La Presse a visité un des trois entrepôts de la réserve stratégique de sirop d’érable du Québec au terme de la récolte la plus importante de l’histoire de la province

(Laurierville) Les érables ont coulé à flots ce printemps. Le Québec vient d’enregistrer la plus importante récolte de sirop de son histoire. Une cuvée salutaire qui viendra regarnir la réserve stratégique nationale, qui était à son plus bas niveau depuis 15 ans.

« Cette année, dame Nature a été de notre côté. »

Dans un vaste entrepôt du Centre-du-Québec, Kevin Gauthier observe le va-et-vient des chariots élévateurs qui transportent et empilent des barils de sirop d’érable fraîchement débarqués des cabanes à sucre de partout au Québec. Des tonneaux qui font partie de la plus grande récolte de sirop de tous les temps : 239 millions de livres d’or blond.

« Ça rentre d’un côté, ça sort de l’autre, et ce qui ne trouve pas preneur, on va le pasteuriser et le conserver à long terme, explique le directeur de l’usine. L’an passé, on en a pasteurisé probablement pendant une semaine. Là, ça va probablement être pendant huit mois en ligne ! »

Nous sommes dans le plus grand des trois entrepôts de la réserve stratégique de sirop d’érable du Québec. Cette banque sert à stabiliser l’offre d’une production agricole dont les rendements fluctuent grandement d’une année à l’autre, au gré de la météo.

L’entrepôt de Laurierville est la plaque tournante du sirop d’érable au Québec. Avec une superficie de 267 000 pieds carrés – soit l’équivalent de cinq terrains de football –, les installations sont si grandes que les employés s’y déplacent à vélo.

Au total, l’ensemble de la réserve a une capacité pouvant atteindre 133 millions de livres, ce qui équivaut à 53 piscines olympiques.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Environ 85 % de l’ensemble du sirop d’érable produit au Québec est exporté sur les marchés étrangers.

En février dernier, elle a atteint son plus bas niveau depuis 2008 avec seulement 7 millions de livres. Grâce à un stock additionnel de 45 millions de livres chez les transformateurs, l’approvisionnement des marchés n’était pas compromis cette année.

« Mais on aurait commencé 2025 en allumant des lampions », explique Joël Vaudeville, directeur des communications des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ).

« Ça aurait été vraiment critique. Donc la récolte de cette année arrive vraiment au bon moment », ajoute-t-il.

Incursion dans la réserve stratégique de sirop d’érable
  • L’ensemble de la réserve stratégique de sirop d’érable a une capacité pouvant atteindre 133 millions de livres, ce qui équivaut à 53 piscines olympiques.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    L’ensemble de la réserve stratégique de sirop d’érable a une capacité pouvant atteindre 133 millions de livres, ce qui équivaut à 53 piscines olympiques.

  • Vue aérienne des installations de Laurierville, d’une superficie de 267 000 pieds carrés, soit l’équivalent de cinq terrains de football. Cet entrepôt est le plus gros des trois qui font partie de la réserve stratégique.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Vue aérienne des installations de Laurierville, d’une superficie de 267 000 pieds carrés, soit l’équivalent de cinq terrains de football. Cet entrepôt est le plus gros des trois qui font partie de la réserve stratégique.

  • L’entrepôt de Laurierville peut contenir jusqu’à 55 millions de livres de sirop d’érable, ce qui représente environ 94 000 barils.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    L’entrepôt de Laurierville peut contenir jusqu’à 55 millions de livres de sirop d’érable, ce qui représente environ 94 000 barils.

  • Un échantillon de chaque baril de sirop est prélevé pour analyse et classement. Il existe quatre catégories : doré, ambré, foncé et très foncé. Sur la photo : Audrey Bolduc.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Un échantillon de chaque baril de sirop est prélevé pour analyse et classement. Il existe quatre catégories : doré, ambré, foncé et très foncé. Sur la photo : Audrey Bolduc.

  • L’entrepôt est si vaste que les employés s’y déplacent à vélo.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    L’entrepôt est si vaste que les employés s’y déplacent à vélo.

  • Le directeur de l’entrepôt, Kevin Gauthier, longe le dernier mur de barils pasteurisés de l’entrepôt de Laurierville. En février dernier, il ne restait que 7 millions de livres dans les trois entrepôts de la réserve stratégique, qui peuvent en contenir jusqu’à 133 millions.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Le directeur de l’entrepôt, Kevin Gauthier, longe le dernier mur de barils pasteurisés de l’entrepôt de Laurierville. En février dernier, il ne restait que 7 millions de livres dans les trois entrepôts de la réserve stratégique, qui peuvent en contenir jusqu’à 133 millions.

1/6
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Saison historique

Lors de la saison des sucres de 2024, les acériculteurs ont produit 239 millions de livres de sirop d’érable, fracassant le record de 2022, établi à 211 millions de livres.

« On est dans un nouveau record de production all-star », résume M. Vaudeville.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Lors de la saison des sucres de 2024, les acériculteurs ont produit 239 millions de livres de sirop d’érable, fracassant le record de 2022, établi à 211 millions de livres.

Et « 239 millions de livres de sirop d’érable, en termes de revenus pour les producteurs, c’est à peu près 750 millions de dollars ».

Le record de production à l’entaille a aussi été surpassé avec une moyenne de 4,47 livres, contre 4,26 livres en 2022.

Qu’est-ce qui explique cette productivité ? D’abord, un dégel hâtif. « La saison a commencé tôt, mais elle s’est étirée dans le temps », affirme M. Vaudeville.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le directeur des communications des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ), Joël Vaudeville

Début, mi-février, c’est tout le Québec qui a coulé en même temps. Ce qui était particulier. Habituellement, on connaît les coulées hâtives en Montérégie et le long de la frontière américaine, mais là, les coulées ont été à la grandeur du Québec.

Joël Vaudeville, directeur des communications des Producteurs et productrices acéricoles du Québec

Dans certaines régions, les producteurs ont été pris par surprise, car ils n’avaient pas terminé d’entailler leurs arbres.

« Ceux-là ont redoublé d’efforts, ils n’ont pas beaucoup dormi pendant une semaine pour compléter, donc il n’y a pas beaucoup de sirop qui a été laissé sur la table et on a pu vraiment maximiser la production. »

La saison s’est terminée à la fin d’avril.

Autre facteur déterminant : l’octroi de 14 millions d’entailles de plus en 2021 et en 2023, dont 6,5 millions sont désormais en production.

Regarnir la réserve

La réserve stratégique a atteint un sommet il y a quatre ans avec plus de 100 millions de livres.

« Les quatre dernières années, elle a fortement décru », explique Joël Vaudeville.

Durant la pandémie, la demande a fortement augmenté. « Durant la COVID-19, pour une raison qui reste à être expliquée […], il y a eu une explosion de la demande de sirop d’érable à l’international : on parle de plus de 20 %, deux années de suite. »

Environ 85 % de l’ensemble du sirop d’érable produit au Québec est exporté sur les marchés étrangers.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

L’entrepôt de Laurierville est rempli de colonnes de barils de sirop d’érable prêt à être pasteurisé, expédié… ou goûté.

En 2023, la récolte a aussi été très décevante, avec 124 millions de livres produites et une moyenne à l’entaille de 2,43 livres.

On ne sait pas combien de millions [de livres] vont pouvoir être mis dans la réserve, mais la situation a changé du tout au tout.

Joël Vaudeville, directeur des communications des Producteurs et productrices acéricoles du Québec

Depuis leur création en 2000, les Producteurs et productrices acéricoles du Québec ont payé seuls les frais de la mise en stock de leur production, rappelle leur président, Luc Goulet. Et les stocks de la réserve ne sont payés que lorsqu’ils sont vendus, parfois plusieurs années plus tard.

« Pour les entreprises acéricoles, renflouer la réserve stratégique représente donc une pression financière supplémentaire alors qu’elle est pourtant essentielle pour l’ensemble de la filière, mais aussi pour le marché mondial du sirop d’érable », explique-t-il.

C’est pourquoi ils réclament maintenant un appui gouvernemental. Des discussions sont en cours. « L’aide qu’on demande pourrait prendre la forme d’un remboursement des frais d’intérêt, c’est-à-dire qu’on nous aide à assumer les frais liés à l’avance des paiements qui correspondent aux stocks produits, mais non vendus », ajoute-t-il.

« Alors que les changements climatiques induisent des variations de plus en plus importantes dans la production, le gouvernement doit partager cette responsabilité avec nous et financer cet outil de mise en marché unique qui a prouvé son efficacité. »

Un précieux liquide

Ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme l’or blond : un baril de sirop d’érable pasteurisé vaut environ 2200 $ CAN. « En comparaison, un baril de pétrole brut, c’est 80 $. Ça vaut plus de 22 fois plus cher qu’un baril de pétrole ! », lance Joël Vaudeville. En 2012, un stratagème de vol de sirop d’érable avait d’ailleurs frappé l’imaginaire collectif. Le contenu de plus de 9500 barils avait été remplacé par de l’eau dans un entrepôt de Saint-Louis-de-Blandford. Le larcin était estimé à 18 millions de dollars. Il s’agissait à l’époque du plus important vol ayant fait l’objet d’une enquête par la Sûreté du Québec.

En savoir plus
  • 8000
    Nombre d’entreprises acéricoles au Québec
    Source : PPAQ
    72 %
    Le Québec assure en moyenne 72 % de la production mondiale de sirop d’érable et exporte dans plus de 70 pays.
    source : PPAQ