La hausse des loyers et du coût du panier d’épicerie pèse sur le dos des étudiants des universités québécoises. Des milliers d’entre eux se tournent vers des services d’aide alimentaire pour réussir à se nourrir. La demande grandissante suscite l’inquiétude d’organismes communautaires, qui n’arrivent pas toujours à suffire.

« Au total, 75 % de mon alimentation à la maison, c’est le bac alimentaire. » Pourtant, Béatrice Perron travaille à temps plein, en plus d’être étudiante au baccalauréat en histoire à l’UQAM. « Je ne vais pas à l’épicerie, ça coûte beaucoup trop cher », explique-t-elle. En plus des bacs alimentaires de son université, qui lui permettent d’obtenir des denrées de base à prix modique, elle profite de repas gratuits servis sur son lieu de travail.

Des situations similaires se répandent à travers la province.

Il y a 10 ans, les étudiants postsecondaires représentaient 5,8 % des utilisateurs des organismes d’aide alimentaire du Québec. En 2023, ce chiffre avait grimpé à 9,5 %, selon le plus récent sondage Bilan-Faim publié par les Banques alimentaires du Québec.

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Chez Multicaf, une soixantaine d’employés et de bénévoles sont présents quotidiennement pour offrir des services sociaux et alimentaires.

Avec l’arrêt de plusieurs services pendant l’été, la situation s’aggrave pour certains étudiants. « Je m’attends, cet été, à avoir un record dans l’utilisation de nos services alimentaires par la communauté étudiante », avance le directeur général de l’organisme communautaire Multicaf, Jean-Sébastien Patrice.

Sur les campus

Lors des sessions scolaires, 200 bacs alimentaires sont distribués à des étudiants de l’UQAM chaque semaine. On en distribue autant à des étudiants de l’Université de Montréal. À l’Université Concordia, des organismes étudiants servent plus de 600 repas gratuits quotidiennement. Un organisme à l’Université McGill en offre plus de 200 par semaine.

Et ils peinent à répondre à la demande.

Lorsque vient le service de dîners gratuits de l’organisme People’s Potato à l’Université Concordia, « la file fait le tour de l’étage », selon l’étudiante Bernice Djaballah, qui bénéficie des repas.

À la Sphère de services, qui offre le bac alimentaire à l’UQAM, la vitesse d’écoulement des paniers alimentaires s’accélère et les listes d’attente s’allongent depuis les deux dernières années. « On ouvre [les inscriptions] vendredi midi. Vendredi, fin de journée, il n’en reste pratiquement plus. Parfois, ça va se rendre au lundi, mais c’est rare », expose le directeur général Daniel Vandal.

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Le bac alimentaire de la Sphère de services est distribué toutes les semaines lors des sessions d’automne et d’hiver. Des étudiants peuvent se procurer un panier de denrées au coût de 10 $.

Par conséquent, des étudiants restent sur leur faim. Béatrice Perron voudrait récupérer un bac alimentaire toutes les semaines, mais son horaire chargé s’aligne difficilement avec la disponibilité limitée des denrées. « Parfois, je le rate. Si je suis au travail, je ne peux pas le réserver assez rapidement. »

Durant la période estivale, le bac alimentaire de l’UQAM n’est plus offert, comme plusieurs autres services d’aide alimentaire universitaires. Certains étudiants tâchent alors de trouver des ressources additionnelles pour les prochains mois. « C’est sûr qu’il faut que j’aille en chercher ailleurs », témoigne Béatrice Perron, qui doit se tourner vers des organisations communautaires.

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La Sphère de services offre le bac alimentaire à l’UQAM.

Des services communautaires à bout de souffle

« La situation est urgente », déplore la directrice des services de première ligne de l’organisme À deux mains, Bita Eslami. Situé dans le quartier de Notre-Dame-de-Grâce, À deux mains offre divers services sociaux, particulièrement à des jeunes âgés de 12 à 25 ans, dont de nombreux étudiants.

L’utilisation des boîtes alimentaires d’urgence y a grimpé de 170 % dans la dernière année.

Nous sommes absolument incapables de combler la demande. Nous refusons plusieurs personnes quotidiennement par manque de denrées et de budget. […] Nous stockons deux fois par semaine et c’est parti le même jour.

Bita Eslami, directrice des services de première ligne de l’organisme À deux mains

Ce constat fait écho chez Moisson Montréal, qui fournit une grande partie des services d’aide alimentaire. « Sur le plan des ressources des organismes, ils sont essoufflés. Ils ont des limites par rapport à la capacité de pouvoir accueillir des gens », confirme Éliane Larouche, conseillère en communication.

« Un stress en moins »

Lucrezia Cavalli, étudiante à l’Université de Montréal, fréquente l’épicerie solidaire de l’organisme Multicaf depuis l’hiver dernier. Elle s’y procure un panier d’épicerie complet pour seulement 7 $ toutes les deux semaines.

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Lucrezia Cavalli, étudiante au baccalauréat en nutrition à l’Université de Montréal, visite l’épicerie solidaire de l’organisme Multicaf plusieurs fois par mois.

Multicaf offre différents services sociaux et alimentaires à la communauté de Côte-des-Neiges, dont des repas et une épicerie à bas prix. Ici aussi, la demande a explosé. En 2019, seulement 2 étudiants avaient recours à ses services. En 2024, ils sont maintenant 112.

Arrivée à Montréal il y a trois ans pour les études, Lucrezia Cavalli a remarqué que ses factures d’épicerie ont triplé depuis. La nourriture étant « une des préoccupations majeures » de son budget, elle porte une attention particulière à toutes ses dépenses. « J’évite de sortir, je ne vais pas au resto, j’essaye de tout faire à la maison », témoigne-t-elle.

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Multicaf offre différents services sociaux et alimentaires à la communauté de Côte-des-Neiges.

Pour l’étudiante en nutrition, les denrées de Multicaf lui permettent de maintenir une alimentation équilibrée, en évitant d’éliminer les aliments sains de son épicerie. « Soit c’est l’argent, soit c’est la qualité de ce que tu manges qui va prendre un coup. C’est toujours un des deux. »

En complémentant son épicerie par les denrées de Multicaf, elle peut se permettre une assiette où protéines, fruits et légumes sont présents. « Dès que je vois qu’il y a de la viande, je vais en prendre tout de suite. Même chose pour les produits laitiers, c’est extrêmement dispendieux à l’épicerie », explique-t-elle.

Pour des étudiants comme Lucrezia Cavalli et Béatrice Perron, qui ont déménagé à Montréal pour les études, l’aide alimentaire est un soutien essentiel pour « toutes les dépenses associées au fait d’être loin de sa famille », dit Béatrice Perron.

La pression monte

Pour plusieurs de ces organismes communautaires, l’insécurité alimentaire étudiante suscite une importante inquiétude. Daniel Vandal se préoccupe que l’aide alimentaire soit la seule béquille séparant les étudiants précaires d’un décrochage universitaire.

« On sent qu’on est les seuls à pouvoir aider les étudiants sur le plan de l’alimentation. […] En tant qu’organisme qui offre des services aux étudiants, on sent qu’on est essentiels à une étape de leurs études, de leur vie. »

Pour d’autres, c’est le sort de la prochaine génération qui est en jeu.

« Cette population-là, c’est l’avenir de demain. Mais, en même temps, comment faire pour se concentrer pleinement dans ses études et se bâtir un avenir quand, au moment présent, on a de la difficulté à juste se nourrir ? », se questionne le directeur général de Multicaf, Jean-Sébastien Patrice.