Le Canada doit accroître sa présence militaire dans l’Arctique afin de montrer à la Russie et à la Chine qu’il a la capacité de défendre sa souveraineté sur ses vastes étendues nordiques pour les décennies à venir. C’est le message que lance le chef d’état-major de la Défense sortant, qui s’apprête à quitter son poste au cours des prochains jours.

Le général Wayne Eyre, numéro un des Forces armées canadiennes, avait annoncé en janvier dernier qu’il prendrait sa retraite cet été, au terme d’une quarantaine d’années passées en uniforme. Avant de partir, il a reçu La Presse dans son bureau du quartier général d’Ottawa, afin d’aborder l’un des grands chantiers de l’institution pour les prochaines décennies : celui de la défense du Grand Nord.

« Nous devons penser en termes stratégiques. Pour ce qui est de notre souveraineté, il n’y a pas de menace pour la prochaine année. Pas dans deux ans. Pas dans dix ans. Mais si vous pensez 50 ans en avant, dans le contexte d’une planète avec un accès accru à cette région… Avec l’accès accru vient l’intérêt accru. Avec cet intérêt accru vient la possibilité de tensions, d’erreurs de calcul et de menaces », explique-t-il.

Nous voyons de plus en plus de coopération dans l’Arctique entre la Russie et la Chine. C’est une préoccupation qu’au cours des décennies à venir, la Russie pourrait s’inspirer de l’approche chinoise en mer de Chine méridionale et augmenter ses prétentions de possession territoriale.

Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense sortant

En mer de Chine méridionale, Pékin a bâti des installations militaires très bien défendues sur plusieurs îles dans une zone contestée, sans attendre un règlement quelconque des disputes avec les pays de la région. Un scénario que Wayne Eyre ne voudrait pas voir se répéter dans le Nord.

« Nous avons déjà des revendications territoriales maritimes concurrentes avec la Russie. Et avec le réchauffement de la région, qui devient davantage libre des glaces, nous devons éviter d’être mis devant un fait accompli : une situation où la Russie serait déjà présente et bien installée [sur un territoire revendiqué par le Canada] », poursuit-il.

« Notre capacité à projeter des capacités létales dans cette région deviendra de plus en plus importante », dit-il au sujet du Grand Nord.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des militaires canadiens en mission dans l’Arctique

Les ressources militaires et la capacité de les mobiliser au besoin permettent de « stopper ou décourager collectivement, avec nos alliés, l’aventurisme, l’expansionnisme et le retour à une gloire historique imaginée qu’a la Russie », croit le chef d’état-major sortant.

« Nous allons coexister avec des pays qui nous sont opposés, mais nous devons le faire à partir d’une position de force », dit-il.

Des réunions sans le Canada

Or, les alliés du Canada, justement, ne cachent plus leur irritation face aux investissements d’Ottawa en défense, jugés trop bas. En mai, 23 sénateurs issus des deux principaux partis des États-Unis ont écrit au premier ministre Justin Trudeau pour se dire « profondément déçus » de la situation et de ses conséquences sur l’OTAN. Le Canada n’atteint toujours pas la cible d’investissements en défense équivalents à 2 % du PIB, l’objectif pour les membres de l’alliance militaire.

Récemment, la hiérarchie des Forces armées canadiennes a d’ailleurs réalisé que le Canada était parfois tenu à l’écart de certaines discussions entre alliés sur les questions militaires.

« C’est notre sentiment, qu’il y a des réunions qui se déroulent en coulisses et dont nous ne sommes pas nécessairement informés », reconnaît le général Eyre. Il souligne toutefois que c’est au gouvernement de décider quelle somme est allouée aux Forces armées canadiennes, pas à lui.

« Stratégiquement, est-ce que notre pays a le potentiel d’en faire plus ? Absolument ! », concède-t-il.

« Mais sur le plan militaire, mes collègues, dans les autres pays, adorent ce que nous amenons à la table. Ils apprécient beaucoup les compétences, l’expérience et la motivation des membres des Forces armées canadiennes. Nous sommes bons ! Nos membres sont très bons et il y a une demande constante pour davantage de nos troupes, davantage de navires, davantage d’avions, davantage de nos officiers », énumère-t-il.

Du travail à faire

Le soldat de carrière constate que la situation mondiale a bien changé depuis son entrée dans les Forces canadiennes. « Les menaces sont différentes. Sommes-nous prêts à y faire face ? C’est la question que je me pose tous les jours », dit-il.

En préparant son départ, il dit avoir eu des pensées admiratives pour le travail accompli par les troupes sur le terrain, notamment ces jeunes militaires qui continuent d’offrir de la formation aux soldats ukrainiens dont le pays combat l’invasion russe.

Mais une partie de ses pensées est aussi occupée par les défis auxquels l’état-major canadien continuera d’être confronté.

« Les demandes envers nous augmentent. Nous devons travailler à augmenter nos capacités et à être prêts à répondre. Nous avons du travail à faire sur ces deux aspects », dit-il.