Depuis l’école primaire, on leur parle de pollution et de changements climatiques. Paradoxalement, les jeunes de 18 à 34 ans sont aujourd’hui aussi écoanxieux que peu enclins à faire de réels efforts pour réduire leur impact environnemental, disent les sondages. Même les plus sensibilisés ont du mal à ne pas baisser les bras en constatant que le problème est tellement plus gros qu’eux.

Septembre 2019. Des centaines de milliers de personnes manifestent pour le climat dans les rues de Montréal, galvanisées par une adolescente, Greta Thunberg.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Partout dans le monde, aujourd’hui, des millions de personnes marchent. C’est incroyable d’être unis ainsi », avait déclaré la militante Greta Thunberg à la foule montréalaise, lors de l’évènement.

Depuis, les sondages et les études rendent compte d’une jeunesse qui croit de moins en moins aux manifestations comme à l’utilité des sacrifices pour contrer le réchauffement climatique. À quoi bon se priver de voyages quand le beau-père carbure au pick-up et à la motomarine ? Quand la meilleure amie part au Mexique l’hiver, à Paris à la relâche et au Brésil l’été ? Et pendant ce temps, en Chine, en Inde, aux États-Unis…

Louis Couillard, responsable de la mobilisation chez Greenpeace Canada, admet que certains matins sont difficiles pour un militant comme lui.

C’est sûr que la pandémie nous a fait perdre notre erre d’aller et je constate une certaine désillusion. Des gens se disent : à quoi ça sert ? Mais on n’a pas le choix, sinon ce sera la catastrophe ! Et de tout temps, il a fallu se battre pour un monde meilleur !

Louis Couillard, responsable de la mobilisation chez Greenpeace Canada

L’ennui, c’est que la lassitude n’a pas trait qu’aux manifestations.

Se priver, c’est trop dur

Selon le Baromètre de la consommation responsable 2023 de l’Observatoire de la consommation responsable de l’ESG UQAM, 49 % des jeunes de 18 à 24 ans « ne sont pas prêts à se priver de certains plaisirs » pour réduire leur impact environnemental (comparativement à 37 % tous âges confondus).

Les sentiments d’impuissance et de découragement sont aussi manifestes. Pas moins de 46 % des répondants de 18 à 24 ans ont dit adhérer à l’énoncé « la situation environnementale est si sombre que je crois que plus rien n’est possible » (soit 14 points de pourcentage de plus que pour l’échantillon complet).

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des centaines de milliers de manifestants ont pris la rue à Montréal en septembre 2019.

Quand des centaines de milliers de personnes manifestent, « mais que les gouvernements ne prennent pas les mesures nécessaires, ça contribue à un sentiment d’épuisement », constate Shirley Barnea, porte-parole de Pour le futur Montréal, qui organise la manifestation de ce dimanche pour le Jour de la Terre à Montréal, au pied du mont Royal.

À son avis, l’heure n’est donc plus tant aux discours un brin culpabilisants qu’à la recherche de solutions collectives, par des mesures de grande ampleur prises par les gouvernements, « comme l’imposition de taxes sur les voyages en avion, qui pourraient être haussées après le premier voyage annuel, par exemple », lance Shirley Barnea.

Les jeunes n’ont manifestement pas envie de se priver de voyager, lui soumet-on. Shirley Barnea répond que « c’est difficile de ne pas profiter de sa jeunesse quand les adultes autour de soi ne font pas ce qu’il faut. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Shirley Barnea, porte-parole de Pour le futur Montréal

Si les jeunes voient que leurs parents voyagent, ils ont envie de voyager eux aussi.

Shirley Barnea, porte-parole de Pour le futur Montréal

Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat et professeur de marketing à l’UQAM, relève que de tous les groupes d’âge, ce sont les personnes de 18 à 34 ans qui sont le moins enclines à avoir des scrupules écologiques liés aux voyages.

Le sondage Léger réalisé pour la Chaire de tourisme en témoigne. Les jeunes de 18 à 34 ans jugent moins probable de diminuer leurs futurs voyages en avion que ceux de 34 ans et plus (41 % comparativement à 50 %).

Pas moins de 73 % des répondants à un sondage Léger de 2021 disent être écoanxieux, note M. Vachon – « mais ils n’adoptent pas les comportements qui comptent parmi ceux qui auraient le plus d’impact » pour limiter les dégâts.

Comme professeur à l’université, c’est manifeste, poursuit M. Vachon. Révolue, l’époque où l’on faisait, tard dans la vie, son premier voyage en Europe – ah, Paris !

« Aujourd’hui, il n’est pas rare que mes étudiants soient déjà allés à Bali. »

Écologiquement, ce n’est pas top, mais sociologiquement, le voyage, « c’est important pour ouvrir notre regard sur le monde », fait valoir M. Vachon.

La Chaire de tourisme fait aussi le constat que « les Québécois en ont assez d’entendre parler d’environnement ».

Les plus puristes ont modifié leurs comportements, mais le nombre de voyageurs dits responsables a atteint un plateau.

Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat et professeur de marketing à l’UQAM

Ailleurs, une jeunesse pas plus verte

En tout cela, le Québec n’est pas du tout distinct. Selon une étude réalisée en France par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, les jeunes Français sont les plus préoccupés par les changements climatiques, mais leurs comportements « ne sont pas plus écologiques que ceux de leurs aînés, peut-on lire dans le document. Ils sont moins nombreux à trier leurs déchets, à acheter des légumes locaux et de saison ou encore à réduire leur consommation d’électricité ».

Au quotidien – une question de budget, peut-être ? – les jeunes sont cependant moins nombreux à posséder une voiture. Mais en France, « 28 % des 18-24 ans ont pris l’avion deux fois ou plus dans l’année, soit neuf points de plus que la moyenne », est-il encore écrit.

Une étude réalisée par l’Institut de recherche Sotomo sur les Suisses révèle par ailleurs que de tous les groupes d’âge, les jeunes adultes de 18 à 35 ans ont actuellement la plus grande empreinte écologique, surtout en raison de leurs nombreux voyages en avion.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Les jeunes ne consomment pas moins que leurs aînés.

Au Québec, selon le Plan Metrix de la firme Comscore, spécialisée dans l’étude des consommateurs, ce sont les femmes âgées de 18 à 24 ans qui, de tous les groupes d’âge, étaient les plus susceptibles d’avoir acheté un vêtement ou du maquillage et des produits de beauté dans les 12 mois qui ont précédé la collecte, en 2023. Chez les hommes, ce sont ceux de 25 à 34 ans qui avaient en plus grand nombre acheté un vêtement dans les mois précédents.

Caroline Boivin, cofondatrice de l’Observatoire de la consommation responsable et professeure de marketing à l’Université de Sherbrooke, refuse d’être défaitiste. Vrai, les jeunes ne sont pas plus frugaux que leurs aînés. Mais certains comportements semblent bel et bien intégrés, comme le fait de magasiner dans une friperie, « un comportement qui est devenu une norme » parmi la jeune génération.

« Par exemple, les jeunes ont tous leur gourde et ils sont très conscients du fait qu’il faut consommer moins de viande. »

Pour le reste, elle relève que ses travaux l’amènent à constater que les jeunes sont nombreux à dire qu’ils manquent d’informations pour consommer de façon responsable.

Manquer d’informations ? Alors que leurs enseignants et leurs manuels scolaires traitent de ces questions depuis toujours ?

En fait, note Mme Boivin, ce que les jeunes comme les moins jeunes doivent réaliser, « c’est que les produits verts sont rarement 100 % verts, ou ils peuvent l’être sur certains aspects, mais moins sur d’autres. Les options vertes permettent de réduire l’impact environnemental par rapport aux options conventionnelles, mais ne l’éliminent pas complètement ».

Par exemple, ajoute-t-elle, « même si la distance parcourue par les produits locaux est moindre, ils doivent tout de même être acheminés vers les consommateurs, ce qui engendre évidemment des impacts sur l’environnement ».

Le vert, ce n’est pas « noir ou blanc », et il faut apprendre à naviguer avec une certaine incertitude.

Mais surtout, conclut-elle, « le geste le plus important pour l’environnement est la réduction de la consommation. Et cela, c’est facile à oublier avec les multiples offres de produits, écolos ou non ».

Sans qu’on s’en rende bien compte, note-t-elle, avec l’âge, on accumule toutes sortes d’informations, fait remarquer Mme Boivin.

« Moi-même, ça fait 15 ans que je me plonge dans ces questions et j’en apprends encore chaque jour ! Le diable est dans les détails. »

Par exemple, qu’est-ce qu’on peut mettre dans le bac, exactement ? La voiture électrique, est-ce totalement une bonne idée ? Et non, en utilisant les pailles en bambou, les emballages en cire d’abeille et en achetant une énième bouteille d’eau réutilisable parce qu’on la trouve jolie, on n’aide pas la planète, finalement.

Lisez le texte « Ces objets écolos qu’on surconsomme »

« La consommation, c’est nécessaire, relève Mme Boivin. La grande question, c’est de savoir où tracer la ligne entre le trop et le suffisant… et se faire plaisir, un peu. »

Lisez « Une jeunesse qui fait de son mieux »

38 %

Proportion des jeunes de 18 à 34 ans qui estiment que la réduction de leur impact environnemental « demande trop d’efforts » (25 % pour tous les âges)

Source : Baromètre de l’action climatique 2023 de l’Université Laval (basé sur une enquête par questionnaire en ligne auprès de 2000 personnes) 

2650 litres

Quantité d’eau requise pour produire un chandail en coton

Source : World Economic Forum (rapport de 2020)

Deux fois plus

La production de vêtements dans le monde a presque doublé depuis 2000

Source : World Economic Forum (rapport de 2021)