Les nouvelles cartes de zones inondables qui seront dévoilées en 2025 suscitent déjà l’inquiétude de plusieurs maires de la province. C’est que 77 000 logements pourront être touchés par la nouvelle réglementation, soit trois fois plus qu’actuellement, a annoncé Québec, mardi.

« La première chose que les citoyens vont nous demander, c’est “est-ce que je suis dans cette zone-là ?” Et malheureusement, on n’a pas de réponse concrète à leur donner », déplore François Robillard, maire de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. La rupture de la digue de sa ville avait forcé l’évacuation de 6000 personnes en 2019. « Imaginez tout le poids de l’incertitude à laquelle ces citoyens font face actuellement, avec cette annonce aujourd’hui », a-t-il ajouté.

Si le nouveau règlement est appliqué tel quel, « 96 % de nos résidants sont en zone inondable présentement », lance Sonia Fontaine, mairesse de Pointe-Calumet, dans les Laurentides. « On se réveille un matin, comme ça, avec les valeurs de nos maisons qui descendent, l’incertitude hypothécaire, l’incertitude des assurances… », dit-elle, visiblement abattue par la nouvelle. Dans sa ville, seule une vingtaine de maisons ont été touchées lors de précédentes inondations, soit moins de 1 % des résidences.

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Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, a annoncé plus tôt dans la journée la mise à jour du règlement concernant les zones inondables, pour lequel de nouvelles cartes seront dévoilées dans les prochains mois. Ces cartes s’appuieront sur les connaissances scientifiques pour prédire les débordements et les déplacements des cours d’eau induits par les changements climatiques. Elles seront réalisées en collaboration avec les municipalités, et seront graduellement rendues publiques jusqu’au printemps 2025.

Bien que ces cartes n’aient pas encore été dévoilées, le gouvernement estime que près de 77 000 logements (soit 2 % de la population du Québec) pourraient se retrouver en zone inondable, contre 22 000 aujourd’hui.

« C’est vraisemblablement le geste le plus important d’adaptation aux changements climatiques que le gouvernement du Québec pose à travers l’annonce qui est faite aujourd’hui », s’est félicité Benoit Charette lors d’un point de presse à ce sujet.

« Nous avons collectivement vécu plusieurs tragédies en lien avec les inondations. Rappelons-nous toujours que l’objectif est d’éviter que cela se reproduise dans le futur », a également déclaré Martin Damphousse, président de l’Union des municipalités du Québec et maire de Varennes.

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Alain Bourque, directeur général d’Ouranos

Alain Bourque, directeur général d’Ouranos, a quant à lui salué ce travail collaboratif entre le gouvernement, les municipalités et la communauté scientifique. « Pour chaque dollar investi en adaptation aux changements climatiques, en réduction des risques, on économise entre 10 et 15 $ dans les années ou dans les décennies subséquentes », a-t-il affirmé.

Qui sera concerné ?

Le ministre n’a pas précisé où se situent les 55 000 logements supplémentaires qui se retrouveront en zone inondable. « Il n’y aura pas beaucoup de surprises », a-t-il indiqué. Quelqu’un dont la maison a été inondée en 2017 ou 2019, « cette personne doit s’attendre à ce que le statut de sa propriété va changer », a-t-il ajouté.

Plusieurs maires ont confié à La Presse leur colère face à cette annonce, alors que les nouvelles cartes de zones inondables ne seront dévoilées que dans plusieurs mois.

La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a envoyé la semaine dernière aux maires du Grand Montréal des cartes préliminaires. Mais un point reste flou : le statut des maisons près d’une digue, qui pourraient se retrouver inondées si elle cède. On considère actuellement qu’elles restent en zone inondable dans un rayon de 100 mètres, mais celui-ci pourrait être ramené à 10. « Pour ces villes-là, le nombre de citoyens concernés, ça peut aller d’une vingtaine à un millier », avance Nicolas Milot, directeur de la transition écologique et de l’innovation à la CMM.

« Ça fait 48 mois qu’on vit dans les travaux d’endiguement. Plus de 30 millions qui ont été octroyés par le gouvernement, et aujourd’hui, on ne les considère pas. C’est un non-sens », lâche Sonia Fontaine.

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Construction d’une digue à Pointe-Calumet, en avril 2020

Même son de cloche du côté d’Alain Goyette, maire de La Visitation-de-l’Île-Dupas, dans Lanaudière. Dans sa ville, plusieurs habitations ont été désignées comme étant dans une zone inondable « de façon exagérée et erronée », selon lui, depuis qu’un règlement provisoire a été mis en place en mars 2022. « Les citoyens sont comme pris au piège. Ça brise des projets de retraite, ça prive des aînés ou des personnes handicapées de pouvoir aménager leur maison », dit-il.

Concernant les inquiétudes quant à l’augmentation des prêts hypothécaires et des primes d’assurances, « la modernisation du cadre réglementaire ne va pas venir changer fondamentalement la donne », a assuré Jean-François Constant, directeur des politiques de l’eau au Ministère. « Nous ne sommes pas des assureurs […], mais on n’a pas eu vent de tendance qui se dessine par rapport à la modification des pratiques. »

Cette annonce est provisoire ; elle sera suivie d’une période de consultation de 90 jours, à laquelle sont invités à participer les citoyens et les municipalités.

Le nouveau règlement en bref

Deux critères pour définir le risque

Le risque d’inondation (de faible à très élevé) sera défini selon deux critères : la probabilité qu’une inondation puisse survenir dans les prochaines années, d’une part, et la hauteur que pourrait atteindre le niveau d’eau, d’autre part. Une résidence qui a plus de 70 % de probabilité de subir une inondation dans les 25 prochaines années, pour un niveau d’eau atteignant 30 cm ou plus, sera par exemple dans une zone à risque « très élevé » d’inondation.

Réparation et reconstruction

Selon le risque d’inondation, il sera toujours possible de réaliser des travaux de réparation et de rénovation d’une résidence déjà construite (parfois à certaines conditions). Mais dans une zone où le risque est très élevé, il ne sera pas possible de reconstruire un bâtiment endommagé de façon importante, par exemple, et les possibilités d’agrandissement seront très restreintes – cela sera limité à des besoins essentiels, comme le déplacement d’une chambre qui serait située au sous-sol.

Construction de nouveaux bâtiments

Le nouveau cadre réglementaire propose également que, dans les zones inondables, il ne soit pas possible de construire de bâtiment dans un nouveau secteur (et ce, même pour une zone à faible risque d’inondation). Dans les quartiers existants avec des terrains vacants, on ne pourra construire un nouveau bâtiment qu’à certaines conditions (mais cela ne sera pas possible pour une zone dont le risque d’inondation est très élevé).

Travaux d’endiguement

Les municipalités peuvent réduire les risques en mettant en place des ouvrages de protection contre les inondations, comme des digues, et en démontrant leur efficacité. Mais si une résidence se trouve près d’une digue (entre 10 et 100 mètres), son risque pourrait passer d’élevé à faible seulement « avec argumentaire technique à l’appui […], pour tenir compte de l’effet potentiellement destructeur d’une rupture », précise-t-on dans les documents fournis par le Ministère.