Beaucoup de Français de Montréal s’attendaient à voir le Rassemblement national (RN) dominer les élections législatives de 2024. Les résultats du premier tour, dimanche, font maintenant craindre à certains que le pays qu’ils ont quitté ne soit plus le même.

Il est 14 h dimanche sur l’avenue du Mont-Royal quand Maeline Alvarez, une jeune Française de 24 ans, apprend les résultats du premier tour.

« Je suis déçue, car je pensais qu’il y aurait plus de mobilisation de la gauche », dit la jeune femme qui vit ici depuis un an grâce à un permis voyage-travail (PVT). « Ça veut dire qu’il y a quand même beaucoup de racisme [en France], parce que je pense que les gens votent par racisme et non pas pour les programmes [des partis]. »

Selon elle, beaucoup de personnes ayant voté pour le camp présidentiel dans le passé se tournent désormais vers l’extrême droite. Elle avoue même connaître de nombreuses personnes qui, dans le passé, votaient à gauche et qui donnent désormais leur voix au RN.

Il lui reste encore un an à effectuer ici grâce à son visa, mais Maeline Alvarez se pose désormais des questions quant à un possible retour dans son pays.

« Si jamais il y a un premier ministre du RN, ça ne donne pas envie de rentrer, car on sait que nos conditions vont se dégrader au fur et à mesure, estime-t-elle. Il y a un sentiment de peur, car tu te dis que tu habites dans un pays où les gens sont fachos. »

« La haine a fait sa place »

Attablée non loin de là sur une terrasse de la célèbre avenue du Plateau-Mont-Royal, Adeline Conesa, une Franco-Canadienne de 38 ans, apprend elle aussi à l’instant les résultats du premier tour. Elle se dit peu surprise, considérant l’ascension du RN dans son pays d’origine.

Il y a beaucoup de personnes qui votent pour le RN, mais qui ne le disent pas. La haine a fait sa petite place en se rendant plus accessible en faisant croire qu’ils sont un parti comme les autres. J’ai quitté le pays en raison de la mentalité qui est en train de changer et qui est très fermée.

Adeline Conesa, Franco-Canadienne de 38 ans

Elle explique comment sa grand-mère a elle-même été victime de racisme au moment où elle a quitté l’Espagne pour immigrer en France.

« Elle se faisait jeter des pierres, et on lui disait de rentrer chez elle en Espagne, explique Adeline Conesa. Le racisme contre les Italiens et Espagnols a existé, mais on dirait que chaque génération change de cible. »

« Même si le RN passe, il faut que les Français continuent d’avoir une ouverture d’esprit et de ne pas se fier à leur parole et ne pas prôner la haine », ajoute-t-elle.

Un « changement de paradigme »

Plusieurs partis politiques français ont rapidement réagi après les résultats afin d’anticiper le second tour. Des candidats donnent déjà leur consigne pour faire barrage à l’extrême droite et limiter son ascension.

« On change de paradigme ce soir dans la vie politique française, car là on voit une vague bleu marine dans la grande majorité des circonscriptions françaises », explique Julien Robin, doctorant en science politique à l’Université de Montréal.

On est en train de voir la montée prévisible du RN depuis 20 à 30 ans et qui se déroule sous nos yeux.

Julien Robin, doctorant en science politique à l’Université de Montréal

Pour ce spécialiste dont la thèse porte sur l’évolution des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale française depuis les 15 dernières années, les scénarios au second tour sont plutôt limités.

« On pourrait s’attendre déjà à une bonne majorité RN à l’Assemblée [nationale], qu’elle soit une majorité relative ou une majorité absolue qui ne sera pas large, explique-t-il. Le deuxième scénario, c’est de voir l’arc républicain se calcifier dans la semaine avec des retraits et désistements dans le cas de triangulaires et donc une limitation de la progression du RN au second tour. »

Julien Robin ne s’attend pas à une majorité pour la gauche qui stagne autour de ses résultats habituels. Les Français voteront à nouveau la semaine prochaine alors qu’une cohabitation entre le camp macroniste et un autre parti semble inévitable.