Montréal accueille cette semaine une conférence internationale réunissant 580 experts en politiques familiales. L’occasion, pour le Québec, de constater qu’il est loin devant, avec ses services de garde et ses congés parentaux. Parmi les invités-vedettes : l’ex-première ministre Pauline Marois, instigatrice des centres de la petite enfance (CPE).

« De toute ma carrière, ma plus grande fierté, c’est d’avoir créé les CPE », lance Pauline Marois en entrevue téléphonique à La Presse.

La création de ces services de garde en 1997, alors qu’elle était ministre de la Famille et de l’Enfance, conjuguée au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), a provoqué « un changement de culture », résume-t-elle.

Qu’il s’agisse du taux de participation des femmes au marché du travail, de la richesse des familles, de l’implication des pères auprès de leurs enfants, note Mme Marois, les CPE et le RQAP, de même que la maternelle à temps plein à 5 ans, ont tout changé.

On est loin du temps où les femmes au foyer l’ont accusée de leur voler leurs enfants, à l’époque, relève Mme Marois. « J’ai eu des manifestations de mères avec des poussettes devant l’Assemblée nationale ! »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Pauline Marois

Sans être rabat-joie, on lui souligne que bien des parents ont beaucoup de mal à trouver une place en service de garde, que les CPE n’ont plus autant le vent en poupe, les garderies privées ayant notamment eu la faveur des gouvernements après le sien.

Elle le sait trop bien. « J’ai eu quatre enfants, qui sont tous devenus parents. Seulement l’un d’entre eux a trouvé une place dans un CPE, mes trois autres ont dû inscrire mes petits-enfants dans une garderie privée », là où la qualité des services est moindre, relève-t-elle.

La vérificatrice générale ne lui donne pas tort : dans son rapport annuel 2002-2023, le taux d’échec à l’évaluation de la qualité éducative a été de 60 % pour les garderies subventionnées et non subventionnées, comparativement à 20 % pour les CPE.

Mme Marois souligne qu’elle se garde généralement une grosse gêne avant de donner son opinion, d’une part en raison de son manque d’appétit pour les polémiques et, d’autre part, parce qu’elle dit avoir souffert des interventions des premiers ministres qui l’ont précédée.

« J’ai fait quelques sorties, j’en fais un peu davantage sur les politiques à la petite enfance, mais je le fais avec réserve, sans tirer à boulets rouges, même si je le devrais, parfois ! »

Elle se lance donc, comme c’est un sujet qui continue de lui tenir à cœur. Il faut, dit-elle, compléter le réseau des CPE, revenir à un ratio de deux tiers d’éducatrices qualifiées, créer un nombre suffisant de places et développer très prioritairement les maternelles 4 ans en milieu défavorisé.

Le gouvernement Legault, constate-t-elle, a redonné la priorité au développement des CPE, mais dans les faits, regrette-t-elle, pour toutes sortes de considérations bureaucratiques, l’ouverture d’une garderie est autrement plus rapide que la création d’un CPE. Elle estime que le gouvernement devrait davantage accompagner et encourager ces établissements.

Car quantité d’études démontrent la supériorité des CPE, qui font « l’objet de moins de plaintes que les garderies privées ».

Le réseau des services de garde, comme dans d’autres secteurs, souffre de pénuries, note-t-on. Et les salaires, notamment à Montréal où les appartements sont si chers, ne sont pas de nature à attirer la relève. « Au haut de l’échelle, les salaires sont relativement décents, répond Mme Marois, mais une valorisation de ce travail demeure nécessaire. »

De généreux congés pour un bon début

Marie Gendron, présidente-directrice générale du Conseil de gestion de l’assurance parentale, souligne quant à elle que selon une étude de l’UNICEF, le Québec se situe au 4rang – parmi 42 pays étudiés – en matière de politique familiale. Le reste du Canada, lui, n’arrive qu’au 27rang*.

C’est dire que pendant la conférence de cette semaine, le Québec « sera à l’affût de ce qui se fait de mieux dans le monde », mais en étant « davantage dans la catégorie “exemple à suivre” que “leçons à prendre” ».

En 2020, le Québec, dit-elle, a poussé sa logique un peu plus loin en s’assurant d’impliquer davantage les pères. Jusque-là, pour ce qui est des semaines partageables des congés parentaux, les femmes les prenaient presque toutes.

En instaurant une incitation importante – quatre semaines de plus si le père prend plus de semaines –, « on est passé de seulement 8 % des parents qui se divisaient les semaines partageables en 2019 à 40 % en 2024 ».

Et cela, c’est crucial, dit Mme Gendron, « parce que quand le père est impliqué dans les premiers jours de la vie, qu’il fait le sac à couches, il reste impliqué dans les tâches parentales » pour de bon, même si on n’en est pas encore à un partage des tâches moitié-moitié.

Le Québec, vu d’ailleurs

« Vos programmes et politiques en matière familiale font l’envie de beaucoup de pays du monde » et « si ces changements sociaux ont été possibles, c’est parce que la société y était prête. » Qui le dit ? Nulle autre qu’Ellen Galinsky, conseillère scientifique principale au gouvernement américain de la Santé et des Services sociaux, sommité en matière de développement de l’enfant.

Avec les gouvernements Clinton et Obama, qu’elle a conseillés de près, certaines avancées ont été réalisées, mentionnant par exemple l’obtention de haute lutte d’un congé de maternité de trois mois à la naissance d’un enfant. Non payé.

C’est dire combien les États-Unis sont à des années-lumière des programmes québécois, « et je n’en suis pas fière », lance-t-elle.

Les moindres changements sont extrêmement difficiles à obtenir aux États-Unis, dit-elle, entre autres parce que le pays est fait d’une mosaïque de 50 États qui, chacun, y vont de leur propre initiative.

« Je pense que nous avons une grosse crise des soins aux enfants en bas âge, aux États-Unis. Ils sont hors de prix pour les jeunes parents qui sont entrés récemment dans le marché du travail. »

*Where do rich countries stand on childcare, a Focus on Québec, Anna Gromada et Dominic Richardson, UNICEF, 2021