Je suis un pur produit d’une grande université urbaine, francophone et de recherche. Baccalauréat, maîtrise et doctorat à l’Université de Montréal. Je viens d’un milieu scolarisé, où le diplôme universitaire n’était pas une option, mais pratiquement un passage obligé.

Père médecin, mère écrivaine, frères et sœurs avec des parcours impressionnants. Je suis loin, très loin, de ce que nous appelons les « étudiants de première génération ». Je ne suis pas le produit des avancées que le rapport Parent voulait favoriser, à savoir l’accès aux études supérieures pour tous et toutes, partout sur le territoire.

Depuis 15  ans, mes différentes fonctions en enseignement supérieur m’ont heureusement permis d’élargir mes horizons. J’ai visité toutes les universités et les cégeps en région, j’ai vu les pas de géant accomplis depuis 55 ans. Le sociologue Guy Rocher a bien raison quand il parle de l’importance essentielle de l’enseignement supérieur partout sur le territoire.

Récemment, j’ai fait la connaissance de la rectrice de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), Murielle Laberge. Coup de cœur et admiration garantis ! Elle incarne toutes les bonnes raisons d’avoir créé ce réseau universitaire.

PHOTO MARIANNE DUVAL, FOURNIE PAR L’UQO

Remise d’un doctorat honorifique aux membres du groupe Les Cowboys Fringants, en mai dernier. Un autre diplôme a été décerné à titre posthume au chanteur Karl Tremblay.

« Un de mes êtres humains préférés », voilà quels mots qu’emploie Jérôme Dupras, le Cowboy Fringant et professeur à l’UQO, pour qualifier sa rectrice. Et il a raison.

Murielle Laberge est dans une classe à part. Une femme à la trajectoire atypique, sorte de transfuge de classe dont le destin premier n’aurait pas prédit une telle ascension.

D’origine franco-manitobaine, elle déménage assez tôt au Québec avec sa famille. Travailleuse sur une chaîne de montage dès l’âge de 19 ans à l’usine d’Aylmer de Northern Telecom, elle se retrouve, à l’aube de sa trentaine, sans emploi, avec une jeune enfant et très peu de sous, lorsque l’usine ferme ses portes en 1989.

Elle est admise dans un programme de certificat en relations industrielles à l’UQO, et ce, grâce à la reconnaissance de son expérience syndicale dans son milieu de travail. Mère de famille monoparentale, elle habite dans une coopérative qui lui sera d’un grand secours financier, physique et mental. Puis, elle enchaîne avec des études de baccalauréat et de maîtrise à l’UQO, puis de doctorat à l’Université de Montréal pendant lesquelles, à 36 ans, elle accouche de jumeaux qui auront des enjeux de santé importants.

Engagée à l’UQO, elle gravit un à un tous les échelons, de chargée de cours à professeure, présidente de son syndicat, doyenne, jusqu’à devenir, en 2020, rectrice de cet établissement. Un parcours exceptionnel !

Mais au-delà de ses brillantes études accomplies dans un contexte familial et financier difficile, Murielle s’implique partout, veut « sauver le monde », constamment animée, dit-elle, par une soif de justice sociale. Première et seule d’une famille de 10 enfants à étudier à la maîtrise et au doctorat, avec des parents qui n’ont pas fréquenté l’université.

Murielle affiche un leadership inspirant, toujours à l’affût des possibilités de développer des collaborations entre son université et les différents acteurs de la société, que ce soit sur la scène municipale, communautaire, artistique ou politique. C’est ainsi qu’elle a reçu l’Ordre de Gatineau, pour souligner son engagement social, ainsi que la médaille de l’Assemblée nationale pour son travail exemplaire dans sa communauté.

La rectrice m’explique qu’elle veut « redonner ce qu’elle a reçu » ; et de l’UQO, elle a dit avoir tout reçu. « Cette institution m’a construite, elle m’a donné une définition professionnelle. » Elle-même admise à l’université avec un profil atypique, elle personnifie l’accessibilité : étudiante de première génération, plus âgée que la moyenne, mère seule et vivant des prêts et bourses qui l’ont soutenue.

Jérôme Dupras décrit sa rectrice comme une femme chaleureuse, conviviale, humaine, transparente et rassembleuse. « Elle déplace littéralement des montagnes ! Elle incarne la valeur importante d’une université, à savoir d’être au service de sa collectivité », dit-il à l’occasion d’un entretien. Pour l’accessibilité et l’égalité, le réseau de l’Université du Québec (UQ) constitue pour lui un legs incroyable de la Révolution tranquille. Ces universités, ajoute-t-il, cassent un certain élitisme universitaire et développent une mission sociale sur l’ensemble du territoire. Il l’a constaté de nombreuses fois lors de ses tournées partout au Québec avec son groupe Les Cowboys Fringants.

L’UQ, c’est nous tous et toutes, que l’on vienne d’une toute petite ville, de la montagne ou du fleuve, des forêts ou des mines. L’UQ, c’est l’accès des étudiants à des établissements que les parents n’ont souvent jamais eu le privilège de fréquenter. L’UQ, c’est le lieu des profils atypiques d’admission, des étudiants qui habitent loin des grands centres ou qui désirent fréquenter un milieu à échelle humaine.

Et ce sont ces diplômés de programmes stimulants et audacieux, ainsi que leurs professeurs, qui permettent à leurs régions respectives de rayonner grâce à leurs expertises spécifiques, tel l’ISFORT (Institut des sciences de la forêt tempérée) de l’UQO à Ripon qui, grâce à ses chercheurs, dont Jérôme Dupras, génère des retombées concrètes importantes pour l’environnement et des publications scientifiques de calibre international.

Murielle Laberge est un modèle pour les étudiants, en particulier pour les femmes et les mères. Un modèle aussi pour le leadership, celui qu’elle exerce en affirmant ses convictions les plus profondes de justice sociale, de bienveillance, d’écoute et d’humanité.

L’UQO est en bonnes mains, et les communautés qu’elle sert aussi !

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