La progression de la droite radicale en Europe pourrait-elle se refléter de notre côté de l’océan ? Peut-être, selon trois experts.

Les résultats des élections européennes pourraient-ils donner un élan à la droite radicale au Québec et au Canada ?

« Il est vraisemblable que cette progression de l’extrême droite va donner du gaz aux mouvements d’extrême droite ici », affirme David Morin, professeur de science politique et spécialiste de la radicalisation à l’Université de Sherbrooke, en ajoutant que ces mouvements se parlent et collaborent déjà à différents degrés.

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Le professeur de science politique et spécialiste de la radicalisation à l’Université de Sherbrooke David Morin

Selon Ruth Dassonneville, professeure spécialiste en comportement politique à l’Université de Montréal, l’opinion publique au Canada et au Québec n’est pas si différente de celle en Europe, notamment pour les questions d’immigration. « Il pourrait y avoir un appui pour des partis d’extrême droite ici, et ça pourrait arriver assez rapidement », ajoute-t-elle.

Or, « le Canada a un historique de gouvernance au centre de l’échiquier politique », selon Martin Geoffroy, spécialiste de l’extrême droite et directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), qui souligne que les partis d’extrême droite existent au Canada, mais sont beaucoup plus marginaux qu’en Europe. « Il n’existe pas aujourd’hui de parti d’extrême droite institutionnalisé, à l’exception du Parti populaire du Canada et de quelques partis provinciaux », confirme David Morin.

Car le Canada offre moins d’oxygène aux partis de la droite radicale en raison de son système électoral, explique Ruth Dassonneville. « Dans un mode de scrutin majoritaire comme le nôtre, c’est beaucoup plus difficile pour ces partis d’obtenir un bon score », souligne la chercheuse, précisant que le mode de scrutin proportionnel du Parlement européen offre plus de chances aux partis de la droite radicale d’obtenir de bons résultats.

Comment la droite radicale gagne-t-elle du terrain au Canada, si ce n’est pas par les urnes ?

La droite radicale occupe donc une place marginale sur l’échiquier politique canadien, mais cela « n’empêche pas néanmoins une normalisation progressive de certaines de ses idées, comme sur l’immigration », commente David Morin. Selon le chercheur, ces idées circulent tout simplement autrement. « Cette extrême droite est surtout présente sur les réseaux socionumériques, mais tend à se mobiliser aussi dans l’espace social tout court. »

L’amplification des discours de la droite radicale pourrait faire prendre un virage extrême aux partis de la droite traditionnelle, soutient Ruth Dassonneville. « Ce qu’on pourrait voir arriver, c’est que des partis plus mainstream de droite bougent de plus en plus vers une telle position, parce qu’ils ont l’impression que c’est là où l’opinion publique se trouve », commente Ruth Dassonneville.

Pour gagner du terrain, la droite radicale s’infiltre par ailleurs au sein des partis politiques traditionnels de droite, explique David Morin. « On a vu que cela avait bien fonctionné aux États-Unis avec le Parti républicain qui est tiré très à droite depuis l’administration Trump. »

La forte présence de la droite au Parlement européen pourrait-elle nuire aux intérêts économiques d’autres pays ?

Les partis de la droite radicale ont tendance à favoriser des politiques économiques protectionnistes, souligne Martin Geoffroy. Ainsi, pour le commerce international, un Parlement européen plus à droite pourrait avoir une influence néfaste sur le Canada, notamment en « menant à une remise en question de notre traité de libre-échange avec l’Europe ».

En effet, les résultats des élections témoignent d’une volonté de renforcer les frontières de l’Union européenne, selon Ruth Dassonneville. « Mais je pense que ça jouerait plus sur une question comme l’immigration que sur un enjeu comme le libre-échange », nuance la chercheuse.

Quel impact les résultats des élections européennes pourraient-ils avoir sur l’environnement ?

Une présence plus forte de l’extrême droite au Parlement européen pourrait mettre à mal les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, selon Martin Geoffroy. « En environnement, le terrain de jeu n’est pas national, mais bien planétaire, donc si vous avez le tiers de l’Europe qui ne collabore pas, ça complique les choses. »

Si le Parlement européen est déchiré par des enjeux comme le pouvoir d’achat et l’immigration, l’environnement pourrait être mis au second plan, d’après Ruth Dassonneville. « Je pense que le risque plus important, c’est qu’on ignore un peu le réchauffement climatique et qu’on repousse un peu toutes les cibles de réduction des gaz à effet de serre », ajoute la chercheuse.

Or, l’avancée de l’extrême droite au Parlement européen pourrait aider toutefois les partis écologistes à se faire entendre au sein de coalitions. « Si l’extrême droite a gagné des sièges, peut-être que les autres groupes vont avoir besoin des écologistes pour passer certaines lois. Ça les mettrait dans une position pour mettre davantage de pression », explique Ruth Dassonneville.