(Ottawa) Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, espère toujours être en mesure de négocier avec Québec pour protéger l’habitat du caribou même si le Cabinet a donné le feu vert à un décret qui permettrait à Ottawa « de prendre le contrôle d’un territoire » où vit l’animal. Sa volonté d’employer le bâton a suscité une levée de boucliers depuis lundi. Les conservateurs promettent de renverser cette politique.

Il se défend de ne pas tenir compte des impacts sur l’industrie forestière et des régions qui en vivent comme l’a accusé le ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette.

« Ce n’est pas vrai qu’on ne tient pas compte de l’industrie, mais on ne peut pas ne pas tenir compte du décret et de la disparition imminente d’une espèce non plus. Et hélas, c’est ce que le Québec fait », a-t-il rétorqué en mêlée de presse avant la réunion du Cabinet mardi.

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Benoit Charette, ministre québécois de l’Environnement

En plus des critiques de son homologue, le ministre Guilbeault s’est attiré celles de ses adversaires politiques. Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a ouvert la période de questions en promettant de « renverser ce décret radical » pour protéger les emplois dans l’industrie forestière.

« Combien de Québécois perdront leurs emplois à cause de ce décret radical et libéral ? », a-t-il demandé.

« On travaille avec les provinces […], on est en train de regarder comment on va pouvoir s’assurer que oui, on protège les espèces en péril, mais on protège aussi les emplois », a répondu le premier ministre Justin Trudeau.

Le député de Chicoutimi – Le Fjord, Richard Martel, a accusé le ministre Guilbeault, qui est originaire de La Tuque, en Mauricie, d’être incapable de sortir de Montréal pour aller au Saguenay rencontrer l’industrie forestière.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet propose de dégager un consensus avec les régions touchées pour en arriver pour éviter une nouvelle ingérence du gouvernement fédéral dans les champs de compétence du Québec.

« La pire manière d’encourager la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, c’est de simplement dire aux gens, vous allez perdre votre job, a-t-il affirmé en point de presse. Il faut trouver une manière […] de concilier le caribou et les emplois forestiers. »

Il a fait valoir qu’il s’agit « d’un énorme territoire » qui pourrait être exploité différemment si l’industrie forestière y trouve son compte. Il y a un potentiel dans la transformation, dans du remplacement d’emploi peut-être. »

Sur le réseau social X, il est allé beaucoup plus loin en accusant le ministre Guilbeault de favoriser « le pétrole » et de se moquer « de la baleine noire tout en disant « au Québec quoi faire et ne pas faire sur le caribou. »

Steven Guilbeault a dit ne pas avoir le choix d’agir puisqu’il en a l’obligation en vertu de la Loi sur les espèces en péril. « La question des espèces en péril est un champ de compétence où le fédéral peut intervenir. Alors, je n’ai même pas le choix, mais le Québec a encore le temps de faire ce qu’il devrait faire et agir », a-t-il insisté. Il a spécifié qu’il préférait « collaborer avec le gouvernement du Québec que d’être dans une situation de confrontation ».

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Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement

S’il est adopté par le Cabinet, le décret fera l’objet d’une consultation de 60 jours. Le Québec aura donc deux mois pour présenter un plan pour protéger l’habitat du caribou.

La Presse rapportait la semaine dernière que le gouvernement Legault avait de nouveau repoussé les mesures de protection du caribou en prolongeant jusqu’au 31 octobre, la consultation sur des projets pilotes annoncés en avril. Elle devait se terminer le 30 juillet. Il avait dévoilé en avril un plan partiel de restauration d’habitats, de protection de territoires, d’encadrement des usages et de modifications réglementaires pour les hardes très vulnérables de caribous montagnards de la Gaspésie et de caribous forestiers de Charlevoix au lieu d’une stratégie globale de protection de l’ensemble de la douzaine de hardes de caribous de la province.

Le ministre Guilbeault a rappelé que le gouvernement du Québec avait pris l’engagement en 2016 de mettre en place un plan de rétablissement des populations de caribou qui continuent de diminuer et qu’en 2022, il s’était engagé dans une lettre conjointe avec Ottawa à déposer un plan pour maintenir au moins 65 % de l’habitat du caribou sans perturbation et de consulter les populations autochtones.

Menacé par l’activité humaine

Au fil du temps, l’industrie forestière a enlevé une grande partie de la vieille forêt et l’a remplacée par des arbres plus jeunes, privant ainsi le caribou de son habitat et de sa nourriture. Également, les chemins forestiers favorisent le déplacement des prédateurs naturels du caribou comme l’ours et le loup.

En août 2022, la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards avait déposé un rapport auprès du gouvernement du Québec, dans lequel elle soulignait qu’il y a « urgence d’agir » et qu’il fallait « procéder le plus rapidement possible à l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de protection et de rétablissement du caribou forestier ».

Quelques jours après ce rapport, Québec et Ottawa avaient conclu une entente de principe pour protéger l’espèce et la province s’était engagée à publier sa stratégie finale sur le caribou forestier et montagnard avant la fin du mois de juin 2023.

Le ministre Charette avait toutefois repoussé la date à cause des incendies de forêt qui frappaient alors le territoire québécois. Le gouvernement voulait examiner les répercussions des incendies sur le caribou et sur l’exploitation forestière.

Puis, le ministre Guilbeault avait demandé à la province de déposer sa stratégie avant le 1er mai 2024.

La population de caribous est en déclin au Québec depuis plusieurs années. Il ne resterait plus qu’environ 5000 caribous forestiers ou montagnards dans la province.

Avec Jean-Thomas Léveillé, La Presse, et La Presse Canadienne