L’époque du « bar ouvert » pour les spiritueux québécois à la Société des alcools du Québec (SAQ) est désormais révolue. Avec une offre saturée et des ventes en baisse, la société d’État veut faire « le ménage » en resserrant ses règles et en retirant des tablettes plus d’une centaine de produits offerts actuellement en succursale.

« Avoir un dixième gin à saveur de citron, ce n’est peut-être plus nécessaire », a illustré Sandrine Bourlet, vice-présidente, commercialisation, de la SAQ, au cours d’une entrevue accordée à La Presse.

Cette décision, qui pourrait entraîner la mort de certaines entreprises, a tout de même été prise de concert avec l’Union québécoise des microdistilleries (UQMD). L’association juge nécessaire que les règles du jeu changent.

Sur les 630 spiritueux québécois présentement offerts à la SAQ, entre 150 et 200 disparaîtront des étalages au cours de la prochaine année. « [Ce qui permettra de] libérer de la place, à peu près 15 % de l’espace sur nos tablettes, pour mettre les bons joueurs de la catégorie », soutient Mme Bourlet.

En cinq ans, les microdistilleries ont poussé comme des champignons sur le territoire québécois, passant de 10 à 70 environ. « Depuis cinq, six ans, on a connu une belle effervescence des ventes et une belle croissance de la catégorie », assure-t-elle.

À l’époque, la société d’État était déterminée à offrir une chance à tous les distillateurs d’ici de voir leur gin ou eau-de-vie d’érable obtenir sa place au soleil.

Or, voilà que devant une offre qui s’est multipliée et un engouement qui a diminué, les ventes dans cette catégorie ont connu une baisse de 5 % cette année par rapport à l’an dernier.

Actuellement, le tiers des spiritueux québécois offerts en tablettes génère à peine 5 % des ventes de la catégorie, ce qui est bien peu aux yeux de la vice-présidente, commercialisation. « D’ici un an, on veut supprimer ces produits qui ne font que 5 % des ventes. »

« On voit clairement qu’il y a un désintérêt, le momentum de l’achat local a diminué. Il y a une expression qu’on utilise en gestion de l’offre qui dit que trop de choix tue le choix. On doit agir pour resserrer l’offre, ajoute Mme Bourlet. [Il faut] s’assurer que maintenant, il y aura des règles d’entrée et de sortie des produits. On n’accepte plus tout le monde. »

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La vice-présidente, commercialisation, de la SAQ, Sandrine Bourlet

Bien que les balises n’aient pas encore été déterminées, elle souligne que les spiritueux qui entreront en succursales seront les plus « performants ». « Peut-être qu’on va dire qu’un gin, pour rester sur les tablettes de la SAQ, doit apporter de la variété au répertoire, doit avoir une vélocité de ventes. On va se baser sur les données de clients avec le programme Inspire. »

Des discussions auront lieu à l’été avec l’UQMD, qui représente plus d’une cinquantaine de microdistilleries. Si elle reconnaît que cette décision risque de susciter le mécontentement de certains producteurs, Mme Bourlet mentionne néanmoins que « ce n’est pas la SAQ qui doit porter le poids de ce marché-là ».

« Les produits qui ne se vendaient pas pouvaient prendre la place d’un produit qui était recherché par les clients », a-t-elle martelé.

Pour la survie de l’industrie

À l’UQMD, le président Joël Pelletier assure que les changements annoncés par la SAQ étaient nécessaires pour assurer la viabilité de l’industrie. « C’était rendu un bar open, lance-t-il sans ambages. Il y a des fournisseurs qui profitaient de la situation pour soumettre des produits en quantité phénoménale. Certains avaient jusqu’à 30, voire 40 références, et elles ne performaient pas nécessairement sur les tablettes. Ça devenait difficile pour tout le monde. C’était devenu chaotique. Le pire des scénarios, c’était de ne rien faire », soutient celui qui est également copropriétaire de la Distillerie du St. Laurent, à Rimouski.

Il admet lui aussi que ce dépoussiérage de tablettes pourrait faire grincer des dents certains distillateurs, mais il s’agit d’une « minorité », selon lui.

Il faut agir avec précaution parce que, oui, c’est vrai qu’il y a des répercussions sur certaines entreprises. Par contre, si certaines entreprises sont mises en péril [en raison de ces décisions], il faut se poser la question : est-ce qu’il y avait un marché pour ces entreprises-là ?

Joël Pelletier, président de l’Union québécoise des microdistilleries

Au cours des derniers mois, la distillerie Champ Gauche, à Saint-Arsène, dans le Bas-Saint-Laurent, et La Chaufferie, à Granby, ont annoncé leur fermeture. M. Pelletier souligne également que d’autres ont pour le moment cessé leur production et certaines, comme la Distillerie du St. Laurent, négocient avec leurs créanciers « pour essayer de s’en sortir ».

Dans ce contexte, un système où tous les produits obtenaient une place à la SAQ « par défaut » n’était plus viable, répète-t-il.

M. Pelletier, qui distribue notamment son gin et son whisky dans les succursales de la société d’État, est conscient que le resserrement des règles pourrait faire disparaître certaines de ses bouteilles présentement en vente à la SAQ. « Il se peut que certains de nos produits soient retirés parce qu’ils ne sont pas assez performants. C’est exactement ce à quoi je m’attends de mon distributeur.

« Le problème, c’est que les produits qui sont en demande, donc les produits qui sont les plus performants, n’arrivent plus à trouver le chemin vers les consommateurs. Il y a une trop grosse offre. L’espace n’est pas infini. »

Dans Portneuf, la copropriétaire de la distillerie Ubald, Pascale Vaillancourt, dit « comprendre » la décision de la SAQ. Sur les 11 produits qu’elle y vend, certains risquent de passer à la trappe puisqu’ils ont plus de difficultés à trouver preneur.

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Pascale Vaillancourt et Hugo D’Astous, copropriétaires de la distillerie Ubald

Selon Mme Vaillancourt, le problème actuellement réside dans le fait que les distillateurs ne peuvent vendre qu’à la SAQ. Elle souhaiterait que les producteurs puissent diversifier leur réseau de distribution en faisant affaire, par exemple, avec les épiceries ou directement avec les restaurateurs.

Je ne suis pas d’accord quand on dit qu’il y a trop de distilleries au Québec. Je pense qu’il y a de la place pour chacun. Le problème, c’est qu’il n’y a qu’un seul canal de distribution.

Pascale Vaillancourt, copropriétaire de la distillerie Ubald

Les résultats d’un sondage publié mardi par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) tendent à appuyer ses dires. Selon l’enquête, « 72 % des propriétaires de PME croient que les détaillants privés devraient pouvoir vendre les mêmes produits alcoolisés que la SAQ ».

« Chaque distillerie qui meurt, poursuit Pascale Vaillancourt, c’est une richesse qui est perdue dans nos régions. »

Grève de deux jours à la SAQ

À moins d’un revirement de dernière minute, les employés qui travaillent dans les succursales de la SAQ seront en grève mercredi et jeudi. Les 5000 membres du Syndicat des employés de magasins et de bureaux (SEMB-SAQ-CSN) sont sans convention collective depuis plus d’un an. Questionné à ce sujet mardi lors de l’étude des crédits budgétaires à Québec, le président et chef de la direction de la SAQ, Jacques Farcy, a assuré que, en cas de grève, la société d’État avait mis en place un « plan de continuité » visant à garder ouvertes le plus grand nombre de succursales possible, mais avec des heures d’ouverture réduites. Les cadres seront appelés à travailler sur le plancher.

Vins et « génocide »

À l’occasion de la commission parlementaire sur l’étude des crédits du ministère des Finances, Québec solidaire (QS) a demandé à la SAQ de retirer de ses étalages une dizaine de vins qui seraient produits dans les territoires occupés et étiquetés comme étant un produit d’Israël. Le député Haroun Bouazzi, de QS, a dit avoir fait des vérifications avec son équipe dans Google Maps.

« Est-ce que quelqu’un vous oblige à vendre ces vins ? », a-t-il demandé, ajoutant qu’il ne pensait pas que quelqu’un avait réclamé des vins des territoires occupés. Il faisait ainsi allusion à l’offensive de l’armée israélienne en cours dans la bande de Gaza à la suite des massacres commis par le Hamas dans l’État hébreu le 7 octobre dernier. Le président et chef de la direction, Jacques Farcy, a quant à lui assuré qu’il y avait une demande pour ces vins et que la SAQ vendait des vins qui étaient demandés par la clientèle. Il a tenu à préciser que l’étiquetage relève de l’Agence canadienne d’inspection des aliments et que « des consultations sont en cours ».

Avec La Presse Canadienne