À l’approche du 1er juillet, des propriétaires ne se gênent pas pour demander un dépôt illégal sur les plateformes de petites annonces. Avec la crise du logement, certains locataires se sentent obligés de payer une telle somme pour pouvoir se loger, dénoncent des comités de logement de Montréal.

La Presse a comptabilisé 59 offres de logement où les propriétaires affichaient clairement des exigences illégales aux locataires. Pour arriver à ce résultat, nous avons fouillé pendant un après-midi les offres du Grand Montréal présentes sur les plateformes Kijiji et Facebook Marketplace dans la semaine du 10 juin.

Sur Facebook Marketplace, un appartement de deux chambres et une salle de bains est à louer pour 2095 $ par mois. L’appartement est très moderne, situé sur le Plateau Mont-Royal. Le logement inclut des électroménagers. Dépôt exigé : 1500 $.

Un 5 ½ à louer dans Saint-Laurent au coût de 2500 $ par mois est affiché sur Facebook Marketplace. Les comptoirs sont un peu vieillots, mais le reste de l’appartement est moderne, constate La Presse sur les photos. Le logement est près de quelques lignes d’autobus, mais pas du métro. « Dépôt requis », est-il indiqué noir sur blanc dans l’offre de logement.

Ce ne sont là que quelques exemples des demandes faites par les propriétaires sur les sites d’annonces de logement. Quatre des cinq propriétaires contactés à ce sujet n’ont pas répondu aux messages envoyés. Une a dit ne pas être au courant que c’était illégal, et a changé l’offre peu après.

Payer pour se garantir un logement

« C’est incroyable comment les propriétaires ont le gros bout du bâton », déplore Benjamin Ahier. L’homme de 55 ans qui travaille au port de Montréal raconte avoir dû payer trois mois de loyer d’avance en 2023 pour obtenir son logement, qu’il occupe depuis l’an dernier. « Ça m’a coûté presque 10 000 $ », témoigne-t-il.

Pour lui, payer ce dépôt était une façon de garantir son logement.

Si je ne le fais pas, le gars après moi va le faire.

Benjamin Ahier

Demander un dépôt pour garantir l’intégrité d’un logement est illégal au Québec. Mais c’est une pratique autorisée dans le reste du Canada et aux États-Unis, indique la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ). Les locataires ont toutefois le droit d’offrir un dépôt de leur plein gré, s’ils jugent cela nécessaire.

Un propriétaire peut cependant exiger que le premier mois de loyer soit payé d’avance, une fois le bail signé.

Une source d’inégalités

« [Les locataires] deviennent désespérés pour avoir un appartement donc vont consciemment mettre de côté le fait que c’est une demande illégale et accepter de payer », observe Angel Sun-Veilleux, qui travaille au comité de logement P.O.P.I.R., qui défend les intérêts des locataires dans le quartier Saint-Henri.

« Les gens qui espèrent se loger se rendent compte assez rapidement que c’est payer un dépôt ou ne pas avoir un logement », souligne pour sa part Margaret van Nooten, intervenante au comité de logement Genèse, dans Côte-des-Neiges. Cette dernière constate une augmentation de ce genre de pratique chez les propriétaires.

Ce n’est pas rare que les locataires aient à payer trois mois de loyer d’avance pour signer un bail.

Margaret van Nooten, intervenante au comité de logement Genèse

Margaret van Nooten pense que les dépôts volontaires sont « une source d’inégalités », puisque certains locataires peuvent se permettre d’offrir un dépôt volontairement, tandis que d’autres, non.

C’est une réalité qui touche encore plus durement les nouveaux arrivants, qui n’ont souvent personne pouvant les cautionner ou qui n’ont pas d’historique de crédit.

Ces nouveaux arrivants doivent donc trouver une caution ou payer un dépôt, explique MJulien Delangie, avocat spécialisé en droit du logement. « Ils se retrouvent devant un choix qui n’en est pas un », précise-t-il.

MDelangie ne constate pas une hausse de ce phénomène chez ses clients. « C’est rare, malheureusement, que les gens vont voir un avocat suite à ça », dit-il. Il précise que plusieurs locataires ont peur de faire respecter leurs droits, de crainte que cela ternisse leur image aux yeux des futurs propriétaires.

Légaliser le dépôt

Questionnée au sujet des dépôts demandés pour louer un logement, la CORPIQ dit « ne pas recommander à ses membres d’en exiger un aux candidats locataires ».

La CORPIQ précise cependant que le dépôt peut permettre à un locataire de « rassurer » son propriétaire, dans l’éventualité où le locataire n’a pas d’historique de crédit ou que le propriétaire ait des inquiétudes concernant la détérioration du logement.

Pour l’Association des propriétaires du Québec (APQ), le dépôt devrait être rendu légal au Québec. « Le problème, c’est que la loi ne le permet pas », dit Martin Messier, président de l’APQ. Ce dernier pense que si un locataire a besoin de récupérer un dépôt, il peut très bien le faire en s’adressant au Tribunal administratif du logement.

Il explique que les raisons qui poussent un propriétaire à demander de telles sommes sont multiples, mais il évoque notamment la négligence et les dommages causés par les animaux.

Qu’est-ce qui est permis ?

  • Un propriétaire a le droit de demander le premier mois de loyer lors de la signature du bail.
  • La discrimination basée sur le « statut social » de quelqu’un est illégale. Un propriétaire ne pourrait pas refuser un étudiant ou un nouvel arrivant seulement sur cette base.
  • Un dépôt exigé pour garantir l’intégrité des meubles ou simplement pour avoir un animal est interdit.