Même s’il a vu son salaire total grimper de 7 % l’an dernier —— à 4,5 millions –, le grand patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) gagne moins que la plupart de ses homologues canadiens. Charles Emond aurait cependant pu en doubler plusieurs s’il avait pleinement atteint tous les objectifs qu’on lui avait fixés.

Du même coup, le président et chef de la direction du bas de laine des Québécois aurait pu faire passer ses émoluments à 6,1 millions, soit 35 % de plus que ce qu’il a obtenu en 2023, apprend-on, à la lecture du rapport annuel de l’institution, rendu public jeudi. Cet objectif correspond au « 75rang centile » du marché de référence utilisé pour établir les paramètres du traitement salarial de M. Emond.

Ce volumineux document révèle aussi que les six principaux dirigeants du gestionnaire de régimes de retraite ont eu droit à des primes et d’autres allocations totalisant 13 millions même si la performance annuelle a été légèrement inférieure à l’indice de référence. Leur rémunération globale — qui tient compte du salaire de base et des primes et autres avantages comme le régime de retraite — a totalisé 16 millions en 2023.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le président et chef de la direction de la CDPQ, Charles Emond

« Dans le cas de M. Emond, il n’a probablement pas atteint la totalité des objectifs qu’on lui avait fixés dans chacune des catégories qui servent à déterminer son salaire », observe François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).

La rémunération « variable » du grand patron de la Caisse est calculée en fonction de trois composantes : le rendement global de l’institution, la stratégie d’entreprise ainsi que la performance individuelle. La CDPQ n’a pas offert plus de détails sur les cibles à atteindre dans chacune des catégories.

L’an dernier, l’institution a affiché un rendement de 7,2 %, en deçà de son indice de référence, fixé à 7,3 %. Il s’agit du genre de résultat qui pourrait avoir ralenti l’augmentation de la paie globale de M. Emond.

« On peut affirmer que les incitatifs sur lesquels est mesurée la rémunération du dirigeant de la Caisse n’ont pas été atteints à 100 % », affirme Yan Cimon, professeur titulaire de stratégie à la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval.

Queue de peloton

Le marché de référence pour établir la rémunération du dirigeant de la CDPQ s’inspire de sept gestionnaires de caisses de retraite canadiennes. Selon les données compilées par La Presse, le traitement obtenu par M. Emond l’an dernier (4,5 millions) arrive en queue de peloton, devant le grand patron du Régime de retraite des enseignants de l’Ontario (Teachers’), Jo Taylor. Ce dernier a vu sa rémunération réduite à 3,7 millions après une année difficile qui s’est soldée par un rendement de 1,9 %.

Deborah Orida, présidente et cheffe de la direction d’Investissements PSP, qui gère les actifs des régimes de retraite des employés du gouvernement fédéral, a obtenu le traitement le plus généreux, à environ 7 millions. L’année financière de cette institution se termine cependant le 31 mars de chaque année, comparativement à celle de la CDPQ (31 décembre).

« Il faut rester fidèle aux objectifs fixés et le comité de rémunération de la Caisse ne semble pas utiliser son pouvoir discrétionnaire en matière de rémunération pour hausser les salaires alors que le rendement est positif, fait observer M. Dauphin. Si on s’en tient au plan établi, c’est de la bonne gouvernance. »

Il n’a pas été possible d’obtenir le portrait de la rémunération au sein de l’Healthcare of Ontario Pension Plan, qui figure parmi les organisations évaluées par la Caisse.

Professeure agrégée à l’Université York, Audrey Laurin-Lamothe, qui se spécialise notamment dans les questions de rémunération, estime que la CDPQ aurait pu mieux définir le groupe d’institutions ayant servi à définir le marché de référence du salaire de son président. Dans cette liste, on ne retrouve aucune organisation québécoise, fait-elle remarquer.

« On compare la Caisse à des organisations financières établies à Vancouver et à Toronto, notamment, où le coût de la vie n’est pas du tout le même, affirme Mme Laurin-Lamothe. Je trouve que cela crée une inégalité croissante à l’intérieur de nos organisations publiques. C’est une démarche biaisée. Souvent, les personnes que l’on retrouve à la Caisse viennent du même territoire (le Québec). Pourquoi ne pas utiliser des comparables d’ici ? »

Bonne hausse

Après M. Emond, c’est le responsable des infrastructures, Emmanuel Jaclot, qui a obtenu le traitement le plus élevé à la Caisse, à 3,1 millions, si l’on tient compte d’un paiement spécial de 180 000 $ qui lui a été versé. C’était la dernière année, en 2023, qu’il touchait ce type d’allocation.

Pour sa part, Vincent Delisle, à la tête des marchés liquides, a vu ses émoluments bondir de 12 % pour atteindre environ 2,3 millions. Cette augmentation est essentiellement attribuable à sa prime, qui a grimpé de 250 000 $, pour atteindre 1,75 million, en 2023.

Trois éléments à retenir du rapport annuel de la CDPQ

Des frais qui explosent

La facture des frais de gestion a été salée à la CDPQ l’an dernier. Elle a bondi de 50 % pour atteindre 1,44 milliard. « Le recours à des gestionnaires externes permet de répondre aux orientations stratégiques de la CDPQ, lesquelles nécessitent un déploiement agile de capital pour mettre en œuvre certaines stratégies de gestion active », explique-t-on dans le rapport. Selon l’institution, « ces activités » sont « complémentaires », ajoute la Caisse. Parallèlement, les charges d’exploitations ont poursuivi leur progression (3 %) pour frôler les 800 millions. Cette catégorie comptabilise tout ce qui entoure la gestion à l’interne des portefeuilles.

Près de 200 millions en primes

La Caisse a octroyé 196 millions en primes à ses employés même si elle a livré une performance sous son indice de référence. En date du 31 décembre dernier, on comptait 1644 travailleurs à la CDPQ — une donnée qui tient compte des stagiaires, qui ne sont pas admissibles aux primes. Puisque son effectif continue à grossir, l’institution affirme que la somme versée par personne a fléchi de 3,1 %.

Plus risqué

Le portefeuille de la Caisse a un niveau de risque absolu supérieur à son portefeuille de référence. De plus, l’écart s’est accru depuis cinq ans. La CDPQ compare son risque absolu au moyen de ratios. « Un ratio à 1 indique que la prise de risque est identique tandis qu’un ratio supérieur à 1 témoigne d’une plus grande prise de risque afin de générer de la valeur ajoutée », explique la Caisse. Or, le ratio est progressivement passé de 0,99 à la fin de 2018 à 1,05 à la fin de 2023. L’organisation souligne que le « risque absolu demeure bien à l’intérieur des limites fixées. »

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  • 6,4 %
    Rendement annualisé de la CDPQ sur cinq ans
    source : Caisse de dépôt et placement du Québec