Il y a deux semaines, Kori Cheverie accordait une entrevue en français au 98,5 FM. Quelques jours plus tard, elle prenait le micro pour s’adresser, encore une fois dans la langue de Molière, aux quelque 3000 partisans présents à l’Auditorium de Verdun après le dernier match de son équipe à domicile.

« C’est un peu comme quand tu arrives sur un tremplin, au-dessus d’une piscine. Tu dois sauter parce que tu es rendue en haut. Dans ces moments-là, j’essaie juste de mettre la peur de côté en sachant que je fais de mon mieux. »

C’est ce que l’entraîneuse-chef nous explique quand on lui parle de ces moments où elle s’est exprimée en public… dans une langue qu’elle n’a commencé à apprendre qu’il y a quelques mois à peine.

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L’entraîneuse-chef sur la glace de l’Auditorium de Verdun

Comment s’y est-elle prise ? C’est ce qu’elle a pris le temps de nous expliquer, mercredi, après l’entraînement de son équipe à l’Auditorium de Verdun. À noter que, dans ce cas-ci, l’entrevue s’est déroulée en anglais afin d’aider à la fluidité.

Au moment de sa nomination comme entraîneuse-chef, Cheverie avait formulé une promesse que l’on a entendue nombre de fois de la part de figures haut placées d’équipes sportives montréalaises au fil des années ; celle d’apprendre le français.

La différence, c’est qu’elle l’a respectée. Et rapidement.

« Je ne prends pas ça à la légère et je voulais m’assurer que je respecte la culture et la langue », dit celle dont les collègues ne sont pratiquement que francophones.

Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que la Néo-Écossaise a le désir d’apprendre le français. Elle avait commencé à suivre des leçons en 2021, alors qu’elle commençait à travailler avec l’équipe nationale. « Ça n’a pas duré bien longtemps parce que j’étais centralisée avec l’équipe et j’étais très occupée. Je ne pouvais pas avoir un horaire régulier », nous raconte-t-elle.

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L’entraîneuse-chef de l’équipe de Montréal de la LPHF, Kori Cheverie

Cette fois, elle a trouvé le moyen d’y arriver. Environ deux fois par semaine depuis le 12 octobre, elle rencontre son enseignante – laquelle préfère rester anonyme – seule à seule pendant 45 minutes.

À travers les entraînements, les matchs et le voyagement, Cheverie s’est efforcée, et s’efforce toujours, de garder une constance dans ses cours. Même pendant le Championnat mondial féminin, alors qu’elle était dans un autre fuseau horaire pendant trois semaines, elle s’assurait de se lever tôt pour s’y consacrer.

« Si je ne le pratique pas, je vais le perdre, lâche-t-elle. C’est important pour moi. »

Des efforts et du plaisir

On comprend vite, à écouter parler la femme de 36 ans, que ses cours de français ne sont pas une corvée. Elle y trouve un réel plaisir. Elle nous parle d’ailleurs longuement de son enseignante, qu’elle qualifie de « minutieuse », « patiente » et « incroyable ».

« C’est beaucoup de travail, mais mes cours sont vraiment plaisants », affirme-t-elle. « Tout ce qu’on fait est relié au hockey. Elle est extrêmement préparée. »

Pendant ses leçons, Cheverie doit par exemple se prêter à des jeux d’association ou des mini quiz, tous en lien avec le hockey, ses joueuses ou son équipe.

Elle a demandé à des gens de s’enregistrer comme s’ils étaient des membres des médias. Ils me posent des questions. De cette façon, j’entends différentes personnes parler.

Kori Cheverie, à propos de son enseignante de français

À tout moment, si elle a une question ou une entrevue à préparer en français, Cheverie peut passer un coup de fil à son enseignante. « Parfois, elle prend des histoires en ligne et me dit : les médias pourraient te poser des questions là-dessus. Quoi qu’il se passe avec notre équipe, elle se prépare pour aider.

« Elle est tellement patiente avec moi. Elle n’essaie pas de me forcer à répondre de telle ou telle façon. C’est généralement moi qui arrive avec la réponse, puis elle m’aide à ajouter les mots qui manquent. Je bloque beaucoup aux petits mots, comme dans “est-ce que tu”. »

Pour s’exercer, Cheverie écoute parfois des entrevues d’autres personnes en français. Celles de Marie-Philip Poulin et d’Ann-Renée Desbiens, par exemple. « J’écoute leur façon de répondre aux questions », évoque-t-elle.

Mener par l’exemple

Bien sûr, après seulement six mois, le français de Kori Cheverie n’est pas parfait. Mais elle peut se débrouiller.

« Je planifie continuer parce que je suis encore loin d’être assez bonne, dit-elle. […] Quand je recevais toute cette presse disant que je ne pouvais pas parler français, je me disais : tu sais quoi, je peux le faire. Ce n’est pas que je voulais prouver aux gens qu’ils avaient tort, parce que je le fais pour des raisons plus importantes que ça. C’est une question de m’en soucier. En même temps, je m’engage à l’apprendre, alors je veux faire du bon travail et être bonne. »

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Kori Cheverie avec les gardiennes Ann-Renée Desbiens et Marlène Boissonnault

Chose certaine, les efforts et la volonté y sont.

La semaine dernière, après le dernier match des Montréalaises à domicile, les partisans lui ont clairement fait comprendre leur reconnaissance ; lorsqu’elle a pris le micro pour s’adresser à la foule en français au centre de la patinoire, elle a reçu une belle ovation.

Un peu plus tard, Ann-Renée Desbiens nous a mentionné avoir envoyé un texto à son entraîneuse après que celle-ci a fait son entrevue au 98,5 FM. « Je lui ai dit de la part de tous les Québécois, de la part de mes parents qui ne parlent pas anglais, de la part de tous nos partisans, qu’on appréciait l’effort qu’elle a fait dans les six derniers mois », a dit la gardienne aux médias.

Quand on revient sur ce texto, Cheverie sourit. « C’est plaisant de recevoir un message comme ça parce que tu fais beaucoup de travail en arrière-scène, mais personne ne te voit le faire. Tu ne vas pas te promener en disant que tu suis des cours de français. […] D’avoir un athlète qui reconnaît ce que je fais en dehors de la patinoire, c’est assez cool. »

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Kori Cheverie (à droite), dans les gradins de l’Auditorium de Verdun avec notre journaliste

Voilà plusieurs mois déjà que Cheverie glisse par-ci, par-là une phrase en français aux journalistes qui couvrent l’équipe. Mais au cours des dernières semaines, ses sorties dans la langue de Molière sont beaucoup plus fréquentes. C’est un peu, aussi, une façon de mener par l’exemple devant ses joueuses…

« Si je suis assez brave pour aller au centre de la patinoire et parler [en français] à la foule, peut-être que ça va encourager mes joueuses à être assez braves dans d’autres moments pour qu’elles se sacrifient pour l’équipe, qu’elles fassent des choses qui sont difficiles à faire. »

« Je dis des phrases que je ne réalise pas qu’on ne doit pas dire et qui ne font pas de sens. Mais je deviens meilleure pour ne pas me prendre trop au sérieux. J’en ris. Si les gens veulent rire de moi ou rire avec moi, qu’ils le fassent. Je suis heureuse parce que c’est difficile. La vie est difficile, alors c’est cool d’être en mesure de réaliser des choses difficiles. »