D’importants détenteurs de parts de Cominar estiment que l’offre d’achat de 5,7 milliards (en incluant la dette) divulguée dimanche ne reflète pas la valeur réelle du fonds de placement immobilier de Québec et songent à s’opposer à la transaction.

« J’estime que l’entreprise vaut beaucoup plus que ça », dit l’investisseur George Armoyan au téléphone en soulignant ne pas avoir encore décidé s’il allait appuyer l’opération. « Je m’attendais à un montant plus important. »

Avec une participation de 10 % dans Cominar, George Armoyan est le plus gros détenteur de parts.

Le titre de Cominar s’est apprécié de 12 % lundi, à 11,61 $, au lendemain du dévoilement d’une entente par laquelle Cominar accepte d’être rachetée par un consortium que dirige le promoteur immobilier montréalais Canderel au prix de 11,75 $ par part.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

George Armoyan, actionnaire de Cominar

Il ne fait aucun doute que la valeur de la part est plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’était vendredi et plus élevée qu’elle ne l’était il y a un an. Je m’explique cependant mal comment il peut y avoir un écart aussi important entre la valeur nette des actifs et ce que le consortium propose.

George Armoyan, actionnaire de Cominar

À Bay Street, le consensus entourant la valeur nette des actifs de Cominar se situe à 12,78 $ par part, indique Valeurs mobilières Desjardins dans une note publiée lundi.

Cominar indiquait dans ses états financiers, l’été dernier, que la valeur de son actif net par part s’élevait à 14,54 $ au début de juillet, alors que cette valeur était de 15,44 $ un an plus tôt. Dimanche, la direction soulignait cependant qu’en date du 24 octobre, une évaluation indépendante de Desjardins réalisée pour Cominar établissait la juste valeur des parts dans une fourchette de 11,00 $ à 12,50 $.

« Nos calculs sont basés sur une analyse propriété par propriété des flux de trésorerie, de l’état de la propriété et de la valeur marchande, a pour sa part détaillé lundi le chef de la direction de Canderel, Brett Miller. La valeur de l’entreprise a été calculée par addition de la valeur très détaillée de chacune des propriétés. »

Le gestionnaire d’actifs montréalais Letko Brosseau se montre tout aussi songeur que George Armoyan.

C’est une offre sérieuse, mais notre première impression est qu’elle n’est pas assez intéressante. Nous refaisons nos calculs pour être certains de nos évaluations, mais on croit que l’offre ne reflète pas suffisamment la valeur de l’entreprise et son potentiel, et nous allons voter contre.

Peter Letko, gestionnaire de portefeuille, en entrevue avec La Presse

Il précise que Letko Brosseau détient un peu plus de 6 millions de parts de Cominar, l’équivalent d’une participation d’environ 3 %.

L’action de Cominar valait 25 $ il y a neuf ans. Le titre a depuis reculé jusqu’à 6 $ durant la pandémie avant de remonter dans les derniers mois.

Pour se réaliser, la transaction doit soutirer 66,7 % des votes. Le consortium mené par Canderel contrôle 10,2 % des parts, alors que Mach Capital, qui appuie la transaction, en possède 5,2 %.

Armoyan « ne sabotera pas l’opération »

George Armoyan a eu du pif en achetant alors que la valeur de la part s’échangeait autour de 7 $ l’année dernière. « J’ai acheté au bon moment et je devrais être plus heureux que j’en ai l’air. Je ne peux pas me plaindre du gain potentiel, car mon coût d’achat est bas, mais j’ai de la sympathie pour ceux qui ont investi à un prix plus élevé », affirme celui qui dit avoir parlé lundi à quelques investisseurs institutionnels mécontents. « Je ne veux pas être un obstacle. Je ne saboterai pas l’opération si la plupart des détenteurs de parts sont en faveur de la transaction. »

L’analyste Jonathan Kelcher, de la TD, juge « un peu décevant » le prix offert par le consortium. Cet expert calcule que la valeur nette des actifs est de 13,20 $ par part.

« Il est rare de voir un fonds de placement immobilier canadien être acheté à escompte par rapport à la valeur nette de ses actifs. La prime moyenne depuis 2004 est de 12 % », souligne-t-il.

Investisseur à contre-courant (contrarian) qui traîne une réputation de militant, George Armoyan a commencé à accumuler des parts peu après le début de la pandémie jusqu’à en détenir plus de 20 millions. Son investissement dans Cominar est effectué par l’entremise de son holding G2S2 Capital, dont le sigle est tiré de son prénom ainsi que de ceux de sa femme et de ses deux fils (George, George jr, Simé et Sam).

Cominar possède 310 immeubles industriels, commerciaux et de bureaux au Québec et en Ontario. Une assemblée extraordinaire des détenteurs de parts est prévue le 21 décembre alors que Cominar doit publier ses prochains résultats trimestriels la semaine prochaine.

Avec André Dubuc, La Presse

« La structure n’était plus adéquate », selon Fitzgibbon

Le ministre québécois de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a accueilli l’offre pour Cominar avec résignation. « La structure corporative et fiscale de Cominar n’était plus adéquate pour son développement, a-t-il indiqué par écrit. Bien sûr, il aurait été préférable que l’entreprise demeure autonome. Toutefois, la grande majorité des actifs stratégiques, suite à la transaction, demeurent gérés par des entreprises québécoises. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

La Place Alexis-Nihon, propriété de Cominar

Des détaillants peu surpris

La rumeur circulait, affirment bien des détaillants qui se disent peu surpris de l’offre de Canderel et de ses partenaires, notamment Groupe Mach, pour racheter Cominar, impliquant du même coup l’acquisition de ses centres commerciaux. Les marchands touchés par la transaction soutiennent que l’arrivée de nouveaux bailleurs n’apportera, pour le moment, aucun changement. Ils font néanmoins le souhait que ceux-ci améliorent l’offre afin d’augmenter l’affluence.

« On a plus de 40 de nos magasins au Québec qui sont [situés dans les centres commerciaux] de Cominar. C’est notre plus gros bailleur, affirme Louis Dessureault, vice-président à l’exploitation de Groupe Marie Claire (Claire France, Marie Claire, San Francisco, Grenier, Dans un Jardin). On s’attendait à ça », dit-il, ajoutant que son entreprise avait toujours entretenu de bonnes relations avec Cominar.

Groupe Marie Claire exploite notamment des magasins au Centre Rockland, au Mail Champlain et au Centre Laval, toutes propriétés de Cominar. « [Les nouveaux propriétaires], on va les accueillir. Comme détaillants québécois, on veut juste être considérés, ajoute M. Dessureault. C’est sûr que c’est impressionnant, c’est une très grosse transaction, il y a beaucoup de joueurs impliqués. » Groupe Marie Claire compte un total de 300 magasins, dont la majorité sont au Québec.

Augmenter l’affluence

Andrew Lutfy, propriétaire de Groupe Dynamite, estime « que c’est une bonne transaction pour tout le monde ». « Je pense qu’il y aura des investissements faits dans les propriétés. Le souhait serait de créer de la valeur, de faire des investissements pour faire en sorte que ça augmente l’achalandage dans ces centres d’achats. »

François Roberge, propriétaire des magasins La Vie en rose, a bon espoir que Groupe Mach et Canderel fassent des investissements « en hauteur », comme des projets immobiliers à proximité des centres commerciaux, pour attirer une masse critique de clients. Il rappelle également l’importance d’avoir sous le même toit une variété de marchands.

« Ce n’est pas toujours l’environnement avec de beaux planchers qui est important, illustre-t-il. L’important, c’est le mix marchand et que le client retrouve une bonne expérience dans les centres. Il faut les transformer pour avoir des restaurants, d’autres services, pas seulement du fashion, pour que les gens y passent plus de temps. On espère juste qu’ils prennent de bonnes décisions. Je ne les connais pas assez. Il faut travailler ensemble parce que la valeur d’un centre d’achats va avec la qualité de ses marchands. Le changement, ça ne fait jamais de mal. »

« On a besoin l’un de l’autre »

Linda Goulet, PDG de Chaussures Panda, ne semble pas non plus appréhender l’arrivée de Canderel et de Groupe Mach. « Je vis des changements depuis 45 ans, rappelle celle dont l’entreprise compte 22 magasins. J’en ai vu de toutes les sortes. On s’arrange avec les nouveaux. »

« On espère que ce soit un locateur qui connaisse le commerce de détail, que ce ne soit pas juste des placements ou des investisseurs. Dans le commerce de détail, on a mangé la claque. Ça n’a été facile pour personne, dit-elle en notant que les bailleurs ont eux aussi vécu des jours difficiles. Tout le monde est en affaires pour essayer de faire de l’argent. On a besoin l’un de l’autre. »

Du côté de Matelas Dauphin, on ne craint pas l’arrivée d’un nouveau propriétaire au Centre Laval, où l’un des 23 magasins de l’entreprise y loue un espace. Contrairement à plusieurs commerçants interrogés, Steven Thériault, directeur général de l’entreprise, a été mis au courant de la transaction en lisant les journaux, lundi. « Ça n’aura pas d’impact pour nous, estime-t-il. À partir du moment où le bail est signé, on doit payer. C’est certain que s’ils veulent baisser les prix, on va être contents ! »

Selon Groupe d’alimentation MTY, qui gère notamment les chaînes Bâton Rouge, Tiki-Ming, Thaï Express et Mikes, seul le temps dira ce que la transaction changera. « Cominar est un très important bailleur pour MTY et nos relations sont très bonnes, comme elles le sont avec Canderel et Mach, a commenté, par courriel, le chef de la direction, Éric Lefebvre. Il y a de très bonnes propriétés dans le portfolio de Cominar. Reste à voir ce que les nouveaux propriétaires en feront [sur le plan des] stratégies à long terme et investissements. »