(Ottawa) Des aînés québécois qui ont besoin d’aide à domicile pour changer leurs ampoules, installer une barre d’appui dans leur salle de bains ou poser un climatiseur en cette période de canicule se retrouvent laissés pour compte. Ils sont coincés malgré eux dans un conflit entre Québec et Ottawa. Des organismes communautaires ont vu l’argent que le gouvernement fédéral leur avait promis disparaître du jour au lendemain.

« Quelle déception phénoménale ! », s’exclame en entrevue la directrice générale du Centre communautaire l’Entraide Plus de Chambly, Sylvie Blanchard. « On se dit : “non, ça ne se peut pas de prendre des aînés en otage comme ça !” »

Ce sont potentiellement des millions de dollars du programme fédéral Bien vieillir chez soi qui échappent ainsi au Québec. Le centre communautaire l’Entraide Plus s’attendait à recevoir près de 600 000 $ de cette enveloppe pour offrir de menus travaux aux aînés en Montérégie.

Le projet avait été accepté par Ottawa, les entrevues pour embaucher un chargé de projet avaient déjà été menées, des locaux avaient été libérés. « Tout avait été mis en place pour que dès qu’on reçoit les fonds, on démarre le projet », explique-t-elle.

Puis à la fin de mai, elle reçoit le courriel fatidique.

« Nous avons le regret de vous informer qu’Emploi et Développement social Canada n’est pas en mesure de donner suite à votre demande de financement. »

Même scénario au Centre d’action bénévole de la MRC de l’Assomption qui a reçu la même réponse, quelques mois après l’approbation de son projet. « Je n’accepte pas d’être un dommage collatéral d’une chicane fédérale-provinciale quand à côté de chez moi, j’ai des personnes qui souffrent et qui ont besoin de cette aide-là », s’indigne l’agente de développement, Sylvie Hamel. « Des appels, on en reçoit tout plein et c’est beaucoup de détresse. »

Elle s’attendait à obtenir jusqu’à 300 000 $ pour offrir de menus travaux aux personnes âgées. Ils sont essentiels pour que ceux-ci soient en mesure de rester dans leur maison, particulièrement ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un appartement en résidence.

On a eu une dame qui nous a appelés qui n’avait qu’une ampoule qui fonctionnait dans sa maison, celle de la salle de bains. Elle n’était pas capable de monter sur une chaise pour les changer et elle n’avait pas de réseau qui pouvait le faire.

Sylvie Hamel, agente de développement au Centre d’action bénévole de la MRC de l’Assomption

Pour quelqu’un d’autre, l’installation d’une barre d’appui ergonomique dans la salle de bains peut faire la différence entre obtenir l’aide du CLSC ou non. « Tant que la barre ne sera pas posée, cette personne ne pourra recevoir ses bains pour sa sécurité et pour la sécurité de l’auxiliaire familiale qui va y aller », explique Mme Hamel.

Querelle de compétences

Ottawa attribue le retrait des fonds au gouvernement du Québec qui a décidé de ne pas autoriser les demandes pour ce programme parce qu’il tombe dans l’un de ses champs de compétence. « Malheureusement, le gouvernement du Québec a été clair : il ne veut pas que ces fonds aillent aux organismes qui font ce travail pour les aînés », a déclaré le ministre des Aînés, Seamus O’Regan, par écrit. Il garde toutefois espoir que le gouvernement Legault revienne sur sa décision.

La porte-parole pour les Aînés du Bloc québécois, Andréanne Larouche, accuse le gouvernement Trudeau de « manquer de sensibilité » et de faire du « chantage » sur le dos des personnes âgées.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La porte-parole pour les Aînés du Bloc québécois et députée de Shefford, Andréanne Larouche

Les gens se retrouvent malheureusement pris avec le fédéral qui refuse de faire ce qu’il devrait faire, c’est-à-dire transférer les sommes à Québec sans essayer d’imposer ses règles.

Andréanne Larouche, porte-parole pour les Aînés du Bloc québécois

Le gouvernement québécois aurait voulu distribuer les enveloppes par l’entremise de ses programmes déjà existants, soit Québec ami des aînés et le Programme de soutien aux organismes communautaires, selon un courriel du ministère de la Santé et des Services sociaux que La Presse a pu consulter.

« Nous avons, dès septembre 2022, interpellé le gouvernement fédéral pour conclure une entente bilatérale permettant au Québec d’obtenir un transfert de sa juste part des sommes », a indiqué Thomas Verville, attaché de presse du ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge.

« Après plus de 18 mois d’attente, le gouvernement fédéral nous a finalement informés en février 2024 qu’il ne pouvait consentir à la demande de transfert par “manque de temps”. L’inaction dont a fait preuve le gouvernement fédéral a ainsi pour effet de priver les organismes québécois des sommes disponibles », a-t-il ajouté.

Au Québec, en vertu de la Loi sur le ministère du Conseil exécutif, aussi connue sous l’appellation loi M-30, le gouvernement fédéral ne peut distribuer des chèques directement aux organismes. Il doit d’abord conclure une entente avec le gouvernement québécois. C’est une façon d’encadrer le pouvoir fédéral de dépenser pour éviter qu’Ottawa n’injecte des fonds là où bon lui semble en faisant fi des priorités québécoises. L’Alberta est récemment devenue la deuxième province à adopter une loi similaire pour contrer les ingérences qui se sont multipliées sous les libéraux de Justin Trudeau.

En savoir plus
  • 90 millions
    Montant total de l’enveloppe attribuée au programme Bien vieillir chez soi
    cabinet du ministre DE L’Emploi et DU Développement social, Seamus O’Regan