Certains ont été démantelés de force, d’autres tiennent encore. De Montréal à Paris en passant par New York et Sydney, les campements propalestiniens sur les campus suscitent des tensions partout.

Partout ? Non. À une poignée d’endroits, les campements ont été levés de façon volontaire par les manifestants à la suite d’ententes satisfaisantes avec la direction des établissements.

Cela s’est fait à l’Université Brown, dans le Rhode Island. À Northwestern, près de Chicago. Au Evergreen State College, dans l’État de Washington. Il me semble que si on cherche une voie de passage, on devrait regarder dans ces directions.

Le cas de Brown, bien documenté par le New York Times, m’apparaît particulièrement intéressant1.

PHOTO DAVID GOLDMAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Il ne restait du campement propalestinien de l’Université Brown que les marques des tentes sur la pelouse, mardi

« Brown s’est toujours enorgueillie de résoudre les différends par le dialogue, le débat et l’écoute mutuelle. […] J’apprécie les efforts sincères de nos étudiants pour prendre des mesures afin d’éviter une nouvelle escalade », a écrit Christina H. Paxson, la présidente de l’Université Brown, à la suite du démantèlement volontaire⁠2.

Vous ne trouvez pas que ça fait du bien de lire ça dans le contexte d’affrontement actuel ?

Depuis une semaine, le débat au Québec tourne beaucoup autour du fait de savoir quel camp a raison. La liberté d’expression des manifestants est mise en opposition au droit de McGill de faire respecter ses règlements. Tout le monde se prononce là-dessus, jusqu’au premier ministre François Legault qui a demandé à la police d’intervenir.

Entendons-nous : d’un point de vue juridique et démocratique, cette question de savoir qui est dans son bon droit est cruciale. Mais la résoudre ne fera sans doute pas grand-chose pour freiner l’escalade et dénouer la situation durablement. D’où cette idée d’amener la réflexion ailleurs.

À l’Université Brown, la direction a fait une véritable offre aux manifestants : si vous démantelez le campement, on se penchera de façon sérieuse sur l’idée de désinvestir dans les entreprises liées à l’armée israélienne.

On dira que McGill a aussi offert un « forum » de discussion aux manifestants s’ils cessaient leur séance de camping printanière. Le gros problème : en parallèle, elle a appelé la police pour lui demander de démanteler le camp.

Je ne suis pas le seul à trouver que c’est une drôle de façon de négocier.

« De demander explicitement aux forces de l’ordre de démanteler – et pas simplement de s’assurer que les choses ne débordent pas – c’est sûr que ça envoie un message extrêmement répressif », commente Thomas Collombat, politicologue et directeur du département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais.

Ce spécialiste des négociations syndicales voit des parallèles entre ce qui se passe à McGill et son champ d’expertise.

C’est assez surprenant de voir l’une des parties à une négo utiliser tout de suite l’arme de dernier recours. Et pas comme menace, mais comme effet immédiat. Ça traduit qu’il n’y a pas vraiment de bonne foi dans la négociation.

Thomas Collombat, politicologue

Dans une lettre envoyée à la communauté de McGill mercredi dernier, le recteur Deep Saini insiste d’ailleurs sur le fait que le démantèlement est « non négociable ».3 Difficile, avec de tels mots, de négocier, justement !

Au fond, McGill vient dire aux manifestants : si vous démantelez votre campement de façon volontaire, on va jaser avec vous. Sinon, eh bien ! nous le démantèlerons quand même.

Il n’est évidemment pas dit que l’université réussira. Une juge a déjà rejeté une injonction destinée à forcer le démantèlement. Mais le problème plus fondamental est qu’une telle stratégie n’offre aucune porte de sortie aux manifestants.

Écoutons ce qu’a dit au New York Times Rafi Ash, un étudiant de l’Université Brown, au terme de l’entente conclue avec la direction.

Il s’agit d’un véritable moment de prise de conscience de notre pouvoir collectif. C’est quelque chose qui démontre que la mobilisation du corps étudiant peut forcer l’université à écouter.

Rafi Ash, étudiant de l’Université Brown

Comment voulez-vous qu’un étudiant de McGill dise la même chose si on menace de détruire son principal levier de négociation, soit son campement ?

L’autre différence majeure entre McGill et l’Université Brown, c’est le niveau d’engagement des institutions. Cette dernière a présenté un calendrier qui prévoit qu’une recommandation formelle sera faite en septembre sur la question du désinvestissement dans les entreprises liées à l’armée israélienne. Puis, en octobre, un vote des gouverneurs de l’université aura lieu.

« Évidemment, le vote n’est pas sûr de passer. Mais au moins, on amène ça dans une véritable instance », commente Thomas Collombat, qui souligne qu’un simple forum de discussion peut facilement être vu comme « une voie d’évitement qui permet de repousser un problème et éviter d’en discuter sérieusement ».

Il va sans dire que si une véritable négociation s’installe entre la direction de McGill et les manifestants, ceux-ci devront aussi mettre de l’eau dans leur vin.

Pour l’instant, les étudiants disent vouloir maintenir le campement jusqu’à ce que McGill désinvestisse complètement dans toute entreprise israélienne liée au militaire.

Oui, le Evergreen State College a accepté une telle demande. Mais il est normal qu’une telle décision exige du temps et des discussions. C’est le compromis qu’ont fait les étudiants de l’Université Brown. Ils ont démantelé leur campement contre une promesse sérieuse d’étudier la question, sans garantie de résultats. L’idée n’est donc pas de céder à toutes les demandes des manifestants, mais bien de les écouter.

Je vous entends, chers lecteurs. Plusieurs d’entre vous diront que l’idée même de négocier avec des manifestants est naïve et fleur bleue. Mais je vous fais remarquer une chose. À McGill, les manifestants sont en train de fortifier leur camp. À Columbia, ils se sont fait déloger et bousculer par des policiers casqués armés de boucliers. Mon petit doigt me dit qu’ils sont encore plus galvanisés qu’avant et qu’on n’a pas fini d’entendre parler d’eux.

À l’Université Brown, pendant ce temps, on discute entre adultes. ll me semble qu’on devrait au moins essayer de s’en inspirer.

1. Lisez « At Brown, a Rare Agreement Between Administrators and Protesters » sur le site du New York Times (en anglais) 2. Lisez une déclaration sur l’entente sur le site de l’Université Brown (en anglais) 3. Lisez la mise à jour du mercredi 1er mai sur le site de McGill Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue