 ans, détenteur d’un doctorat en génie civil et génie des eaux. Il devait rentrer à Gaza trois mois plus tard, le 11 novembre. La guerre en a décidé autrement.

Souffrance et incertitude

Le conflit entre Israël et le Hamas éclate le 7 octobre, bousculant du jour au lendemain le séjour du professeur et l’espoir de retrouver sa famille, puisqu’il lui est désormais impossible de retourner chez lui.

« Ce matin-là, c’était le pire réveil de ma vie. J’ouvre mon téléphone sur des centaines de messages de détresse de ma femme, de mes enfants, de ma mère. Ils me parlent de bombes et de missiles, je suis en choc. J’allume la télé et je réalise que c’est le début d’une guerre. »

Le jour même, il apprend que sa femme a quitté leur maison in extremis avec Razan, leur bébé de 18 mois, dans les bras, leurs quatre autres enfants – Hishan, 4 ans, Liam, 6 ans, Mira, 9 ans, et Mariam, 11 ans – et sa mère à lui.

La maison familiale située à Shejaiya, à l’est de la ville de Gaza, est complètement rasée le 10 octobre. C’est la deuxième fois en 10 ans que la famille Helles perd tout sous des bombardements israéliens.

« Toutes nos possessions étaient dans notre maison, nos diplômes, nos papiers, nos vêtements et nos économies », raconte M. Helles, reconnaissant que sa famille ait trouvé un refuge temporaire dans la ville de Gaza.

Depuis le début de la guerre, plus de 1 million de Palestiniens sont forcés de se déplacer à travers la bande de Gaza, fuyant les bombardements constants de l’armée israélienne. La famille de Zakaria n’y fait pas exception. De la ville de Gaza, elle a fui vers Khan Younès, puis vers Rafah, dans le sud du territoire palestinien, pour remonter vers le centre quelques mois plus tard.

« Gaza est devenu un trou noir de souffrance avec peu de ressources pour survivre. Ils n’étaient en sécurité nulle part », déplore le père de famille, qui gardait un contact ténu avec ses proches coincés là-bas.

Parfois, des jours et des semaines s’écoulaient sans que je sache si mes enfants étaient encore en vie.

Zakaria Helles

S’échapper de Gaza, mais à quel prix ?

Ne sort pas qui veut de Gaza. En réponse aux attaques du 7 octobre orchestrées par le Hamas, les autorités israéliennes ont fermé leur frontière avec la bande de Gaza. Jusqu’à récemment, la seule façon de quitter le territoire palestinien était en traversant à la frontière égyptienne par le passage de Rafah.

C’est ce chemin qu’a emprunté la famille de Zakaria Helles, une semaine avant que les troupes israéliennes ne prennent le contrôle de Rafah et ferment aussi cette voie de passage, le 7 mai dernier.

« J’ai su qu’ils étaient arrivés en Égypte le 1er mai, j’étais vraiment soulagé de les savoir enfin en sécurité, loin de la destruction qui les entourait là-bas », raconte-t-il.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Islam Helles a été forcée de se déplacer de ville en ville dans la bande de Gaza avec ses cinq enfants pour échapper aux bombardements.

Pour traverser la frontière, la famille de Zakaria a eu recours aux services de l’organisme Hala Consulting and Tourism, qui s’annonce officiellement comme une agence de voyages égyptienne, mais qui agit comme « agence de passeurs », explique Olivier Arvisais, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et expert des crises humanitaires.

Avant le début de la guerre, cette agence offrait des séjours en Égypte pour les habitants de la bande de Gaza. Désormais, Hala se charge d’évacuer les Palestiniens en inscrivant leur nom sur la liste égyptienne d’évacuation.

Mais ses services ont un coût.

« On parle d’environ 5000 $ US par personne, qu’il faut remettre en argent comptant au bureau de l’agence en Égypte », explique Nora Loreto, journaliste indépendante et militante de Québec. Elle a participé à l’évacuation de la famille Helles.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Nora Loreto

Mme Loreto s’est liée d’amitié avec Zakaria Helles en novembre 2023 lors d’une manifestation propalestinienne. « Lorsque mon conjoint et moi avons rencontré Zakaria, on l’a trouvé très gentil. Nous voulions savoir ce que nous pouvions faire pour l’aider dans l’immédiat. »

Le 21 mars, Nora Loreto a lancé une campagne de sociofinancement sur la plateforme numérique GoFundMe qui visait à recueillir 40 000 $ pour payer les services de l’agence de voyages Hala.

« Au début du mois d’avril, nous avions peur que l’armée israélienne décide à tout moment de s’en prendre à Rafah et de fermer la frontière. Le temps pressait, il fallait agir vite », raconte Nora Loreto.

Sans attendre que l’objectif soit atteint, elle et son conjoint ont décidé de prendre la situation en main et de payer de leur poche la somme nécessaire pour que la femme de Zakaria Helles, ses cinq enfants, son frère cadet et sa mère puissent traverser la frontière égyptienne et quitter la zone de guerre une fois pour toutes.

« Il se peut que nous ne retrouvions jamais cet argent, et nous sommes en paix avec ça. »

Au moment de publier, la cagnotte atteignait 27 000 $.

« Je veux redonner à la communauté »

Depuis le 24 juin, la famille est installée dans la maison d’un ami à Québec. Des proches l’ont aidée à trouver un appartement où tout le monde pourra emménager à compter du 7 juillet. Les Helles ont également reçu plusieurs dons de nourriture, de meubles et de vêtements, et les enfants pourront retourner à l’école dès l’automne.

« Je suis tombé en amour avec la ville de Québec, et je veux redonner à la communauté qui m’a offert son soutien inestimable », lance M. Helles, dont la durée du visa a été allongée, ce qui lui permettra de rester deux ans.

« La souffrance est derrière nous et nous sommes prêts à commencer notre nouvelle vie. »